Cartographier l’Autre : Altérité, identité et espaces. Une introduction
Abstract
The Other is frequently decorrelated from the many forms that make up his or her Being. Often considered through clichés, the Other is imagined rather than understood. By separating what really makes up its ontological dimension (Being) from the physical performances of the latter (beings), and without really deciphering their identities, Western societies do not consider the differences that exist among the individuals of a group of people who are othered. This becomes even more apparent when these othered identities are linked to the spaces in which they are constructed. This issue of Quaderna looks at how othered subjects appropriate these spaces—whether physical or moral—to transform them into heterotopias. The aim is to analyze how they autonomously construct their identities.
Résumé
L’Autre est fréquemment décorrélé de plusieurs formes qui composent son Être. Souvent considéré à travers des clichés, cet Autre est d’abord imaginé plutôt que compris. En séparant ce qui fait réellement sa dimension ontologique (l’Être) des performances physiques de cette dernière (les étants), les sociétés occidentales ne font que distinguer les individus autres, sans déchiffrer leurs identités. Cela est encore plus visible lorsque ces identités-autres sont liées aux espaces dans lequels elles sont construites. Ce numéro de Quaderna s’applique à saisir la manière dont les sujets-autres s’emparent de ces espaces – qu’ils soient physiques ou moraux – afin de les transformer en hétérotopies. Il s’agit d’analyser comment ils construisent, eux-mêmes, leurs identités.
Texte intégral
Le soir du 27 juin 2023, la ville de Nanterre et plusieurs communes environnantes se situant dans les Hauts-de-Seine s’embrasaient à la suite de la mort de Nahel Merzouk, un adolescent franco-algérien de 17 ans, tué plus tôt dans la matinée par un policier lors d’un contrôle routier. En début de journée, plusieurs grands médias reprenaient les informations apportées par la police et indiquaient que le conducteur avait foncé sur les agents, les conduisant à ouvrir le feu, à bout portant, et à invoquer la légitime défense. Ces sources policières furent rapidement contredites par deux vidéos postées sur les réseaux sociaux dans les heures suivant l’événement 1 . Les versions soutenues plus tard par les deux passagers du véhicule démentirent également les éléments mis en avant par les forces de l’ordre alors qu’elles cherchaient à justifier l’action du policier. À l’abasourdissement du premier jour succéda une vague de contestation ; des émeutes qui se tinrent principalement dans les quartiers populaires de villes françaises, ainsi qu’en Belgique et en Suisse. Les protestations violentes se déroulèrent pendant une dizaine de jours, laissant derrière elles – outre les voitures et poubelles brûlées, les dégâts sur les chaussées, et les arrestations massives des manifestant·e·s – l’expression de sentiments de lassitude de ne pas être considéré·e·s comme membres à part entière de la société française et des États occidentaux dans leur ensemble 2 .
Nanterre se situe dans la banlieue parisienne, à l’ouest de la capitale française, et accueille, en partie, le quartier d’affaires de la Défense. Comme nombre de communes des Hauts-de-Seine et de la Seine-Saint-Denis toute proche (territoire populaire qui est le département concentrant le plus de personnes pauvres en France hexagonale), la population de la ville inclut une grande communauté de personnes issues de l’immigration, originaires, pour nombre d’entre elles, du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou, dans une moindre mesure, d’Europe méridionale 3 . Pour autant, si les premières générations de cette partie de la population venaient des anciennes colonies françaises (en tout cas pour celles et ceux natifs du continent africain, en particulier d’Algérie), leurs enfants, nés en France et ayant la nationalité française, n’ont pas pleinement été inclus dans « l’identité nationale » 4 . Au sentiment d’urgence des parents s’est substitué celui d’illégitimité de la part de leurs enfants, car certain·e·s Français·e·s ne les perçoivent pas comme membre à part entière de la nation – menant de fait à la recherche d’une identité culturelle propre 5 . En plus de ces sentiments de marginalisation à travers l’origine ethnique et culturelle, on peut aussi compter une mise à l’écart, étant donné les territoires occupés par ces populations sur le sol de la France hexagonale. Si l’Île-de-France – en tant que centre économique, politique et culturel du pays – n’est pas le seul territoire à accueillir de fortes populations d’immigrés, celles-ci représentent 16,9 % du total de ses habitants, contre 2,7 % pour les Pays de la Loire 6 , par exemple, qui ont une attractivité économique moindre – sans prendre en compte les personnes descendant d’immigré·e·s.
Ces phénomènes de marginalisation de communautés entières ne sont pas spécifiques à la France et ne s’inscrivent pas exclusivement dans le contexte de l’immigration. Ils se trouvent dans de nombreuses relations sociales, en particulier lorsqu’elles opposent un groupe dominant à une ou plusieurs minorités, qu’elles soient ethniques, de race, de classe, de genre, de sexualité, de cultures et traditions, de religion ou autre système de catégorisation. Puisqu’ils sont différents des attendus de la partie majoritaire de la population ainsi que des normes établies, les individus des minorités sont perçus et, par là même, construits comme Autres.
Définir l’Autre : de la construction de l’identité-autre
Dans les sociétés occidentales 7 , l’Autre est celui qui est mis à distance car il ne fait pas partie du groupe dominant. Cette conception de l’altérité répond à des idées préconçues, à une doxa qui se crée en fonction de codes facilitant une lecture simple de la société, en d’autres termes à travers des représentations réductrices des sujets concernés. Bien qu’elles soient le plus souvent nuancées dans leur acception, certaines conceptions de l’altérité sont obtuses 8 . Aussi, quand l’altérité ne se restreint qu’aux archétypes et aux stéréotypes, elle est perçue, construite et reconnue de façon limitée, à la lumière d’un solipsisme opposant le soi à l’Autre. Au contraire, il faudrait les lier pour les définir l’un avec l’autre, en passant d’une analyse binaire à une analyse dialectique. L’altérité est, ainsi, à la fois la perception d’autrui « en tant que » et comme « semblable » 9 . Paul Ricœur, dans la préface de son œuvre Soi-même comme un autre, met en lumière ce lien nécessaire à la construction de soi en regard de l’altérité :
(…) « autre » figure, comme on a pu le remarquer en passant, dans la liste des antonymes de « même » (…). Il en va tout autrement si l’on met en couple l’altérité avec l’ipséité. (…) Soi-même comme un autre suggère d’entrée de jeu que l’ipséité du soi-même implique l’altérité à un degré si intime que l’une ne se laisse pas penser sans l’autre, que l’une passe plutôt dans l’autre (…). Au « comme », nous voudrions attacher la signification forte, non pas d’une comparaison – soi-même semblable à un autre –, mais bien d’une implication : soi-même en tant que… autre. 10
Le lien établit par Ricœur entre altérité et identité permet de souligner l’un des éléments implicites de cette altérité : il s’agit de concevoir que le soi peut lui-même être « Autre », et qu’il ne peut qu’être « Autre ». En ce sens, de façon déductive, le soi est toujours l’Autre d’un autre – en plus de ne pas pouvoir exister sans l’Autre 11 . C’est un problème exposé par Jean-Paul Sartre – celui du solipsisme – lorsqu’il s’agit d’interpréter le rapport à l’Autre en fonction de soi :
Ainsi l’autre ne peut être, dans la perspective idéaliste, considéré ni comme concept constitutif ni comme concept régulateur de ma connaissance. Il est conçu comme réel et pourtant je ne puis concevoir son rapport réel avec moi, je le construis comme objet et pourtant il n’est pas livré par l’intuition, je le pose comme sujet et pourtant c’est à titre d’objet de mes pensées que je le considère. Il ne reste donc que deux solutions pour l’idéaliste : ou bien se débarrasser entièrement du concept de l’autre et prouver qu’il est inutile à la construction de mon expérience ; ou bien affirmer l’existence réelle d’autrui, c’est-à-dire poser une communication réelle et extra-empirique entre les consciences. 12
Ce solipsisme (la première solution) est rejeté par le philosophe en tant qu’« hypothèse métaphysique, parfaitement injustifiée et gratuite, car elle revient à dire qu’en dehors de moi rien n’existe » 13 . C’est à partir de ces idées et de cette deuxième hypothèse que l’Autre est entendu ici ; à savoir que le moi ne peut exister sans l’Autre 14 . Aussi, quelles relations, quels liens peuvent s’établir entre ces deux figures ontologiques ? Comment l’argument phénoménologique permet-il de pouvoir en saisir les singularités ? Il faut s’intéresser à la façon dont l’Autre est observé pour répondre à ces questions ; et d’abord prendre en compte la question de la réflexivité du sujet-observant :
(…) il ne peut y avoir de sujet réconcilié que dans une réflexivité non pas prouvée par l’Autre mais éprouvée via l’autre. L’autre ne peut médiatiser la réflexivité qu’en tant qu’il est immanent, replacé dans une humanité dont on fait l’expérience et à laquelle contrevient toute théorisation postulant la vérité comme extérieure et supérieure au sujet, qu’il soit le Même sous le regard de Foucault, ou l’Autre sous celui de Misrahi. (…) [D]ès que l’Autre est théorisé comme a priori, avant d’en faire l’épreuve, le rapport devient faux, injuste, générateur d’injustice parce que disjoint, coupé du monde. 15
Le rapprochement à l’Autre impose, par conséquent, de le reconnaître dans tout ce qui lui donne des caractéristiques et des caractères humains, dans ce qui en fait, non plus un objet, mais bien un sujet intelligible et doué de raison, dont l’Erlebnis – son expérience vécue – lui permet de s’exprimer sur des thèmes qui le concernent ; qu’ils soient intimes ou de l’ordre de la relation sociale face au groupe dominant.
Considéré de cette manière, dans les sociétés occidentales contemporaines, le lien avec l’Autre ne doit pas et ne peut pas être uniquement envisagé à travers le prisme du sujet-observant, dans la mesure où l’Autre a une capacité d’action qui lui est propre, une « agency » 16 qui lui permet de se raconter lui-même, de dire et de commenter, par lui-même, son histoire, ses expériences, ses envies, ses passions, son humanité. En faisant cela, il met en œuvre son origine, ainsi que sa place dans le monde – autrement dit, pour réemployer un terme heideggérien, son Dasein, son « être-là » – de même que sa Weltanschauung, sa vision du monde. L’Autre est, en conséquence, acteur de son Être et de ses étants 17 , tout autant qu’il peut en être l’auteur. Si l’on envisage cette position, dès que son expérience est prise en compte, l’Autre devient sujet et non plus objet. En sa qualité de sujet capable d’agir et de se raconter, il met en avant son identité, mélange d’aspirations et de désirs divers qui fondent son ipséité.
Comme pour toute identité cependant, elle peut perdre tout ce qui la construit lorsqu’elle est mise en lumière, questionnée et analysée. Dans les discours universitaires et sociétaux par exemple, l’identité perd fréquemment de son sens, pour se retrouver figée, voire sclérosée. Le « “risque” de l’essentialisme » 18 lorsque l’on parle « d’identité », notamment dans les sciences humaines, est de conceptualiser cet Autre à travers une réification commode pour l’analyse – une chosification qui omettrait de prendre en compte cette expérience vécue et sa complexité, tant dans la société dans son ensemble que par la vision propre du sujet-observant.
Dans Peau noire, masques blancs, le psychiatre et militant Frantz Fanon faisait état de cet abord de l’Autre à travers le prisme de stéréotypes essentialisants. Il expliquait comment les lieux communs déformaient la façon dont cet Autre (ici, l’homme noir) est dépeint – il devient un objet de crainte, dont l’identité est ossifiée dans l’inconscient collectif. Dans son essai, Fanon traite de la manière dont les identités des personnes noires sont construites, en opposition à leurs expériences vécues :
– Regarde le nègre !… Maman, un nègre !… Chut ! Il va se fâcher… (…)
Mon corps me revenait étalé, disjoint, rétamé, tout endeuillé dans ce jour blanc d’hiver. Le nègre est une bête, le nègre est mauvais, le nègre est méchant, le nègre est laid ; tiens, un nègre, il fait froid, le nègre tremble, le nègre tremble parce qu’il a froid, le petit garçon tremble parce qu’il a peur du nègre, le nègre tremble de froid, ce froid qui vous tord les os, le beau petit garçon tremble parce qu’il croit que le nègre tremble de rage, le petit garçon se jette dans les bras de sa mère : maman, le nègre va me manger. 19
Examiné depuis le point de vue des sociétés occidentales, le récit de l’altérité se fait par la crainte associée à un déplacement géographique ; un espace qui n’est pas celui de cet Autre. L’homme noir devient Caliban, le monstre shakespearien transformé en Noir révolté et émancipé par Césaire dans sa pièce de 1968, Une tempête. Et Fanon de continuer : « Je décidai, puisqu’il m’était impossible de partir d’un complexe inné, de m’affirmer en tant que NOIR. Puisque l’autre hésitait à me reconnaître, il ne me restait qu’une solution : me faire connaître » 20 . Le monstre prend dès lors possession de son identité-autre, la fait sienne, à la fois en tenant compte des préjugés de la société dominante, et en les contrant dans sa façon d’évoluer dans cette société.
Autonarration et dominations spatiales : corréler l’espace, l’identité et la narration de soi
En parlant de l’expérience vécue des Africain·e·s Américain·e·s, prenant en compte l’oppression raciale à laquelle ils·elles font face et de la dévaluation de leur être dans une société dominante blanche, W.E.B. Du Bois emploi le terme de « double conscience » 21 . Pour Frantz Fanon, la réappropriation du soi par le Noir correspond au rejet du fait d’être « sur-déterminé de l’extérieur » 22 . C’est cette surdétermination qui est remise en cause quand l’homme noir de Fanon décide de se faire connaître, de s’exposer en ses propres termes, selon son expérience distincte, en se réservant de faire exploser les carcans normatifs des institutions et des sociétés occidentales. La position adoptée lui confère un pouvoir qui remet en cause les certitudes de ces sociétés dominantes. En effet, se raconter ne signifie pas uniquement prendre la parole. Cela renvoie également à l’action de mettre en exergue un positionnement idéologique, symbolique, ou encore géographique. L’acte de parole et le processus d’écriture peuvent, de plus, être associés à des manifestations physiques comme les rassemblements dans les rues, les performances artistiques, ou tout simplement l’énonciation linguistique 23 .
Le fait de se raconter soi-même peut prendre diverses formes, qu’elles soient fictives ou non, à travers le réel, le textuel, l’imaginaire ou d’autres formes spatiales. Il est possible de se représenter à travers l’autobiographie en tentant de scrupuleusement respecter la véracité des vicissitudes qui sont narrées. On partira néanmoins du constat que le souvenir se transforme à mesure qu’il est remémoré et retracé ou qu’il est confronté à d’autres éléments disruptifs de la mémoire 24 . En outre, la dimension subjective de l’événement narratif – c’est-à-dire l’action de raconter – constitue un socle sur lequel l’agentivité de l’Autre ainsi que son identité se fondent. C’est de cette manière que l’autonarration entre en jeu. Arnaud Schmitt l’explique en ces termes :
(…) l’autonarration implique une autre relativité, celle de la véracité. Tout d’abord parce que le projet autonarratif est en soi très réaliste : il propose de parler de soi en fabulant un petit peu et donc, en d’autres termes, de reproduire formellement ce que nous faisons tous les jours. Mais il prend également en compte la relative vérité des faits, ou du moins la difficulté de l’atteindre uniquement grâce à un témoignage, tant les perceptions et les points de vue diffèrent. 25
Pris en ce sens, les expériences restituées par les personnes perçues comme « Autre » mettent en évidence une perspective discordante de celle véhiculée par les clichés des discours normatifs des sociétés occidentales dominantes, notamment lorsque l’autonarration est utilisée comme récit émancipateur et protestataire. Le témoignage apporté ne paraîtra réel que dans la mesure où l’Autre est écouté, qu’on le croit, et que l’on prend en compte ses/ces dissonances expérientielles. Ce témoignage est d’autant plus important qu’il permet d’affirmer l’existence et la présence de l’Autre et de son agentivité.
La construction des identités est à la fois immuable et intrinsèque à chaque individu 26 . Se rendre compte de l’Autre, c’est avant tout l’inclure dans un groupe qui lui correspond, en même temps que l’individu se soustrait en tant qu’entité à part entière. L’Autre est un représentant, un porte-parole de la communauté à laquelle il appartient, en même temps que sa parole n’engage que lui. C’est là le paradoxe entre la représentation que se fait le groupe dominant – c’est-à-dire la symbolique de l’Autre vu comme élément englobant un tout, une synecdoque excluant les individualités – et le récit de soi en tant que personne dont l’ipséité ne peut être confondue avec celle d’autrui. C’est ce que souhaite faire comprendre le Noir présenté plus haut par Fanon. Il est la représentation pure de l’altérité, en quelque sorte son essence – son eidétique – en cela qu’il est étranger. Cela se caractérise à la fois par son origine ethnique ainsi que par son origine géographique. Cet éloignement géographique lui permet de se raconter. Son espace d’origine devient le siège de son identité puisque c’est là qu’il s’est construit. La narration de cet espace se fait au moyen de plusieurs formes et le mythe, la légende et la fable prennent une place importante dans cette narration de soi.
À l’époque coloniale, les sociétés non-européennes ont été hiérarchisées et/ou méprisées selon une territorialisation exotique de l’Autre 27 : l’ailleurs lui est devenu « consubstantiel » 28 . Envisagée de cette manière, la position géographique de l’Autre s’est transformée en un facteur d’identification que les mouvements migratoires n’effacent pas. Cela est d’autant plus visible dans les regroupements communautaires que l’on trouve, singulièrement, dans les banlieues des grandes villes européennes, dans les « projects » bâtis dans les métropoles états-uniennes, ou encore dans tout autre quartier où ces populations s’installent en masse en arrivant dans les pays occidentaux.
Puisqu’il est restreint dans l’espace (dans lequel il est étranger ou, au contraire, qui lui devient indissociable), l’Autre peut, par conséquent, être fabriqué via un éloignement, qu’il soit réel ou symbolique. Celui-ci se traduit par la distance ou même la distanciation géographique, laquelle est corrélée aux spécificités ethnoraciales, linguistiques, et/ou culturelles, parfois même de genre ou de classe que cette séparation spatiale peut impliquer. La symbolique de l’écart se trouve aussi dans l’éloignement des idées, des comportements, des codes sociétaux et normatifs. Étant donné que le concept d’espace semble inhérent à l’altérité et à la construction des identités-autres, l’interrogation sur l’Autre impose de le mettre en relation avec le lieu en même temps que celui-ci est subjectivé en fonction de l’individu qui s’exprime. Cela veut dire que la relation « Autre/espace » est au cœur de l’appréhension de soi ainsi que de l’appréhension de l’Autre. De même, sans une spatialisation de la rencontre avec l’Autre, il n’est pas possible de le remettre en contexte. En partant du postulat que l’Autre est différent selon le lieu dans lequel il se trouve, on comprend pourquoi la place que prend l’Autre dans la société ainsi que la place qui lui est attribuée doivent être prise en considération dans l’analyse : l’on ne se construit qu’en contexte (spacio-temporel) 29 , et il en va de même pour la construction de l’altérité.
L’espace auquel cet Autre est astreint est physique, moral, réel ou mythique, culturel ou encore social. Cela est d’autant plus vrai que, dans les sociétés occidentales, il est créé en opposition à un groupe dominant d’hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels et dont le pouvoir impose le patriarcat dans la collectivité. Cette normativité est celle à laquelle sont confrontées les personnes issues de l’altérité. C’est à ce stade que l’on peut opérer le passage d’une dimension philosophique de l’altérité telle qu’analysée par Heidegger et Sartre à une autre qui est davantage sociale et culturelle.
Dans les sociétés patriarcales et/ou hétéronormées occidentales contemporaines, les revendications des personnes minorisées (personnes racisées, LGBTQ+, femmes, personnes déplacées, « étrangers », « pauvres », etc. qui, ici, deviennent les « Autres » étant donné qu’ils·elles ne font pas partie de ce groupe dominant) sont éprouvées comme autant d’anomalies et d’attaques des normes morales et sociales par le corps dominant. Cela se vérifie d’autant que les croisements d’identités dans les individus concernés s’additionnent entre eux, c’est-à-dire lorsque plusieurs identités minorées sont présentes en un seul individu. Où doivent se situer celles et ceux dont l’identité se situe à l’intersection de marqueurs distincts ? Comment se positionner quand on est une femme noire et lesbienne ou que l’on est un homme issu d’un milieu modeste et inscrit dans une grande école fréquentée par des personnes issues de milieux favorisés 30 ?
Puisque les espaces dominants correspondent à des espaces de pouvoir, les lieux où évoluent les personnes minorisées, les Autres, deviennent des « contre-espaces » 31 – emblèmes de l’altérité et/ou de l’altérisation des individus qui les fréquentent. Les quartiers populaires sont ainsi souvent définis par les origines sociales ainsi que les origines ethnoraciales de celles et ceux qui les peuplent. Toutefois, toutes les identités-autres ne découlent pas seulement d’un phénotype ethno-racial mais, lorsqu’ils sont au cœur d’un système dominant – notamment lorsque l’espace symbolique est lié à un véritable espace géographique –, les sujets-autres expérimentent une forme d’aliénation due à la soustraction d’une part de (voire de toute) leur humanité.
Ces espaces sociaux dans lesquels les individus évoluent correspondent à des idées normées ; leur symbolique et leurs fonctions dans la société sont souvent prédéterminées. Qu’ils soient physiques ou moraux, ces espaces ont, chacun, un rôle préétabli qui provient généralement d’une nécessité sociale. Henri Lefebvre les décrit comme des productions sociales complexes :
l’espace (social) n’est pas une chose parmi les choses, un produit quelconque parmi les produits ; il enveloppe les choses produites, il comprend leurs relations dans leur coexistence et leur simultanéité : ordre (relatif) et/ou désordre (relatif). Il résulte d’une suite et d’un ensemble d’opérations, et ne peut se réduire à un simple objet. Pourtant, il n’a rien d’une fiction, d’une irréalité ou « idéalité » comparable à celle d’un signe, d’une représentation, d’une idée, d’un rêve. Effet d’actions passées, il permet des actions, en suggère ou en interdit. Parmi ces actions, les unes produisent, d’autres consomment, c’est-à-dire jouissent des fruits de la production. L’espace social implique de multiples connaissances. 32
L’assertion – « L’espace (social) est un produit (social) » 33 – avec laquelle il amorce sa monographie appelle à reconsidérer la valeur donnée à ces espaces, notamment parce qu’ils sont conçus, perçus et conceptualisés d’un point de vue occidental qui est ancré dans un système capitaliste. Or, une vision marxiste de la société 34 montre une dichotomie (celle dont il s’agissait déjà plus haut) entre une catégorie de dominants (dirigeants) et une autre de dominés (dirigés) qui est forcément affectée par le lieu. En ce sens, l’emploi de l’espace, ainsi que son syllogisme, est circonscrit à la vision des dominants sans prise en compte de la vision des dominés. Dans ce rapport de force, celui qui renvoie à la dialectique du maître et de l’esclave d’Hegel 35 , l’occupation de l’espace, selon Lefebvre, devient un élément d’autorité :
[L’]espace ainsi produit sert aussi d’instrument à la pensée comme à l’action, qu’il est, en même temps qu’un moyen de production, un moyen de contrôle donc de domination et de puissance — mais qu’il échappe partiellement, en tant que tel, à ceux qui s’en servent. Les forces sociales et politiques (étatiques) qui l’engendrèrent tentent de le maîtriser et n’y parviennent pas ; ceux-là mêmes qui poussent la réalité spatiale vers une sorte d’autonomie impossible à dominer s’efforcent de l’épuiser, de la fixer pour l’asservir. Cet espace serait-il abstrait ? Oui, mais il est aussi « réel », comme la marchandise et l’argent, ces abstractions concrètes. Serait-il concret ? Oui, mais pas de la même façon qu’un objet, un produit quelconque. Est-il instrumental ? Certes, mais, comme la connaissance, il déborde l’instrumentalité. Se réduirait-il à une projection — à une « objectivation » d’un savoir ? Oui et non : le savoir objectivé dans un produit ne coïncide plus avec la connaissance théorique. L’espace contient des rapports sociaux. 36
En conséquence, saisir l’espace n’est pas aisé, en cela qu’il est malléable selon qu’on le considère comme abstrait, concret, instrumental ou comme simple objet de savoir. La difficulté de cette appréhension est inhérente à la nature humaine, en particulier face à la diversité des individus et de leur perception du monde. Toutefois, cet aspect reposant sur les interactions sociales des espaces donnés et de la façon dont ils sont transformés par la présence de l’Autre permet de corréler altérité, identités et espaces.
Puisque les conceptions de l’espace sont diverses, alors même qu’elles doivent s’inscrire dans une société normative ; puisque cette société normative met plusieurs de ses membres à la marge ; et puisque cette marge – avec ses frontières multiples et poreuses (même en son sein) – est toujours renouvelée et est omniprésente, il est possible de déchiffrer les lieux eux-mêmes en fonction des prismes individuels, conduisant à une définition propre à celles et ceux qui les observent et les fréquentent.
Outre les lieux communément définis, il en existe d’autre, les contre-espaces que Foucault a également appelé des « hétérotopies », des espaces autres qu’il définit ainsi :
Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sorte d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacement réels que l’on peut retrouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies. 37
Dans les exemples qu’il choisit, le philosophe montre que le miroir, le cimetière, la maison close ou encore le bateau sont autant d’hétérotopies dans les sociétés occidentales. Il signale également la présence d’hétérotopies « de déviation : celle dans laquelle on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée » 38 . À leur nombre, il y a « les maisons de repos, les cliniques psychiatriques, (…) les prisons, (…) les maisons de retraite » 39 , autant de lieux qui excluent des catégories d’individus que la société juge ne pas être adaptés aux normes. Par conséquent, ces espaces peuvent être mis en relation avec les banlieues européennes, les inner cities aux États-Unis, ainsi qu’avec les autres espaces d’exclusion. Une personne ne pouvant se rendre dans tel endroit, un groupe minorisé ne pouvant exprimer ses opinions dans un lieu symbolique deviennent les acteurs de ces lieux où sont repoussés celles et ceux qui n’ont pas droit de cité.
Ces lieux deviennent des espaces d’échange et des sanctuaires qui permettent le développement identitaire des individus. Le territoire géographique, mais aussi idéologique, sert donc de point d’appui dans la construction identitaire des individus. Ainsi, les lieux normés participent à la construction des identités dominantes et, par opposition, les espaces autres sont les marqueurs, tout autant que les supports, d’identités-autres.
Enjeux d’une cartographie
Si l’objectif n’est pas de créer une carte détaillée de ces espaces et de ces identités-autres, il est avant tout question de les faire apparaître (comme le fait déjà tout un pan de la géographie radicale 40 ) dans les champs d’études universitaires. Dessiner une carte est un acte subjectif opérant des choix qui se veulent délibérément simplificateurs afin de représenter une structure complexe et mal connue 41 . Cela signifie que les thèmes et objets reportés sur la carte ne sont pas neutres et qu’ils dépendent de l’intérêt donné à la représentation, qui à son tour découle du point de vue de celle ou celui qui décide de les représenter. Aussi, à la dimension géographique peuvent s’ajouter des éléments politiques bien sûr, mais également sociologiques, ethnocentriques, culturels, et même de pouvoir et de domination.
En ce sens, cartographier l’Autre pourrait ne sembler être qu’une notion prescriptive d’assignation d’identités fixes. Ici, néanmoins, il s’agit plutôt d’interroger le lien entre ces identités, souvent intersectionnelles, et les spécificités des différents espaces. En d’autres termes, cela invite à reconsidérer la façon dont l’Autre se définit soi-même, de manière autonome, dans les espaces dominants et marginaux de l’« ordre normatif » 42 des sociétés hégémoniques. Il s’agit de voir comment il s’y insère pour le faire sien – remettant en cause les systèmes d’oppression en place.
À titre d’exemple, lorsque l’on observe les communautés africaines américaines dans les territoires urbains, on les décrit fréquemment comme vivant dans « le ghetto ». Outre sa dimension symbolique 43 , dans sa théorisation, le ghetto peut aussi être compris comme lieu ambivalent de « haine de soi » et de fierté 44 , marquant la conception des identités africaines américaines dans ce ghetto, vu à la fois comme lieu clos contenant les parias noirs, comme lieu allégorique de l’ostracisme, comme endroit symbolique d’une cohésion communautaire, mais aussi comme espace de production des clichés du « gangster rapper » qui fascine « les adolescents de la bourgeoisie autour du monde » 45 . Cette théorisation de l’espace peut s’appliquer à plusieurs domaines, qu’ils soient sociaux, politiques, artistiques, culturels, entre d’autres.
À l’heure de la mondialisation des crises migratoires, alors que la notion de globalisation elle-même est de plus en plus rejetée, au moment où les personnes minorisées font davantage entendre leurs voix, alors que les situations politiques des grandes puissances occidentales sont ébranlées dans leurs principes fondamentaux, lorsque la notion d’Autre peut sembler datée dans les discours universitaires quand elle est opposée à l’« identité intersectionnelle » 46 , il a semblé urgent de continuer à examiner cette construction de l’altérité dans nos sociétés contemporaines – non pas en opposition, mais de façon complémentaire. Les identités intersectionnelles, parce qu’elles participent à mettre en avant les identités minorées (les identités-autres), sont ici considérées comme les déclinaisons sociologiques de l’Autre, concept opératoire par excellence. Il s’est agi de tenter de comprendre la façon dont ces voix autres se font entendre et d’essayer de répondre à plusieurs questions : quelles ressources sont utilisées pour contrer l’aporie de la cartographie comme instrument restrictif, force de discriminations et de dominations ? En effet, la cartographie permet aussi de donner à voir des dynamiques d’exclusion et de pouvoir dans l’espace ; elle n’a pas qu’une dimension réifiante comme je l’indiquais plus haut. De quels outils conceptuels contemporains se sert-on pour mieux comprendre le sujet-autre dans l’espace ; comment ce sujet-autre utilise-t-il ces outils pour se construire ? En référence à la notion mise en avant par Judith Butler, en quoi l’aspect performatif – qui pourrait correspondre aux étants heideggériens 47 – de ces identités est-il pris en considération dans ce lien ? C’est ce que se proposent d’examiner les huit articles contenus dans ce dossier.
Pour ce faire, il a paru important de s’appuyer sur des éléments sociologiques, cartographiques et géographiques. Hervé Nicolle, à travers ses travaux de terrain au Kenya, donne la parole à des personnes déplacées, entre autres, à cause des changements climatiques. À travers leurs mots et leurs dessins, les enquêté·e·s expliquent leur conception de l’« habitabilité », c’est-à-dire des critères nécessaires afin qu’un lieu soit propice à s’installer ou, au contraire, à le quitter. Nicolle tente de mieux relier l’habitabilité aux pratiques quotidiennes, aux habitudes, aux solidarités, voire aux résistances qui constituent la vie ordinaire des habitants des communautés et des personnes déplacées. Son étude met en évidence des raisons de partir d’un lieu devenu inhabitable qui sont différentes de celles communément retenues par les organisations non-gouvernementales (ONG) et les décideurs occidentaux, surtout en matière de réchauffement climatique.
Flavia Ciontu s’intéresse également à une cartographie critique, toutefois en s’attachant à la perception de l’espace est-européen dans les discours occidentaux, particulièrement après la chute du régime soviétique. Elle explique comment les personnes originaires « d’Europe de l’Est » sont fréquemment définies au prisme d’imaginaires communistes qui n’existent plus. En outre, ces images confondent des nations différentes alors que leurs histoires, leurs cultures, leurs langues et leurs traditions sont distinctes les unes des autres. Ciontu cherche à souligner l’intérêt de l’espace est-européen dans une cartographie critique de l’altérité et son potentiel d’éclairer, grâce à sa position intermédiaire, des mécanismes d’altérisation complexes.
Ce sont également des mécanismes complexes de la construction des identités que mettent en avant Hélène Brunaux, Marie Doga et Fanny Tuchowski, non plus à l’échelle macro des pays de l’est européen, mais à l’échelle micro des quartiers. Dans son découpage territorial, la France compte des quartiers populaires, que certaines municipalités classent en « quartiers prioritaires politique de la ville ». Qu’ils soient au cœur des grandes métropoles ou en périphérie, ces espaces sont les marqueurs d’idées préconçues sur leurs occupants. Dans leur étude, les trois chercheuses observent la façon dont les identités de jeunes rencontré·e·s dans un cadre institutionnel se développent dans les relations entre elles·eux et avec les animateur·trice·s et artistes, dans les ateliers qui leurs sont proposés. Elles analysent aussi la manière dont les regards des artistes et animateur·trice·s changent en fonction des activités, notamment selon les lieux où ces activités se mettent en place – des espaces qui se révèlent être des environnements de vulnérabilisation des individus.
Cette vulnérabilité est ce que met aussi en valeur l’article de Sophia Sablé qui étudie la façon dont une archive artistique des manifestations #Niunamenos qui ont été organisées en Argentine en juin 2015 a été construite grâce à un appel sur les réseaux sociaux. Compilée sous forme de livre, il s’agissait de garder une trace d’un événement, malgré tout éphémère, qui visait à protester contre les féminicides, à rendre compte de la pluralité des féminismes, et à dénoncer les violences masculines faites aux femmes. L’article propose l’exploration cartographique d’une archive comme hétérotopie féministe et dissidente, c’est-à-dire de faire un lien entre éléments immatériels et matériels afin de conserver les témoignages d’une prise de pouvoir politique, par les femmes, dans une société ultra-patriarcale.
Le texte de Sablé fait le lien avec la deuxième partie du dossier qui s’attache aux expressions artistiques de la cartographie de l’altérité des individus. Dans la littérature, singulièrement, les auteur·e·s autres peuvent relater des itinéraires identitaires qui leurs sont propres ; les mots et les aspects linguistiques, étant autant de substrats intrinsèques qui se révèlent sur la page, retracent des origines, des aspirations et des parcours. C’est ce que démontre Élise Angioi quand elle se penche sur la citoyenneté queer dans O Cidadán d’Erín Moure. Par le biais du translinguisme, l’auteure cherche à se départir des normes de l’état-nation patriarcal, hétéronormatif, et monolingue. En s’appuyant sur la théorie de « l’advenir queer » de José Muñoz, Angioi explicite les processus de « queerisation » mis en place par Moure.
De l’autre côté du globe, en Australie, les populations autochtones ont été privées de leurs identités traditionnelles lorsque les Européen·ne·s sont venus coloniser ces terres australes. En examinant le roman Carpentaria d’Alexis Wright ainsi que l’exposition itinérante Songlines, présentée au Musée du Quai Branly à Paris, Laura Singeot met en évidence la façon dont les personnes issues de ces peuples autochtones (ici Alexis Wright dans son roman ainsi que les consultantes et consultants de l’exposition) se réapproprient leur histoire et leurs traditions afin de les raconter elles-mêmes. Cela se fait par le biais des « songlines » : cette cartographie culturelle devient une contre-cartographie du soi aborigène, incompréhensible pour celles et ceux n’appartenant pas à ces communautés aborigènes, à moins qu’elles·ils ne soient initié·e·s. Dans le roman et l’exposition, les « songlines » servent à initier les non-autochtones à ces cultures et visions du monde souvent déconsidérées ; le monde est à présent analysé sous un prisme non-occidental.
L’écrivaine Giannina Braschi se saisie de son plurilingisme pour exprimer son identité créole. Portoricaine, Braschi utilise l’hybridation comme stratégie de (trans)formation d’une singularité nationale portoricaine. La contribution de Santa Vanessa Cavallari vise à montrer la manière dont l’autofiction, le translinguisme et le nomadisme expriment les stratégies socio-littéraires d’identification, voire de désidentification de l’auteure. Dans une analyse à la fois littéraire et linguistique, l’article utilise l’œuvre foisonnante de Braschi comme creuset pour tenter de définir les éléments culturels portoricains, sans pour autant les essentialiser.
Enfin, pour continuer dans une perspective linguistique, l’article de Danilo Bomilcar vient clore le dossier avec une analyse comparative de manuels scolaires utilisés dans des pays de la lusophonie. Il s’agit d’évaluer l’altérité linguistique dans la lusophonie grâce à des ouvrages édités au Brésil, au Portugal et en Angola, au Cap-Vert, en Guinée-Bissau, au Mozambique et à São Tomé-et-Principe, entre 1975, année des indépendances africaines vis-à-vis du Portugal, et 1996, année de création de la Communauté des Pays de Langue Portugaise. Bomilcar déconstruit l’idée d’une lusophonie monolithique et met en lumière les particularismes, mais surtout les intérêts politiques liés à l’apprentissage (ou non) de certains items culturels corrélés à l’origine des documents trouvés dans ces manuels.
Dans un monde globalisé remettant de plus en plus en question l’hégémonie de l’Ouest 48 , dans des sociétés occidentales où les groupes minorisés peuvent davantage parler et trouvent plus d’outils pour diffuser leur parole, il est nécessaire de les écouter. Prenant l’exemple des femmes et mettant en garde par rapport aux modifications épistémologiques des mots selon des contextes soi-disant progressistes, Gayatri Chakravorty Spivak déjà présentait les problèmes de ne pas écouter ces voix :
Les subalternes peuvent-ils parler ? Que doit faire l’élite pour prévenir la construction continue des subalternes ? (…) À l’évidence, si vous êtes pauvre, noire et femme, vous avez décroché le gros lot ! Mais si cette formulation est déplacée du contexte du Premier-Monde vers celui du postcolonial (qui n’est pas identique au Tiers-Monde), le qualificatif « noire » ou « de couleur » perd de sa force de persuasion. La nécessaire stratification, pendant la première phase de l’impérialisme, de la constitution coloniale du sujet capitaliste fait que la « couleur » ne peut être utilisée comme signifiant émancipateur. 49
Le risque de changements épistémologiques est surtout corrélé à la crainte d’essentialisation encore plus prégnante, enfermant les Autres dans des catégories réifiantes. Comprendre, explorer et mettre en lumière les constructions intersectionnelles des individus qui ne répondent pas aux normes sociales est une nécessité fondamentale pour mieux appréhender les légitimes – et saines – revendications des personnes minoritaires. Les laisser s’exprimer lorsque l’on est soi-même dans une position dominante est essentiel ; tout comme de les écouter. Cependant, il est également dangereux d’enfermer ces questionnements, ces échanges et ces observations dans un cadre limitatif. Ainsi, les disciplines universitaires sont à la fois un terreau favorable pour comprendre l’Autre dans toute sa dimension ontique et ontologique, mais également un formidable moyen d’enfermement des voix minoritaires lorsqu’elles ne sont que des objets d’étude. Ce numéro de Quaderna vise à faire tomber les barrières et libérer l’Autre des carcans spatiaux institutionnels en lui laissant la parole et son agentivité.
- Noémie Lair, « Adolescent tué à Nanterre : ce que l’on sait de la vidéo qui met à mal la version des policiers », France Inter, 28 juin 2023, https://www.radiofrance.fr/franceinter/adolescent-tue-a-nanterre-ce-que-l-on-sait-de-la-video-qui-met-a-mal-la-version-des-policiers-1888941, consulté le 3 août 2024.↵
- François-Noël Buffet, Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, investie des pouvoirs d’une commission d’enquête, sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023, Paris, Sénat, avril 2024, p. 57-63, https://www.senat.fr/rap/r23-521/r23-5211.pdf, consulté le 3 août 2024.↵
- Nadia Boussad, Nathalie Couleaud et Mariette Sagot, « Une population immigrée aujourd’hui plus répartie sur le territoire régional », Insee Analyses Ile-de-France 70, 17 octobre 2017, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3136640, consulté le 3 août 2024.↵
- Pour mieux comprendre ce concept, en général et en France en particulier, on peut se référer à : Benedict Anderson, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 2006 ; Christine Chivallon, « Retour sur la “communauté imaginée” d’Anderson. Essai de clarification théorique d’une notion restée floue », Raisons politiques 27, 2007, p. 131-172 ; ou bien Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales : Europe, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1999. On peut également lire les différents articles de presse ayant fait suite, en 2009, au lancement du débat sur l’identité nationale en France par Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, ou encore ceux d’Emmanuel Macron en 2020 dans une interview accordée à L’Express (Propos recueillis par Laureline Dupont, « Identité, crise sanitaire, complotisme… Macron, l’entretien confession », L’Express, 22 décembre 2020, https://www.lexpress.fr/politique/exclusif-identite-crise-sanitaire-complotisme-macron-l-entretien-confession_2141234.html, consulté le 3 août 2024).↵
- Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité : 1. L’illusion du provisoire, Paris, Raisons d’agir, 2006 ; Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité : 2. Les enfants illégitimes, Paris, Raisons d’agir, 2006 ; Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité : 3. La fabrique des identités culturelles, Paris, Raisons d’agir, 2014.↵
- Jean-Marc Zaninetti, « L’immigration en France : quelle géographie ? », Population & Avenir 697, 2010/2, p. 4-8, https://doi.org/10.3917/popav.697.0004, consulté le 3 août 2024.↵
- Cela n’est, bien entendu, pas seulement inhérent aux sociétés occidentales puisque, comme l’explique Pierre Caye, la notion d’altérité implique une « non-identité à soi ». Toutefois, l’analyse présentée dans ce numéro oppose les regards occidentaux à ceux qui ont été minorisés dans ces espaces sociétaux – c’est la raison pour laquelle j’insiste sur cette vision de l’Ouest et que je commencerai par me situer dans un héritage philosophique occidental pour expliquer le point de départ de la réflexion menée ici et dans le reste des articles. Pour en savoir davantage sur les visions occidentales de l’identité, on peut se référer à Pierre Gaye, « Les ambiguïtés de l’altérité », Figures de l’altérité, dir. Roger-Pol Droit, Paris, PUF, 2014, p. 7-32, https://doi.org/10.3917/puf.droit.2014.01.0007, consulté le 12 décembre 2024 ; ou encore Didier Martz, « Altérité, altération », Lire l’hétérogénéité romanesque, dir. Marie-Madeleine Gladieu et Alain Trouvé, Reims, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2009, p. 19-35, DOI : 10.4000/books.epure.886, consulté le 12 décembre 2024.↵
- Concernant la relation entre stéréotypes et altérité, on peut par exemple lire : Martin Olivera, « Tsiganes, stéréotypes et idéal type. Une approche wébérienne de l’altérité », Ateliers A & Ateliers LESC 28, 2004, p. 181-219, https://doi.org/10.4000/ateliers.8459 ; V.M. Markina, « The Representation of Others in the Media : The (Re)production of Stereotypes and Counter-Strategies for the Depiction of Otherness », Russian Education & Society 61/1, p. 61-72, https://doi.org/10.1080/10609393.2019.1738788 ; Isabelle Tremblay, « L’emploi du stéréotype dans le roman Extension du domaine de la lutte ou l’extinction de l’altérité », Symposium : A Quarterly Journal in Modern Literatures 59/4, p. 225-236, https://doi.org/10.3200/SYMP.59.4.225-236, tous consultés le 12 décembre 2024. La construction de l’altérité en lien avec les stéréotypes est prégnante car les conceptualisations d’identités répondent notamment à la catégorisation à travers des groupes ainsi que par des images récurrentes, à savoir via des archétypes. Ces derniers ont d’abord été définis par Carl Jung (voir par exemple Métamorphoses de l’âme et ses symboles et Psychologie de l’inconscient), avant d’être remises en cause en tant qu’éléments de l’inconscient, surtout dans la seconde topique freudienne. Le manque de nuances dans les constructions d’altérité permet de montrer la façon dont les catégorisations et les clichés, dans une doxa commune, sont systématiquement produits.↵
- Jean-François Rey, « Altérité », Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, dir. Gilles Ferréol et Guy Jucquois, Paris, Armand Colin, 2003, p. 5.↵
- Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 13-14. En italiques dans l’original.↵
- Jean-Paul Sartre, L’être et le néant : Essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Tel Gallimard, 1943, p. 319-326.↵
- Ibid., p. 321. En italiques dans l’original.↵
- Ibid. Italiques dans l’original.↵
- Cette assertion fait partie d’une triple explication ontologique dressée par Sartre tout au long de l’œuvre dans laquelle il définit la position de l’individu dans le monde. Il y souligne d’abord « l’être pour soi », puis « l’être en soi », et enfin « l’être pour autrui » – trois aspects mettant en lumière la conscience de l’existence du soi et d’autrui, ainsi que la responsabilité ontologique de l’individu. Par conséquent, Sartre explicite la liberté de l’homme en regard de lui-même, mais la met en lien avec l’Autre : il y a une relation dialogique inhérente entre les deux.↵
- Jean-Paul Rocchi, « En Exorde: The Other Bites the Dust. La mort de l’Autre : vers une épistémologie de l’identité », Cahiers Charles V « L’objet identité : épistémologie et transversalité » 40, dir. Jean-Paul Rocchi, 2006, p. 37. En italiques dans l’original.↵
- Le terme anglais « agency » désigne la capacité d’action d’un sujet. Il est souvent traduit en français par le mot « agentivité », notamment dans les études de genre et particulièrement depuis la traduction de l’œuvre Troubles dans le genre (Gender Trouble) de Judith Butler en 2005. Toutefois, la notion peut prendre des sens différents selon qu’elle est utilisée en philosophie, en sociologie, en psychanalyse, ou en économie. Pour mieux comprendre ses différents usages : Monique Haicault, « Autour d’agency. Un nouveau paradigme pour les recherches de Genre », Rives méditerranéennes 41, 2012, p. 11-24. URL: http://journals.openedition.org/rives/4105, DOI: https://doi.org/10.4000/rives.4105, consulté le 16 octobre 2024; Mustafa Emirbayer et Ann Mische, « What Is Agency? », American Journal of Sociology 103/4, 1998, p. 962-1023.↵
- La différence entre les deux termes est expliquée par Maurice Corvez en ces termes : « Être (sic), c’est avoir un sens, un sens pour nous : l’être vrai est l’être tel qu’il est pour l’homme. De plus, cet être doit se montrer par lui-même, directement. Il est alors phénomène. (…) Ainsi le processus par lequel un étant est (ou vient à être) coïncide avec ce qui le rend manifeste. Pour Heidegger, le phénomène par excellence est l’Être lui-même, parce que, étant le plus caché, c’est lui qui a le plus besoin d’être mis en lumière. Être, c’est donc avoir un sens pour l’homme » ; Maurice Corvez, « L’Être et l’étant dans la philosophie de Martin Heidegger », Revue Philosophique de Louvain 63/78, 1965, p. 260. URL : http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1965_num_63_78_5305, DOI : 10.3406/phlou.1965.5305, consulté le 28 octobre 2024 ; c’est moi qui insiste. On peut aussi se référer à Jacques Coursil lorsqu’il écrit : « L’être est un objet de discours, l’étant, exemplaire d’objet, individu (indivisible) est un objet de récit » ; Jacques Coursil. « La catégorie de la relation : Philosophie d’une poétique ». URL : http://potomitan.info/travaux/relation.html, consulté le 28 octobre 2024.↵
- Formule empruntée à Diana Fuss, Essentially Speaking: Feminism, Nature & Difference, NY, Routledge, 1989.↵
- Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 91-92.↵
- Ibid., p. 93. Italiques et majuscules dans l’original.↵
- W.E.B. Du Bois, The Souls of Black Folk, Writings, dir. Nathan Huggins, New-York, The Library of America, 1986, p. 364. Du Bois explique : « C’est une sensation particulière, cette double conscience, ce sentiment de toujours se regarder à travers les yeux des autres, de mesurer son âme à l’aune d’un monde qui la regarde avec un mépris amusé et de la pitié. On se sent toujours double – un Américain, un Noir : deux âmes, deux pensées, deux aspirations non réconciliées, deux idéaux en guerre dans un seul corps noir, dont seule la force obstinée l’empêche de se déchirer ». Ma traduction.↵
- Frantz Fanon, op. cit., p. 93.↵
- Concernant les discriminations linguistiques, les imaginaires et les idéologies quant aux langues, on peut se référer à : Ivan Jimenez et Graciela Villanueva (dirs.), « Glottophobies et imaginaires des langues », Quaderna 5, 2021. URL : https://quaderna.org/5/. On peut citer l’exemple du mouvement « Occupy Wall Street » pour les manifestations de rue, avec le chapitre de Michael Taussig, « “I’m so Angry I made a Sign” », Critical Inquiry 39/1, automne 2012, p. 56-88. URL : https://doi.org/10.1086/668050, consulté le 12 décembre 2024. Enfin, concernant les performances, cf. Guillermo Gomez-Pena, Ethno-Techno : Writings on Performance, Activism and Pedagogy, Londres et New-York, Routledge, 2005 ; ou encore Xavier Lemoine, « Gómez-Peña : multiplication des frontières, mosaïque des identités », Coup de Théâtre 21 « Étrange Étranger », Paris, RADAC, 2006, p. 111-123.↵
- Cf. par exemple : Kheira Bettayeb, « La fabrique du souvenir » interview avec Pascal Roullet, Le Journal CNRS, 9 décembre 2016. URL: https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-fabrique-du-souvenir, consulté le 28 octobre 2024; Benjamin J. Griffiths et Simon Hanslmayr, « How memories are formed and retrieved by the brain revealed in a new study », The Conversation, 22 octobre 2019. URL : https://theconversation.com/how-memories-are-formed-and-retrieved-by-the-brain-revealed-in-a-new-study-125361, consulté le 28 octobre 2024.↵
- Arnaud Schmitt, « La perspective de l’autonarration », Poétique 149/1, 2007, p. 26. En italiques dans l’original.↵
- En référence à l’identité-idem et l’identité-ipse mises en avant par Ricoeur dans Soi-même comme un autre.↵
- Angelo Turco, « Altérité », Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, dir. Jacques Lévy et Michel Lussault, Paris, Belin, 2013, p. 70.↵
- Ibid., p. 71.↵
- À ce titre, voir, entre autres, Guy Di Méo, « L’identité : une médiation essentielle du rapport espace / société », Géocarrefour 77/2, 2002, p. 175-184. URL : https://www.persee.fr/doc/geoca_1627-4873_2002_num_77_2_1569, consulté le 12 décembre 2024 ; ou encore les chapitres réunis dans le volume Laurier Turgeon, Jocelyn Létourneau et Khadiyatoulah Fall (dir.), Les espaces de l’identité, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997.↵
- Pour ce dernier point, on peut se référer à la thèse de Stéphane Benvéniste, « Les grandes écoles au 20ème siècle, le champ des élites françaises : reproduction sociale, dynasties, réseaux », thèse de doctorat, Aix-Marseille Université, 2021.↵
- Michel Foucault, « Les hétérotopies », Le corps utopique, suivi de Les hétérotopies, postface de Daniel Defert, Paris, Lignes, 2009, p. 24.↵
- Henri Lefebvre, La production de l’espace 2ème édition, Paris, Anthropos, 1981, p. 88-89.↵
- Ibid., p. 35. Italiques dans l’original.↵
- Ibid., passim.↵
- Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, GF Flammarion, 2012, p. 195-227.↵
- Henri Lefebvre, op. cit., p. 35-36. L’emphase est de moi.↵
- Michel Foucault, « Des espaces autres » (1984), Dits et écrits, Volume II : 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard, 2017, p. 1574-1575.↵
- Ibid., p. 1576.↵
- Ibid.↵
- Cf. par exemple, Alison Blunt et Jane Wills, Dissident Geographies: An Introduction to Radical Ideas and Practice, Essex, Pearson Education, 2000; Simon Springer, The Anarchist Roots of Geography: Toward Spatial Emancipation, University of Minnesota Press, 2016; ou encore David Harvey, Spaces of Capital: Towards a Critical Geography, New-York, Routledge, 2001.↵
- Cf. Yves Lacoste, 2014, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, Paris, La Découverte, coll. « Poche », 2014 (1ère édition : Maspéro, 1976) ; Christian Jacob, L’Empire des cartes : approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1992 ; Nicolas Lambert et Christine Zanin, Manuel de cartographique : Principes, méthodes, applications, Paris, Armand Colin, 2016.↵
- Nicole Ramognino, « Normes sociales, normativités individuelle et collective, normativité de l’action », Langage et société 119/1, 2007, p. 20. URL : https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2007-1-page-13.htm, DOI : 10.3917/ls.119.0013, consulté le 14 février 2023.↵
- On peut se référer par exemple aux explications d’Elijah Anderson; cf. Elijah Anderson, « The Iconic Ghetto », The Annals of the American Academy of Political and Social Science 642/1, juillet 2012, p. 8-24. URL : https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716212446299, DOI : 10.1177/0002716212446299, consulté le 7 décembre 2019.↵
- Loïc Wacquant, « Ghetto », International Encyclopedia of Social & Behavioral Sciences 2nd edition vol. 10, dir. James D. Wright, Oxford, Elsevier, 2015, p. 125. Ma traduction.↵
- Ibid.↵
- Cf. Kimberle Crenshaw, « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review 43/6, juillet 1991, p. 1241-1299. URL : http://www.jstor.org/stable/1229039, consulté le 17 novembre 2023 ; Emmanuelle Delanoë, Myriam Boussahba et Sandeep Bakshi, « Introduction », Qu’est-ce que l’intersectionnalité ? Dominations plurielles : sexe, classe et race, dir. Emmanuelle Delanoë, Myriam Boussahba et Sandeep Bakshi, Paris, Editions Payot & Rivages, 2021, p. 7-31.↵
- Cf. Judith Butler, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, New-York, Routledge, 2007. Voir notamment le chapitre 3 « Subversive Bodily Acts », p. 154-160 quand Butler traite de la performativité discursive du langage concernant le « sexe ».↵
- Par exemple, cf. Alain Touraine, « Chapitre 2. Le déclin de l’hégémonie occidentale », La fin des sociétés, Paris, Seuil, 2013, p. 449-476 ; Pierre Barbancey, Vadim Kamenka et Lina Sankari, « Quand les pays du Sud briguent la fin de l’hégémonie occidentale », L’Humanité, 6 octobre 2023. URL : https://www.humanite.fr/monde/bresil/quand-les-pays-du-sud-briguent-la-fin-de-lhegemonie-occidentale, consulté le 25 novembre 2024.↵
- Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, trad. Jérôme Vidal, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 69.↵
Bibliographie
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BARBANCEY Pierre, Vadim KAMENKA et Lina SANKARI, « Quand les pays du Sud briguent la fin de l’hégémonie occidentale », L’Humanité, 6 octobre 2023. URL : https://www.humanite.fr/monde/bresil/quand-les-pays-du-sud-briguent-la-fin-de-lhegemonie-occidentale, consulté le 25 novembre 2024.
BENVENISTE Stéphane, « Les grandes écoles au 20ème siècle, le champ des élites françaises : reproduction sociale, dynasties, réseaux », thèse de doctorat, Aix-Marseille Université, 2021.
BETTAYEB Kheira, « La fabrique du souvenir » interview avec Pascal Roullet, Le Journal CNRS, 9 décembre 2016, en ligne https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-fabrique-du-souvenir, consulté le 28 octobre 2024.
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Auteur
Yannick M. Blec
Yannick M. Blec est docteur en langues et littératures étrangères de l’Université Paris-Est et enseigne à l’Université Paris 8. Il s’intéresse tout autant aux questions de la construction des identités subalternes par rapport à un groupe hégémonique qu’aux relations raciales. Ses travaux se concentrent sur les identités africaines américaines, et plus particulièrement à l’intersection des masculinités noires LGBTQ+ dans les ghettos états-uniens. Outre les représentations, ils mettent en lumière les figures d’émancipations raciales, sexuelles et de genre dans le contexte états-unien dans son ensemble, telles qu’elles se retrouvent dans les arts (littératures, hip hop, cinéma, cultures populaires, etc.) pris comme vecteurs des politiques pour l’égalité des droits. Parmi ses dernières publications, on peut compter la biographie James Baldwin (Folio Biographie, 2024) et un numéro coordonné avec Anne Crémieux, « Queering Blackness: Non Binary Representations in Post-Obama Popular Culture » (Popular Culture Studies Journal 12/1, 2024).
Pour citer cet article
Yannick M. Blec, Cartographier l’Autre : Altérité, identité et espaces. Une introduction, ©2024 Quaderna, mis en ligne le 15 décembre 2024, url permanente : https://quaderna.org/7/cartographier-lautre-alterite-identite-et-espaces-une-introduction/
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