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# 05 Glottophobies et imaginaires des langues

¿Quién de nosotros escribirá Los acuáticos? ou comment appréhender l’hétéroclite

Une réflexion sur la TransLittérature de Marcelo Cohen

Abstract

En el campo literario argentino, uno de los autores de lo extremo contemporáneo que siempre ha reivindicado lo híbrido, lo mestizo, lo impuro como principio estético y de creación literaria es el escritor Marcelo Cohen (Buenos Aires, 1951). Si las relaciones inter- y transmediales entre la literatura y la música han sido estudiadas en detalle en la obra ensayística y literaria de Cohen (cf. la tesis doctoral de Miriam Chiani de 2012), aquellas que se dan entre otras producciones artísticas, mediáticas y discursivas no se han profundizado suficientemente hasta el presente. En Los acuáticos (publicado en 2001), libro de novelas cortas fundacional de un universo de ficción original –el “Delta Panorámico”–, proponemos explorar las interacciones entre la literatura, las artes (la pintura, el teatro, la puesta en escena del cuerpo) y los discursos (el discurso periodístico, el discurso científico). Nos preguntamos entonces si la TransLiteratura de Marcelo Cohen (que postulamos en este trabajo) no dependería de la mezcla los géneros, de las producciones artísticas y mediáticas modeladas por la escritura de lo heteróclito.

Résumé

Dans le champ littéraire argentin, l’un des auteurs de l’extrême contemporain qui a revendiqué depuis toujours l’hybride, le métis, l’impur comme principe esthétique et de création littéraire est l’écrivain Marcelo Cohen (Buenos Aires, 1951). Si les relations inter- et transmédiales entre la littérature et la musique ont été profondément étudiées chez Cohen (cf. thèse de doctorat de Miriam Chiani de 2012), les rapports entre d’autres productions artistiques, médiatiques et discursives l’ont été beaucoup moins. Dans Los acuáticos (publié en 2001), recueil de nouvelles fondateur d’un univers fictionnel original – le « Delta Panoramique » –, nous nous proposons d’explorer les interactions entre la littérature, les arts (la peinture, le théâtre, la mise en scène du corps) et les discours (le discours de la presse, le discours scientifique). La TransLittérature de Marcelo Cohen (que nous postulons ici), ne relèverait-elle pas du mélange des genres, des productions artistiques et médiatiques modelées par l’écriture de l’hétéroclite ?

Texte intégral

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Le médecin Jacques Ladsous écrivait en 2005 dans un article intitulé « Multi, inter, trans » à propos de ces trois préfixes : « Le premier constate, le deuxième met en relation, le troisième tisse entre les personnes quelque chose de nouveau. » 1 Force est de constater que ces trois particules ont été fort « rentables » épistémologiquement parlant au cours du XXe et du XXIe siècle en ce qui concerne la création de nouvelles notions au sein des sciences humaines (« multiculturalisme », « intertextualité », « TransLittérature »…). Ainsi, dans les études des dernières décennies sur les médiations artistiques, culturelles et sociales 2 , des concepts tels que l’intermédialité ou la transmédialité ont été au cœur des débats des théoriciens des médias et de la littérature. Si l’intermédialité « met en relation » (reprenant la citation de Ladsous) les médias et permet de concevoir un espace pluridisciplinaire, une approche se consacrant aux processus d’interaction entre les médias 3 , la transmédialité est appelée hybridité (ou intertextualité au sens large) par Alfonso de Toro 4 , car il tient compte des rapports entre les médias dans un contexte de mélanges des cultures. Dans ce dernier cas, et suivant toujours le point de vue de de Toro, l’essentiel est dans l’instabilité du sens et la dissonance, de sorte que l’hybridité impliquerait un mélange hétéroclite caractérisé par la tension, la déstabilisation, le conflit. Dans le champ littéraire argentin, l’un des auteurs de l’extrême contemporain qui a revendiqué depuis toujours l’hybride, le métis, l’impur comme principe esthétique et de création littéraire est l’écrivain Marcelo Cohen (Buenos Aires, 1951). Si les relations inter- et transmédiales entre la littérature et la musique ont été profondément étudiées chez Cohen 5 , les rapports entre d’autres productions artistiques, médiatiques et discursives l’ont été beaucoup moins. Concrètement, un début d’analyse et de réflexion pour combler cette absence est proposé dans le présent travail : nous nous pencherons, dans le premier recueil de Marcelo Cohen publié au XXIe siècle, sur la relation entre la littérature et les arts (comment le littéraire représente et incorpore, par exemple, le pictural et le dramatique) et sur les interactions discursives (discours de la science et discours journalistique présentés par le prisme de l’écriture littéraire).

À partir de 2001, Marcelo Cohen opère un changement de paradigme esthétique, car il situera la presque totalité de son œuvre de fiction ultérieur dans un espace-temps singulier, baptisé à l’occasion de la sortie du recueil Los acuáticos 6 , le « Delta Panoramique ». Une problématique qui peut être posée est, précisément, comment l’auteur argentin parvient, tout en gardant l’hybride et le métissage comme outils créateurs, à renouveler son écriture. Comme hypothèses de travail, nous postulons que la littérature de Cohen devient, à partir de 2001, une véritable TransLittérature. L’auteur argentin commence à assumer la science-fiction avec Los acuáticos, sans laisser de côté toute sorte de mélanges qui y ont une incidence. Sa TransLittérature relèverait de l’ambiguïté, du mélange des genres, des productions artistiques et médiatiques modelées par l’écriture de l’hétéroclite 7 .

Pour travailler sur cette problématique et tester nos hypothèses, Los acuáticos s’avère être un ouvrage idéal. Portant le sous-titre de « Historias del Delta Panorámico », il s’agit d’un recueil de six nouvelles fortement reliées entre elles. Toutes les « histoires » se déroulent dans un avenir éloigné et dans ce multivers particulier d’îles d’eau douce qu’est le Delta Panoramique. Mais au-delà de l’ancrage spatio-temporel commun, tous les récits font état de relations inter- et transmédiatiques et artistiques. Nous nous proposons dans notre travail d’explorer les interactions entre la littérature, les arts (la peinture, le théâtre, la mise en scène du corps) et les discours (le discours de la presse, le discours scientifique) dans ce recueil fondateur.

Pour analyser cet ensemble de relations, nous examinerons de plus près la constitution du recueil ainsi que la synthèse de chacune des nouvelles. Nous avons dit que l’ouvrage comporte une forte cohésion du fait du « chronotope » commun qui est à l’œuvre : le Delta Panoramique. Toutes les nouvelles s’y déroulent. Mais ce n’est pas le seul élément « trans-nouvelle » : d’autres aspects transcendent l’unité de chaque récit. À part les coordonnées espace-temps (les îles du Delta dans un futur qui n’est pas proche), les récits partagent une caractéristique stylistique et de genre : il s’agit du recours à des inventions lexicales ou mots-fictions 8 qui désignent des réalités futuristes alternatives ou novums 9 , propres à la science-fiction 10 . Un phénomène psychique un peu particulier, appelé la Panconscience, est de même présent dans toutes les nouvelles du recueil : c’est la capacité des habitants du Delta Panoramique à entrer en connexion avec d’autres consciences, il s’agit en effet d’un phénomène ou d’une capacité « trans ». Un individu peut ainsi traverser la conscience d’autrui et participer à son vécu, à ses sensations et à ses perceptions durant un certain espace de temps.

Quant à l’action de chaque nouvelle, voici une rapide synthèse :

1. « El fin de la Palabrística ». Le sergent Doriac doit rédiger un rapport sur une mort sans cadavre survenue dans la Ville Ajania 11 , au centre d’une île homonyme. Cet espace urbain se caractérise par la surpopulation et une nette opposition entre le centre et les banlieues ainsi que l’extérieur de la ville, qui est ceinte d’un mur circulaire. Pendant un moment, une activité reliant le corps et l’esprit, la gymnastique et la poésie, permet de libérer un peu de place : la Parolistique (Palabrística). Les Ajaniens construisent des mots et des phrases à l’aide de leur corps. Le sergent doit rédiger son rapport précisément sur la disparition de l’inventeur prétendu de cette discipline si originale.

2. « Un montón de adjetivos ». Une jeune artiste plasticienne à succès, Leandra Chenán, présente une installation dans Île Brunica 12 . C’est le portrait de son amie d’enfance Melaní qui déclenchera une série de commentaires au cours du vernissage et une comédie érotique singulière. Le monde des artistes et des galeristes contraste avec celui des pauvres pêcheurs d’écrevisses grises, qui habitent dans des cabanes modestes sur la plage de l’île.

3. « Cuando aparecen Aquéllos ». Dans Île Bruya (ou La Bruya), les habitants cultivent une ancienneté théâtrale qui se manifeste dans l’architecture, les coutumes et les conversations. Tálico se remémore les promenades urbaines hebdomadaires qu’il a effectuées avec son ami Multon, disparu depuis une semaine après la manifestation d’un ensemble de personnages désagréables appelés « Aquéllos ».

4. « Neutralidad ». Une île sans nom est divisé en deux pays : d’un côté, le pays des mentalistes, qui rendent un culte aux activités intellectuelles, et de l’autre, un pays plutôt pauvre dont proviennent les « transfuges » : des immigrants qui sont à même de réaliser toute sorte d’activité manuelle. Comme les transfuges sont capables d’injecter des formes de consciences particulières aux habitants du pays des mentalistes, quatre personnages (un homme, une femme, un cyborg et un éphèbe hermaphrodite) participent à une entreprise d’assimilation des transfuges à la frontière des deux pays. À la suite d’un rituel à caractère sexuel, les transfuges sont « neutralisés » et prêts à être assimilés par les mentalistes.

5. « Usos de las generaciones ». Tondey est une île du Delta Panoramique où règne un esprit d’anonymat et de dépersonnalisation. Ses habitants, en plus de s’occuper à la Panconscience, disposent d’un appareil un peu spécial, un polyèdre irrégulier qu’ils appellent « le module », et qui leur permet de ressentir des sensations variées. La nouvelle intègre un poème d’un jeune homme et une interview de l’inventrice prétendue du module, Helena Saort. Cette interview a été réalisée par un jeune homme, poète et journaliste, et elle a été publiée dans une revue, comme un plan conçu par le narrateur (un homme d’une quarantaine d’années) pour faire sortir de l’anonymat Helena Saort.

6. « Panconciencia. Un ensayo ». Cette nouvelle se présente comme un écrit, un essai très documenté sur des sources précises (des études scientifiques, des interviews et des mémoires, des archives d’hôpital, etc.) à propos de la Panconscience. Trois sous-sections peuvent être identifiées :

  • dans une première partie prédomine un langage neuro-psychologique très important qui vise à cerner les phénomènes neurologiques produits à partir de la Panconscience. Un essai de définition a lieu : la Panconscience serait un effet casuel où une conscience rentre en connexion avec d’autres consciences des êtres humains du Delta Panoramique ;
  • la deuxième partie est constituée par la reconstruction minutieuse de la vie de celui qui aurait découvert la Panconscience : Wiraldo Sang. On raconte les étapes de sa vie depuis son enfance pauvre et la délinquance juvénile jusqu’à la découverte de cette étonnante capacité psychique ;
  • la troisième section fait état de toutes les périodes par lesquelles est passée la Panconscience dans les îles du Delta Panoramique, depuis sa découverte jusqu’à sa décadence.

Pour pouvoir concrétiser en quoi consiste la TransLittérature de Marcelo Cohen à partir de ce recueil, nous proposons d’aborder plusieurs plans ou niveaux : a) le plan diégétique, b) le plan thématique, c) le plan artistico-discursif, d) le Trans-Genre et e) les inquiétudes sociopolitiques.

Le plan diégétique

Nous allons élargir la conception genettienne de diégèse non seulement à l’univers spatio-temporel du récit, mais aussi aux personnages eux-mêmes. Une caractéristique propre à la TransLittérature est de jouer sur le double, l’hybride, le métis, l’ambigu. Ce trait concerne l’espace, le temps et le personnage du recueil, à des degrés divers. Envisageons ces dimensions d’analyse séparément.

Les récits du recueil sont complexes et multiformes, mais ils se construisent pratiquement tous sur un principe de dualité spatiale : une alternance ou une succession d’espaces. La prémisse respectée se trouve inscrite dans le texte comme une clé de lecture : le premier récit nous renseigne sur « la totalité duelle du Delta Panoramique » (« la totalidad dual del Delta Panorámico », p. 312 13 ). Si l’île de « Neutralidad » est divisée en deux pays que tout oppose et que dans Île Brunica (deuxième récit) l’opposition d’espaces sociaux (les riches et le monde de l’art, d’une part, et les pauvres pêcheurs d’écrevisses grises, de l’autre) est représentée figurativement par une fenêtre énorme qui sépare le dedans d’une exposition artistique et le dehors des pêcheurs sur la plage, la dualité du Delta se retrouve également dans l’alternance spatiale supposée entre le lieu de l’énonciation et le lieu de l’énoncé. Le personnage (ou le narrateur focalisé sur le héros) raconte une histoire ou les événements depuis un espace restreint et intérieur. Ainsi, dans « El fin de la Palabrística », le sergent Doriac écrit-il un rapport dans son minuscule bureau. Dans « Cuando aparecen Aquéllos », le narrateur prend comme point de départ de l’histoire le souvenir de Tálico (sur les promenades avec son ami Multon) qui se trouve dans son appartement. Et, dernier exemple, l’homme anonyme, qui s’avère être le narrateur de « Usos de las generaciones », raconte toute l’histoire (ce qu’il voit et ce qu’il ne voit pas) depuis le café où il est attablé. Un va-et-vient s’installe entre les espaces intérieurs de l’énonciation (bureau / appartement / café) et les espaces extérieurs de l’action racontée (Ville Ajania / La Bruya / Tondey, et en particulier, le parc arcadique où va se promener le jeune journaliste de l’histoire).

Quant au temps, Annelies Oeyen a remarqué dans son analyse de « Cuando aparecen Aquéllos » que coexistent dans île La Bruya le passé et le futur 14 . Les habitants de l’île peuvent se « brancher » sur la Panconscience et utilisent des moyens de transports futuristes et volants (« flaytaxis » et « alademoscas » [p. 369], ces derniers pour la police ; « flaybús » [p. 373]). Et en même temps, l’île se caractérise par la décadence, le retard, l’anachronisme, notamment (mais non seulement) dans l’architecture : « un rascacielos muy avejentado », « las encomiadas ruinas de un pasado burocrático », « las desvencijadas casas de dos pisos » (p. 364, 365, 373). La conjonction entre l’archaïque et le futuriste, l’hybridité temporelle, est une marque essentielle de La Bruya. Mais ce trait peut être étendu à des degrés divers à tous les autres récits. Le retard, la pauvreté et l’archaïsme sont monnaie courante à l’extérieur de Ville Ajania (« El fin de la Palabrística »), dans l’État qui est en face du pays des mentalistes dans l’île anonyme de « Neutralidad » et dans les secteurs les plus modestes d’Île Golasa (« Panconciencia. Un ensayo »). La phrase suivante d’Oeyen permet d’élargir ce phénomène de métissage chronologique translittéraire à la poétique elle-même de Cohen :

Es propia de la poética de Cohen esta manera de condensar, hacer coexistir e interactuar en un relato y en una sola isla imaginaria y futura aspectos futuristas y cibernéticos, arcaicos y decadentes, esa particularidad de crear un espacio donde chocan elementos del pasado y del porvenir, de lo atávico y lo ultramoderno 15 .

En ce qui concerne, maintenant, les personnages, le Delta Panoramique est un espace où émergent peu à peu des Personnages-Trans et des Corps-Trans. À côté de robots 16 ou d’êtres humains sans aucune particularité à remarquer, il y en a d’autres plus ou moins hybrides. Parmi les « humains » qui ont des Corps-Trans, nous en trouvons qui ont des implants technologiques, c’est le cas de la serveuse de « Usos de las generaciones », la fille d’Helena Saort : « Se ha hecho algunos implantes en la base orgánica: cables musculares en los antebrazos, botones sedativos en las yemas de los índices. » (p. 427) ; le texte indique donc « los implantes musculares » (p. 441) de Catalina. Dans le fragment suivant, extrait de la nouvelle « Un montón de adjetivos », c’est d’une « greffe » singulière de Leandra Chenán (la plasticienne d’Île Brunica) qu’il est question :

Dándose cuenta de que no había soltado el brazo de Leandra, [Melaní] lo apretó más: Qué duro tenés el brazo, dijo. Leandra se lo miró de soslayo: Es un injerto. ¿Cómo?, se sobresaltó Melaní, aunque no mucho. Hace un par de años tuve un accidente, declaró Leandra como de memoria, y me pusieron una porcioncita de tejido artificial. Una pizca de piedad y un chorro de contrición desencajaron la cara de Melaní. Leandra se apuró a explicarle que era un tramo de brazo muy bueno, muy maleable y de una resistencia increíble, del mismo material que les ponían a los ciborgues. (p. 357)

Cette citation confirme l’existence des ciborgs (p. 359) dans les îles du Delta et donne lieu au commentaire humoristique de Melaní : « Cuando la explicación terminó, Melaní ya casi se había evadido; no obstante regresó a tiempo: Yo ya no sé quién es medio aparato y quién ser humano.» (p. 357).

Pour sa part, le fantassin ou gardien du récit « Neutralidad » est un être totalement Trans dans la mesure où il est caractérisé comme une « machine de guerre », une sorte d’androïde entraîné et équipé pour le combat (p. 396, 397). En même temps, ce type hybride d’êtres humains-machines participent d’attitudes et de comportements des humains du Delta Panoramique : ils peuvent avoir des rapports sexuels (p. 396), se brancher sur la Panconscience (p. 397, 398) et être affectés par les mêmes phénomènes que les autres humains (p. 414) 17 . Pour renforcer l’ambiguïté, la narratrice de la nouvelle l’appelle « homme » une fois (p. 396).

Un personnage secondaire comporte un Corps-Trans, non pas dans la bivalence homme-machine, mais dans la bivalence physique et sexuel : l’éphèbe hermaphrodite, également dans « Neutralidad ». Si nous avons jusqu’ici mis en valeur le Corps-Trans, il n’en reste pas moins que tous les habitants du Delta Panoramique sont des êtres scindés, que ce soit par l’expérience de la Panconscience qui leur permet de transcender leur propre conscience, de traverser les psychés et de pénétrer la conscience d’autrui pour pouvoir participer à l’expérience de quelqu’un d’autre, ou bien par la présence du Locuteur Intérieur (p. 315, 317, 320, 329, 335, 354, 458, 459), qui est une sorte de « prothèse de conscience » 18 fastidieuse ; il constitue, selon nous, « une voix qui concurrence la conscience, une instance ennuyeuse qui l’affole en quelque sorte et qui est appelée à être neutralisée » 19 .

Si, chez les habitants du Delta Panoramique, nous avons repéré des Corps et des Psychés-Trans, nous pourrions évoquer un type de Personnage-Trans : les transfuges. Dans « Neutralidad », ce sont les habitants de l’une des moitiés de l’île qui veulent traverser la frontière pour venir s’installer et chercher du travail dans le pays des mentalistes. Ils fuient la pauvreté, la misère de leur pays sans nom, mais ils ne sont pas dépourvus de capacités : ils peuvent « transvaser » des formes de conscience depuis leur esprit dans l’esprit d’un hôte. C’est pourquoi cette capacité est « neutralisée » par une équipe embauchée par le Gouvernement des mentalistes. Dans tous les cas, « transfuges » est une dénomination ayant une connotation politique et géographique, de franchissement de frontière/s.

Le plan thématique

Sur le plan thématique, ce recueil est vraiment Trans, TransLittéraire dans plusieurs directions. Tous les sens du préfixe « trans » 20 sont représentés :

– ‘au-delà’ : l’un des axes thématiques du recueil est ce qui se passe au-delà des frontières. Par exemple, dans le cas de « El fin de la Palabrística », le narrateur, le sergent Doriac, peut décrire le paysage et les activités au-delà du mur circulaire de Ville Ajania.

– ‘de l’autre côté’ : l’opposition entre les deux moitiés de l’île de « Neutralidad » fait écho aux inégalités énormes au sein des sociétés de différentes îles 21 (Île Golasa, Île Ajania, La Bruya). Mais s’il est vrai que l’immigration dans l’île anonyme va dans une seule direction (les transfuges qui partent de leur pays pour gagner le pays des mentalistes), toujours est-il que les habitants du pays des mentalistes ont des incertitudes assez importantes sur ce qui se passe ‘de l’autre côté’ de la frontière, sur la situation précise du pays des immigrants (p. 404-406).

– ‘à travers’ : à part les formes « physiques » de la traversée présentes dans les nouvelles du recueil 22 , l’un des éléments narratifs communs à tous les récits est un autre type de traversée : la Panconscience. Il s’agit d’un phénomène psycho-sensoriel qui établit donc une double interconnexion, qui agit « à travers » dans deux sens bien précis : d’un côté, du point de vue narratif, à l’intérieur de chaque récit, le personnage traverse sa propre conscience pour pénétrer la conscience d’autrui et participer du vécu d’autrui (traversée psychique, phénomène inter et transpsychologique : entre deux consciences, mais aussi à travers les consciences) ; d’un autre côté, au niveau de la construction de l’ouvrage, la Panconscience traverse tous les récits, dans une traversée littéraire, mieux : dans un franchissement TransLittéraire.

– ‘changement’ : le « Trans » entendu en tant que transformation, changement, métamorphose atteint tous les protagonistes du recueil. Le sergent Doriac, empruntant la vision panoramique de Viol Minago – l’inventeur présumé de la Parolistique –, confirme la vision de sa propre île (« El fin de la Palabrística ») ; Leandra et Melaní changent et échangent de points de vue et de partenaires tout le long de la nouvelle (« Un montón de adjetivos ») ; les vies de plusieurs personnages sont modifiées de manière importante : Tálico par le souvenir et l’absence de Multon (« Cuando aparecen Aquéllos »), la narratrice de « Neutralidad » par « l’interaction » avec Roberto (le transfuge devenu pré-assimilé), Helena Saort par la perte de son anonymat (« Usos de las generaciones ») et Wiraldo Sang par la découverte présumée de la Panconscience (« Panconciencia. Un ensayo »).

Le plan artistico-discursif

L’hétéroclite TransLittéraire de Los acuáticos n’affecte pas seulement la diégèse ou les thèmes des nouvelles. On peut voir ce recueil comme une volonté esthétique de TransLittérature dans le mélange, la coexistence des arts et des discours façonnés dans et par la littérature. Voyons quelques exemples :

Dans « El fin de la Palabrística », la Parolistique elle-même fusionne la poésie (art et discours) avec le corps dans une nouvelle expression esthétique qui les dépasse : au moyen de corps humains ou d’androïdes, parvenir à construire des mots, des phrases, des devises. Le tout dans un récit présenté comme une sorte de brouillon d’un rapport de police (p. 329).

La poésie, quant à elle, transperce tout le recueil, s’immisce dans les récits, traverse les histoires, transcende les discours. Parce que l’immixtion des vers et des poèmes dans le tissu narratif s’opère dans le mélange des arts et dans la combinatoire discursive. Tantôt, dans « Usos de las generaciones » par exemple, il est possible de constater la présence d’un poème « inventé » par un journaliste-poète (et modifié par la suite, cf. p. 423, 424, 434, 445, 446, 448, 449), poème qui côtoie la presse « people » où il est question d’art et précisément de poésie également (p. 434, 445) ; tantôt, des vers bien « réels » sortent de la bouche d’un personnage, comme lorsque Multon déclame les vers de la poétesse russe Marina Ivanovna Tsvetaïeva (1892-1941) : « No nos atrae el lecho de placer;/ no nos asusta el lecho de muerte. » (p. 374, en italiques dans l’original, « Cuando aparecen Aquéllos »). Il va sans dire que les vers des prières de ses coéquipiers ont façonné la vision du monde du découvreur de la Panconscience, Wiraldo Sang (p. 471).

Le théâtre, la peinture, les arts plastiques, l’art narratif et l’art « de la conversation » se trouvent liés dans deux nouvelles : « Un montón de adjetivos » et « Cuando aparecen Aquéllos ». Dans la première, une installation artistique complexe constitue le préambule d’un discours qui narre l’histoire de deux femmes (la plasticienne et un de ses modèles et amie, Leandra et Melaní), dans une sorte de comédie romantique ou d’intrigue. Dans la seconde, la conversation interminable entre Multon et Tálico qui refont leur ville et le monde a comme cadre la culture « théâtrale » de La Bruya.

Dans « Un montón de adjetivos », les arts visuels et plastiques sont reliées au récit principal de la nouvelle du moment que toute « l’introduction » peut être comparée à une ekphrasis d’un type particulier. Celle-ci ne s’attache pas à présenter une seule œuvre artistique mais, dans le cas de Cohen, toute une installation comportant, à part vingt-six tableaux, la façade d’une maison abritant une sorte de salle de séjour avec des personnages en polyester et un grand portrait de femme, centre de tous les commentaires du public. Le tout rythmé par des lumières et un accompagnement musical configurant une scénographie un peu oppressante qui invite les visiteurs à sortir de l’installation (p. 339-341). La transmédialité de la nouvelle implique l’intégration d’un niveau « théâtral » à plusieurs échelles : celle du lexique (« tragedia », « guión », « escena » [plusieurs occurrences], « espectador », « obra » [ib.]), celle du public visitant l’installation (qui pouvait avoir le sentiment « dramatique » suivant : « el visitante podía sentirse […] el protagonista de una tragedia cuyo guión ignoraba » [p. 339]) ou celle de la comédie romantique des rencontres amoureuses ratées de Leandra et Melaní.

Quant à « Cuando aparecen Aquéllos », la fusion de la « théâtralité » avec les autres dimensions du récit est totale, car la caractéristique précise des habitants de La Bruya est de vivre et d’agir comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre. La société « bruyense » cultive une « antiquité » théâtrale qui se reflète dans l’architecture de la ville, les habits des gens et le côté artificiel de leurs gestes et de leurs mouvements, autant d’aspects contribuant à la renommée et à l’attrait touristique de l’île. Les passages suivants illustrent ce que nous venons d’affirmer : « Tálico haría un gesto muy expresivo si conociera a fondo las maneras teatrales que cultiva su isla », « La ropa de los paseantes armonizaba con la arquitectura de La Bruya, y el conjunto representaba fielmente el logro culminante de la vida local: una antigüedad tenue, casi caduca sin llegar a ruina. », « cada miembro se movía con […] artificialidad », « Y por cierto que la antigüedad de los edificios de La Bruya era un espectáculo. » (p. 360, 363, 364). Tout le récit (une analepse sur la dernière promenade de Tálico et Multon, les deux protagonistes) est parsemé d’indices lexicaux renvoyant à l’univers du théâtre, car l’action narrative se déroule comme étant la représentation d’une pièce où les personnages sont des acteurs qui jouent des rôles préétablis et qui suivent, en conséquence, un scénario déterminant leurs faits et gestes. La transmédialité de la nouvelle se retrouve dans le fait que l’univers théâtral transperce le récit à plusieurs niveaux (lexical, narratif, descriptif) façonnant ainsi une TransLittérature qui se nourrit de l’hétéroclite. Les incidences de la théâtralité de la narration sont nombreuses pour la trans-figuration de celle-ci. D’un côté, le récit ne peut pas être lu comme une série d’événements, mais le lecteur est invité à lire l’histoire comme une représentation totale où évoluent non pas des personnages, mais des personnages dans des rôles d’acteurs (dans le sens théâtral du terme). D’un autre côté, comme dans d’autres nouvelles du recueil, en prenant en compte d’autres paramètres et critères, la théâtralité se présente ici comme une clé de lecture d’un texte codé : sans l’interprétation des indices dramatiques, le sens n’est pas complet. Le jeu transmédial (théâtre-littérature) postulé, un accès le plus intégral possible au cœur de l’histoire est ainsi facilité.

Le Trans-Genre

Nous avons indiqué que le discours poétique envahit tout le recueil. Or, celui-ci efface les frontières entre les genres : les nouvelles qui le composent transitent entre deux eaux ; des éléments fantastiques et science-fictionnels peuplent les récits. De plus, d’autres genres sont convoqués, parodiés et détournés 23 . C’est le cas du premier récit (« El fin de la Palabrística ») où une enquête invraisemblable (faire des recherches sur la disparition supposée de quelqu’un) tient du genre policier dans un brouillon de rapport de police rédigé par un sergent. Si le discours mythique de la fondation de Ville Ajania parodie résolument l’histoire de l’Amérique latine (p. 12-16) en la détournant dans un contexte science-fictionnel, les discours/genres scientifique, biographique et historique se succèdent dans « Panconciencia. Un ensayo ». L’essai de définition de la Panconscience, l’exposé des phénomènes induits par l’état « panconscient » ainsi que l’étude d’autres symptômes associés sont suivis du portrait et des étapes de la vie de son découvreur (Wiraldo Sang). Une série de phases clôture la nouvelle, des phases par lesquelles est passée la Panconscience, sur un ton pseudo-historique.

Les inquiétudes sociopolitiques

Le tableau ne serait pas complet si aux inquiétudes littéraires nous n’ajoutions pas les inquiétudes sociopolitiques véhiculées par la TransLittérature de Marcelo Cohen 24 . De ce fait, il est clair que les liens entre forme (inquiétudes littéraires) et thématique (inquiétudes sociopolitiques) mettent en relation la TransLittérature cohenienne avec les TransLittératures hispano-américaines de l’ultra-contemporain 25 . Quant aux inquiétudes sociopolitiques inscrites dans l’ouvrage TransLittéraire de Cohen abordé dans cette étude, nous pouvons en évoquer quelques-unes.

De manière ciblée et ponctuelle, « El fin de la Palabrística » présente comme postulat de départ un des phénomènes actuels des grandes villes : la surpopulation. À partir d’un rétrécissement progressif du périmètre urbain, le manque d’espace se fait sentir et conduit à la gestation de la Parolistique, une activité qui aura comme conséquence un gain d’espace pour les citoyens. Si nous pouvons de même énoncer l’assistance sanitaire et sociale des populations en situation de précarité (« Un montón de adjetivos »), la fascination exercée sur la population d’un appareil artistico-technologique et sensoriel (le « module » de « Usos de las generaciones »), la mise en scène urbaine de la violence (« Cuando aparecen Aquéllos »), les problématiques dérivées de l’immigration et d’une meilleure pré-assimilation des immigrants pour mieux les asservir (« Neutralidad »), une inquiétude politique d’ordre socio-économique qui est presque systématique dans les récits de Los acuáticos (mais, par extension, dans toute l’œuvre de Cohen) est la fracture riches vs pauvres. Si, dans « Cuando aparecen Aquéllos », ce qui différencie les mendiants du reste de la population, c’est le fait qu’ils n’ont que ce « rôle » à jouer dans une île-ville (La Bruya) où les habitants peuvent faire usage de plusieurs rôles dans leurs relations sociales 26 , dans la plupart des nouvelles la scission économique est marquée du trait « spatial ». Dans « El fin de la Palabrística », le centre d’Île Ajania coïncide avec le centre de Ville Ajania où la situation aisée des citoyens contraste avec les populations précaires périphériques ou celles extra-muros. Plus les habitants s’éloignent du centre, plus ils sont dans l’entassement, la pauvreté ou une condition de retard technologique. Les transfuges de « Neutralidad » émigrent de leur pays dans le pays voisin, celui des mentalistes, suite à une situation de vulnérabilité socio-économique (p. 404). La traversée des frontières rime, dans leur cas, avec l’amélioration des conditions de vie. Un dernier exemple, celui d’Île Golasa, l’île du découvreur de la Panconscience :

Wiraldo Sang había nacido en Isla Golasa, un territorio de colinas rasgadas por uno que otro centro administrativo, suntuosos campos de exclusión para la gente productiva y densos amasijos de chozas para los desempleados. La frontera entre una clase de vida y otra no siempre era un bosque. A veces era una doble línea de setos inteligentes o un simple muro de hormigón. (p. 462)

Dans ce dernier cas, la fracture sociale induit une nette séparation spatiale : les riches d’un côté, les pauvres de l’autre, comme c’est le cas dans plusieurs mégapoles latino-américaines où les quartiers dits « fermés » s’opposent aux bidonvilles.

Après ce voyage dans le Delta Panoramique, il est important de revenir sur notre hypothèse de départ. Il s’agissait d’étudier en quoi et comment la littérature de l’auteur argentin devenait à partir de 2001 une TransLittérature. Celle-ci se caractériserait par la présence de l’ambigu, de l’enchevêtrement des genres et des assemblages inter- et transmédiatiques et artistiques.

Au cours de notre analyse multidimensionnelle, nous avons exploré et mis en évidence des phénomènes textuels et esthétiques relevant de l’hétéroclite et configurant une poétique résolument TransLittéraire. Nous avons pu constater que la TransLittérature de Marcelo Cohen se construit par le mélange et l’imbrication de plusieurs éléments et sur plusieurs plans. Du point de vue de la construction de l’histoire, la diégèse comporte une altération des paramètres spatio-temporels ainsi que la présence de Personnages-Trans qui confirment le caractère hétéroclite du recueil. Les thématiques abordées, la mise en place d’un Trans-Genre qui efface les frontières discursives et qui fait appel à plusieurs types d’arts, de genres et de discours et l’inscription explicite d’inquiétudes sociopolitiques permettent de prouver que Los acuáticos est un recueil empreint du préfixe trans-.

Dans la production littéraire de Cohen correspondant au XXe siècle, il est indéniable que l’on retrouve des combinaisons inquiétantes et des associations insolites 27 . Néanmoins, et malgré notre propos un peu schématique, réducteur mais également synthétique, chaque ouvrage (roman ou recueil) entremêle réalisme et fantastique dans un univers particulier s’inscrivant dans les coordonnées de notre monde dans un avenir proche relatif au moment de production. Tantôt l’Argentine et ses coordonnées sociopolitiques tantôt l’Espagne ou l’Europe et les leurs sont identifiables soit par des références explicites, soit par des allusions plus ou moins voilées 28 . Or, à partir de Los acuáticos, les alliances inespérées doivent composer avec des coordonnées tout autres : celle de la science-fiction. Le paradigme esthétique change, parce que les postulats poétiques – dans le sens de la poíēsis, des principes de création – en sont déplacés à la fois à la fois dans le temps et dans l’espace : il ne s’agit plus d’un décalage chronologique proche, mais d’un saut temporel dans un avenir très éloigné ; il ne s’agit plus des coordonnées spatiales de notre monde, mais d’un monde autre, d’une géographie imaginaire infiniment insulaire. Los acuáticos est la forge du Delta Panoramique. Cet espace imaginaire ne reliera pas seulement les nouvelles du recueil. Il ne sera ni un épiphénomène dans la production de l’auteur argentin, ni un endroit restreint à un seul ouvrage, comme le Bardas de Krámer de Insomino ou le Lorelei de El oído absoluto. Le Delta Panoramique sera adopté par l’auteur comme le siège de pratiquement toutes les fictions qu’il aura élaborées au XXIe siècle. De plus, comme nous l’avons vu, l’intégration assumée de la science-fiction entraînera comme conséquence une modification de l’esthétique de Cohen, avec l’incorporation de personnages hybrides, une dimension Trans-Genre prédominante et une combinatoire de phénomènes sociopolitiques, artistiques et discursifs. Les transformations profondes au niveau de l’écriture comportent naturellement des incidences au niveau de la lecture. Dans la production cohenienne du siècle dernier, le lecteur constatait un léger déplacement dans les références. À partir de Los acuáticos, les clés de lecture changent et, étant donné que les procédés d’écriture se complexifient avec des combinaisons de paramètres plus « défamiliarisants » 29 , l’effort de décodage du lecteur augmente en proportion. La naissance du Delta Panoramique est ainsi un point d’inflexion esthétique dans l’œuvre cohenienne.

Tous les sens du préfixe trans- se retrouvent ainsi réunis dans Los acuáticos. Ce recueil va « au-delà » de ce que Cohen avait produit jusque-là, notamment parce qu’il passe « de l’autre côté » du miroir science-fictionnel et « à travers » les arts et les discours ; il produit à jamais un « changement » esthétique majeur, profond et durable dans l’œuvre de l’auteur. En somme, une métamorphose TransLittéraire.

 



Notes    (↵ returns to text)
  1. Jacques Ladsous, « Multi, inter, trans », VST – Vie sociale et traitements 86, 2005, p. 7.
  2. Jürgen Ernst Müller, « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision », Cinémas : revue d’études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies 10/2‑3, 2000, p. 105‑134. « Vers l’intermédialité : histoires, positions et options d’un axe de pertinence », Médiamorphoses. L’identité des médias en questions, 2006, p. 99‑110.
  3. Jürgen Ernst Müller, « Vers l’intermédialité : histoires, positions et options d’un axe de pertinence », cit.
  4. Alfonso de Toro, Épistémologies, le Maghreb: hybridité, transculturalité, transmédialité, transtextualité, corps, globalisation, diasporisation, Paris, L’Harmattan, 2009.
  5. Miriam Neri Chiani, Cuando el narrador escucha. Sobre la presencia de la música en los textos críticos y narrativos de Marcelo Cohen [1973-2008], Universidad Nacional de La Plata, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación, 2012, thèse de doctorat en ligne.
  6. Marcelo Cohen, Los acuáticos, Buenos Aires, Grupo Editorial Norma, 2001.
  7. Un ouvrage central dans la production de Cohen est El oído absoluto (Barcelone, Muchnik Editores, 1989 pour la première édition), roman qui précède l’invention du Delta Panoramique et dans lequel on peut aussi trouver des éléments caractéristiques de la TransLittérature, surtout dans les mélanges des genres et l’inclusion thématique de la musique et d’autres arts. Quant à son dernier ouvrage publié, La calle de los cines (Madrid-Buenos Aires, Editorial Sigilo, 2018), toujours centré sur le même espace du Delta, on trouve une autre manifestation artistique : le cinéma.
  8. Marc Angenot, « Le paradigme absent : éléments d’une sémiotique de la science-fiction », Poétique, 1978, p. 74‑89.
  9. Darko Suvin, Pour une poétique de la science-fiction: études en théorie et en histoire dun genre littéraire, trad. Gilles Hénault, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1977.
  10. On pourrait se demander légitimement si l’invention de l’espace du Delta Panoramique et de son langage pourrait être en rapport avec le fait que Marcelo Cohen a vécu en Espagne pendant une vingtaine d’années (de 1975 à 1996) et qu’il est traducteur. L’univers Trans / Inter / Multi serait aussi présent d’après ce point de vue dans son œuvre.
  11. Pour les différents syntagmes nominaux, noms isolés ou gentilés inventés par Cohen, c’est nous qui proposons une traduction.
  12. Nous respectons en français l’absence de déterminant devant le mot Île, suivant en cela l’original.
  13. Nous citons par la dernière édition des Relatos reunidos, Buenos Aires, Alfaguara, 2014.
  14. Annelies Oeyen, « La caminata urbana construye espacios literarios: un análisis de “Cuando aparecen Aquéllos” de Marcelo Cohen », RILCE: Revista de filología hispánica 29/1, 2013, p. 102, 103.
  15. Ibid., p. 103.
  16. Androïdes (p. 334), ou bien plusieurs types de robots (« robotinas », p. 312 ; des « robots », p. 364, 445 ; un robot « organique », p. 375).
  17. Ils sont sensibles à la transfusion des formes de consciences que peuvent inoculer les transfuges.
  18. Thierry Tournebise, Le grand livre du psychothérapeute, Paris, Éditions Eyrolles, 2011, p. 28.
  19. Ricardo Torre, L’œuvre de Marcelo Cohen: entre sociologie fantastique et géographie imaginaire, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 2016, p. 163, note 227, thèse de doctorat inédite.
  20. Miriam Neri Chiani (éd.), Escrituras compuestas: letras, ciencia, arte. Sobre Silvina Ocampo, Arturo Carrera, Juana Bignozzi y Marcelo Cohen, Buenos Aires, Katatay, 2014, p. 7.
  21. Les différents niveaux ou plans d’analyse que nous proposons se juxtaposent parfois. Nous voyons ici (sur le plan thématique) qu’apparaissent des éléments de critique sociopolitique. Quant à la juxtaposition indiquée, la question « Trans » figure, bien évidemment, sur presque tous les plans.
  22. Traversée des frontières ou des limites géographiques – « El fin de la Palabrística », « Neutralidad » –, traversée de la ville en promenade – « Cuando aparecen Aquéllos » –, traversée du regard vers d’autres espaces géo-sociaux – « Un montón de adjetivos » – ou bien vers des endroits extérieurs du point d’observation – lorsque le narrateur « suit du regard » le jeune homme à l’extérieur du bar où se déroule l’action dans « Usos de las generaciones ».
  23. Nous constatons ainsi une tension maximale au niveau du genre littéraire, tension typique de l’œuvre cohenienne qui, dès le début, efface les frontières entre réalisme et fantastique (cf. El instrumento más caro de la Tierra, 1981). Ce constat effectué, il n’en reste pas moins que l’entrecroisement des genres, sur un fond diégétique de science-fiction, arrive à son paroxysme dans Los acuáticos.
  24. Une approche intermédiale pourrait être appliquée à Los acuáticos afin d’aborder les inquiétudes sociopolitiques de l’auteur, mais cette approche semble encore plus pertinente dans des ouvrages précédant le Delta Panoramique (par exemple, le recueil El fin de lo mismo de 1992 ou bien les romans Insomnio [1985] ou El oído absoluto [1989] où l’influence des médias [télévision, radio] est déterminante sur l’action narrative et sur la critique sociale et politique véhiculée).
  25. Par « ultra-contemporain », nous entendons la période de production littéraire depuis l’an 2000.
  26. Au cours de l’échange sur la mendicité à La Bruya, nous lisons : “¿Ha visto que nuestros mendigos, dijo entonces Multon, no tienen yoes secundarios como todos nosotros? Tálico estaba de acuerdo. Los mendigos que la cultura teatral fomentaba eran los únicos seres no provisionales de La Bruya; los únicos individuos sin continuas variantes, claramente individualizados, incapaces de ofrecer un yo diferente a cada interlocutor. Sí, cada mendigo se acomoda a un solo papel, dijo Multon; no como nosotros, que para huir del reparto de roles necesitamos al menos esta solución de a dos.” (p. 370) Ce qui revient à dire que la réduction des moyens économiques se traduit par une réduction des possibilités d’existence et d’expression personnelles.
  27. Une ville autonome inventée en pleine Patagonie argentine (Insomnio), une prison à ciel et à mer ouverts (« La ilusión monarca » dans El fin de lo mismo), pour n’en citer que deux.
  28. Pour le contexte argentin : Insomnio, El fin de lo mismo, El testamento de O’Jaral (1995), Inolvidables veladas (1995), Hombres amables (1998) ; pour le contexte espagnol/européen : El buitre en invierno (1985), El sitio de Kelany (1987) ; pour les deux : El instrumento más caro de la Tierra (avec, quand même, une nette prédominance des coordonnées sociales et politiques argentines) et El país de la dama eléctrica (1984).
  29. Intégration de la science-fiction, d’un lexique déstabilisant et d’associations, non pas de « traits » différents, mais de phénomènes très divergents (par exemple : résoudre le problème de la surpopulation urbaine par le moyen d’une activité sportive et artistique du corps et de l’esprit, le tout dans un rapport de police [« El fin de la Palabrística »]).

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Auteur

Ricardo Torre est maître de conférences en didactique de l’espagnol dans l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation de l’académie de Créteil au sein de l’Université Paris-Est Créteil (94). Il est membre associé au laboratoire IMAGER (EA 3958, Institut des mondes anglophone, germanique et roman) de l’UPEC depuis 2011 et membre titulaire du laboratoire depuis 2019 dans le groupe de travail LANGUenACT (Langues, langages & énaction). Il a présenté plusieurs travaux de recherche en Espagne et en France dans les domaines de la littérature et de la civilisation latino-américaine (immigration, identité, multiculturalisme), de la didactique et de la traduction.

Pour citer cet article

Ricardo Torre, ¿Quién de nosotros escribirá Los acuáticos? ou comment appréhender l’hétéroclite, ©2021 Quaderna, mis en ligne le 10 mai 2021, url permanente : https://quaderna.org/5/quien-de-nosotros-escribira-los-acuaticos-ou-comment-apprehender-lheteroclite/

¿Quién de nosotros escribirá Los acuáticos? ou comment appréhender l’hétéroclite
Ricardo Torre

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