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# 04 «Found in (Mis)Translation »

Lauric Henneton, La fin du rêve américain ?, Paris, Odile Jacob, 2017

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En novembre 2016, au terme d’une campagne présidentielle jugée hystérique, un magazine français choisissait d’interroger un collègue chercheur sur la fin éventuelle du rêve américain. L’évolution de l’économie mondiale et les crises internes de la dernière décennie avaient-elles mis un terme à cette foi proprement états-unienne en la possibilité d’un progrès social individuel ? L’entretien tentait ainsi de donner à voir à un public français à la curiosité aiguisée les raisons du désarroi d’une partie de la population séduite par le discours du candidat républicain à la Maison Blanche.

Une démarche similaire parcourt le dernier ouvrage de Lauric Henneton, également intitulé La fin du rêve américain ? et publié quelques mois après l’accès de Donald Trump à la présidence des États-Unis. L’auteur y ausculte les peurs de déclin et de déclassement d’une population américaine dont l’identité s’est construite sur la « promesse de progrès » (p. 14) et d’accomplissement personnel. En six chapitres et un épilogue, complétés par quelques annexes principalement statistiques, des notes bibliographiques et un index, l’ouvrage s’interroge sur l’origine, le contenu et la validité de ces discours et perceptions déclinistes.

C’est d’abord à « une certaine idée de l’Amérique » (p. 31) que Lauric Henneton s’intéresse, celle bien connue d’une « terre de refuge » (p. 33) pour les Puritains, puis pour différentes minorités ; celle d’un « espace de réalisation de soi » (p. 44) où la réussite devient possible à force de travail ; et celle d’un pays guidé, protégé par la Providence. L’histoire de la construction des États-Unis n’est cependant pas exempte de craintes, notamment d’une tyrannie politique ou religieuse venue d’Europe. La peur d’une subversion catholique irrigue, par exemple, la migration puritaine en Nouvelle-Angleterre quand celle d’abus de pouvoir du roi d’Angleterre anime la population à la période révolutionnaire. Le mélange d’optimisme, l’accès à un monde des possibles et au progrès, et de pessimisme, l’émigration subie et la perte potentielle du nouveau paradis, apparaît ainsi à l’origine de la fondation des colonies, puis des États-Unis.

La « peur du déclin » de ce pays porteur de promesses s’accompagne de l’identification régulière et répétée de « boucs émissaires » variables selon les régions et les époques (p. 59). A partir du XIXe siècle, ce sont ainsi les francs-maçons, les Irlandais, les catholiques ou les bolcheviques qui deviennent les cibles de certains citoyens et penseurs. Dans des contextes d’incertitude liée à des changements sociétaux divers, c’est la défense des valeurs et des visées politiques américaines qui est alors en jeu. Cette mise en perspective historique se termine par l’identification rapide d’une série d’éléments ayant entraîné un « malaise de plus en plus profond au sein de la classe moyenne blanche » (p. 76) depuis les années 1970 et la perception des années 1950 comme un âge d’or perdu. Les discours déclinistes et les boucs émissaires de la dernière campagne présidentielle américaine s’inscrivent ainsi dans une certaine lignée.

Lauric Henneton entreprend ensuite l’évaluation du déclin supposé des États-Unis dans la dernière décennie à partir de trois aspects de la construction identitaire américaine : la conviction que le pays doit « naturellement diriger le cours de l’histoire » (p. 80) ; la peur du « grand remplacement » (p. 115) de la population blanche et protestante, ou tout du moins chrétienne ; et la question de l’occupation du territoire et du rapport à la nature. Ainsi, la remise en cause de l’interventionnisme américain et la mise en avant d’une diplomatie moins agressive sous la présidence de Barack Obama (2009-2017) ont provoqué l’inquiétude d’une perte de la puissance et de l’influence américaines sur la scène internationale. La fin annoncée du statut majoritaire de la population blanche s’accompagne, quant à elle, d’un « raidissement identitaire de la population » (p. 119) et d’un durcissement de la législation en matière d’immigration, et le « spectre de l’islamisation » et de la « sécularisation » (p. 147 ; 164) est perçu comme une atteinte aux fondements chrétiens de l’Amérique. Enfin, la crise des subprimes amorcée en 2007 a provoqué une remise en question du modèle d’accès à la propriété, symbole du rêve américain.

Néanmoins, l’auteur nuance ces différentes assertions de déclin en confrontant la « réalité » des données aux « perceptions » d’une certaine frange de la population (p. 158). Il réfute, par exemple, l’affaiblissement économique des États-Unis à l’échelle mondiale et met en parallèle les décisions de retrait diplomatique et de reconstruction nécessaire d’un pays où les infrastructures sont délabrées et où les inégalités se creusent. Il affirme ensuite que le solde migratoire avec le Mexique est négatif depuis la fin des années 2000, que les musulmans sont « plus diplômés et plus riches » que la moyenne de la population (p. 161), ou que deux tiers des Américains qui se déclarent non-affiliés à une Église n’en demeurent pas moins croyants. Dans le dernier chapitre, consacré aux banlieues, il note enfin « la résistance et le retour du périurbain » (p. 217) avec une croissance renouvelée de la construction immobilière et de la population dans ces zones éloignées des centres urbains. Il modère également la vision de banlieues homogènes et blanches à partir d’exemples de localités où le pourcentage de groupes dits minoritaires est significatif. Il estime néanmoins que, malgré la reprise, la persistance du modèle périurbain n’est pas nécessairement assurée sur le long terme du fait de contraintes écologiques et financières et d’évolutions sociétales.

L’épilogue du livre propose un cas d’étude de l’État de Californie qui incarne, selon l’auteur, un modèle de rêve américain alternatif à celui envisagé par le nouveau président. Plutôt que de mettre l’accent sur la restauration d’un idéal de grandeur et d’homogénéité perdu, passé (selon le slogan de campagne de Donald Trump), la Californie tente de se présenter en terre d’asile prospère où le progrès de chacun est possible à force de travail et où la protection de l’environnement est une priorité. Émergent ainsi deux projets de société susceptibles d’être repris par les candidats en compétition aux futures élections locales ou nationales.

Au final, le propos de l’auteur n’est pas circonscrit au seul rêve américain de progrès social individuel, mais porte également, comme énoncé en introduction et en conclusion, sur la « (re)construction » d’une certaine « vision de l’Amérique » (p. 238), une Amérique « idéalisée », « rêvée » (p. 11) par la population adhérant au discours de Donald Trump. Dans sa promesse de rendre sa grandeur à l’Amérique, se côtoient des composantes économiques et sociales, mais aussi géopolitiques, comme la question du leadership des États-Unis sur la scène internationale. L’auteur entame aussi une réflexion annexe sur l’équilibre entre vote républicain et vote démocrate au sein de la population états-unienne à travers la question du poids électoral des minorités évoquées, tels les Hispaniques, les musulmans ou les non-affiliés, ainsi que des habitants des zones périurbaines, un des enjeux des mutations démographiques étant la possible émergence d’une majorité démocrate.

A l’image de l’entretien cité ci-avant, de nombreux journalistes, analystes politiques ou chercheurs ont récemment tenté de donner du sens à l’élection du candidat républicain à la Maison Blanche en novembre 2016. Dans une série d’ouvrages et de documentaires, pour certains partisans, ils ont donné la parole à la population, décortiqué les stratégies de communication modernes, retracé les évolutions des institutions politiques et gouvernementales ou encore interrogé le rapport au monde des États-Unis. L’ouvrage de Lauric Henneton, qui examine leur construction identitaire en mélangeant analyses historique, politique et sociologique, s’inscrit dans cette tendance.

Auteur

Sonia Birocheau est maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’université Paris-Est Créteil. Historienne de l’éducation, ses publications portent sur l’évolution des métiers de l’enseignement et des systèmes scolaires états-uniens, principalement à la période progressiste. Parmi ses thématiques de recherche figure la question de l’élaboration de modèles, de normes, d’idéaux et leur appropriation dans la pratique.

Pour citer cet article

Sonia Birocheau, Lauric Henneton, La fin du rêve américain ?, Paris, Odile Jacob, 2017, ©2018 Quaderna, mis en ligne le 30 octobre 2018, url permanente : https://quaderna.org/4/comptes-rendus-4/lauric-henneton-la-fin-du-reve-americain-paris-odile-jacob-2017/

Lauric Henneton, La fin du rêve américain ?, Paris, Odile Jacob, 2017
Sonia Birocheau

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