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# 06 Nord magnétique

L’homme que je suis, l’homme que j’aurais aimé être…

Abstract

Stefan Zweig, an Austrian writer with a strong commitment to humanism, has written several works about great historical figures such as Fouché, Marie-Antoinette, Marie Stuart and Erasmus. In these works, Zweig often draws comparisons between himself and his characters, and even identifies with his heroes. In his essay Erasmus  of Rotterdam, published in 1934, Zweig presents Erasmus as a model of human conscience and describes the philosopher as the "first European humanist". Zweig claims and envies Erasmus' freedom of thought, and thus broaches the subject of the intellectual's commitment. But this commitment can prove futile, and here Zweig praises neutrality, while writing a pamphlet against Nazism. Two years later, with his essay Castellio against Calvin, Zweig praises commitment and posits Castellio as a hero - a hero that Zweig himself failed to be, though he continued to advocate tolerance and spirituality. 

Résumé

Stefan Zweig, écrivain autrichien très attaché à l’humanisme, a écrit plusieurs ouvrages sur de grandes figures historiques, telles que Fouché, Marie-Antoinette, Marie Stuart ou encore Erasme. Dans ces œuvres, Zweig a souvent tendance à établir des comparaisons entre son personnage et lui-même, voire à s’identifier à son héros. Dans son essai Erasme. Grandeur et décadence d’une idée, paru en 1934, Zweig présente Erasme comme un modèle de conscience humaine et décrit le philosophe comme étant le « premier humaniste Européen ». Zweig revendique et envie la liberté de pensée d’Erasme et aborde ainsi le sujet de l’engagement de l’intellectuel. Mais cet engagement peut se révéler vain, et Zweig fait ici l’éloge de la neutralité, tout en rédigeant un pamphlet contre  le nazisme. Deux ans plus tard, avec son essai intitulé Conscience contre violence : ou Castellion contre  Calvin, Zweig fait l’éloge de l’engagement et pose Castellion comme un héros, un héros que Zweig lui-même n’a pas su être, ce qui ne l’empêchera pas de continuer à plaider pour la tolérance et la spiritualité.

Texte intégral

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« L’homme que je suis, l’homme que j’aurais aimé être… » 1

« Erasme de Rotterdam […] n’est plus guère aujourd’hui qu’un nom. » 2

C’est sur ces mots que Zweig commence son essai Erasme de Rotterdam. Grandeur et décadence d’une idée, paru en 1934. Que représente Erasme de nos jours ? Qu’évoque son nom dans nos esprits ? Un philosophe, une réflexion sur la folie, une idée d’Europe, un programme d’échange ? Un grand homme, un grand nom, et pourtant un homme oublié.

Présenté par Zweig, Erasme retrouve ses lettres de noblesse. Dans l’essai biographique de Stefan Zweig, Erasme devient un personnage emblématique, un fervent Européen, défendant les mêmes valeurs universelles que l’auteur : Erasme est un symbole de l’humanisme, l’incarnation de l’esprit des Lumières. Il est le premier Européen.

Le Erasme de Zweig mène un combat spirituel, un combat contre le fanatisme : « Erasme voyait dans l’intolérance le mal héréditaire de notre société » 3 . Cet homme ne possède pas de qualités hors-normes, mais il est moralement bon et soucieux de la société dans laquelle il vit. C’est un homme tourné vers les autres, un homme spirituel, loyal et neutre. Il possède un esprit de tolérance qui vise à « apaiser les conflits par une bienveillante compréhension mutuelle » 4 . Zweig expose dans son essai, dès le premier chapitre, la doctrine d’Erasme qu’il nomme « érasmisme » 5 . A travers ce néologisme, Zweig éprouve le besoin d’insister sur les leçons de vie que chacun doit apprendre d’Erasme, et il ressent comme nécessaire le fait de pouvoir nommer la philosophie de vie d’Erasme.

En quoi consiste l’érasmisme ? Comment Erasme est-il dépeint dans cette œuvre magistrale et unique sur le philosophe de Rotterdam ? Quel est le bien-fondé de son action ? Quel est le message, le sens de sa vie ?

Dans le récit, Erasme est d’emblée présenté en opposition avec certains personnages de l’Histoire, notamment Calvin et Luther. Il lutte contre le fanatisme qu’il voit incarné par les grandes figures de la Réforme. Et paradoxalement, Erasme est défini comme un être qui déteste les conflits, il « abhorre tous les conflits ouverts » 6 . Erasme veut se préserver, tout en dénonçant les plaies de la société. Il préfère « pactiser » avec les « puissants de ce monde » 7 s’il sait que son combat est vain, et simultanément, il revendique la liberté de penser, la liberté de ne pas s’exprimer, la liberté de s’opposer. Le personnage d’Erasme est donc ici décrit comme un être dont la personnalité est ambigüe : un homme qui combat, et en même temps qui se garde de s’engager dans des conflits. Un homme qui renonce à tout ce qui lui semble perdu d’avance, tout en croyant en ses convictions.

La rédaction d’Erasme intervient dans la vie de Zweig à un moment charnière qui marque la fin des années à Salzbourg, et le début de l’exil. En 1933, Zweig écrit à Romain Rolland qu’il veut ériger un monument à la gloire d’Erasme, afin de montrer l’analogie qui existe entre l’époque du philosophe et l’époque contemporaine 8 . L’articulation du lien « Erasme – philosophie » et « Erasme – les années 1930 » est ici intéressant. En effet, Zweig établit non seulement un parallèle entre la pensée érasmienne et sa propre pensée humaniste, mais aussi un parallèle entre deux époques qu’il juge totalitaires. Cet essai relève-t-il alors du genre biographique ou philosophique ? Ou bien pourrait-il être défini comme un pamphlet humaniste ? L’humanisme semble ici devenir une arme contre le totalitarisme et en ce sens, Zweig rompt avec ses biographies précédentes dans lesquelles il s’intéressait soit à des personnages contemporains dont il faisait l’éloge, soit à des écrivains ou artistes qui, d’après lui, avaient marqué le monde, ou encore à des figures de l’Histoire dont le destin a été marqué par le destin. Au début des années 1930, les exemples du passé, comme Erasme ou Castellion, deviennent pour Zweig des moyens de montrer l’absurdité de la situation actuelle. Il veut y puiser des leçons de vie, faire de ces grands noms des exemples, des modèles de dignité et de valeurs humaines.

Nous pouvons cependant nous interroger sur le choix du personnage d’Erasme qui présente des points forts et des faiblesses. En effet, Zweig a d’abord appelé son ouvrage « Portrait d’un vaincu » 9 . S’il voit en premier une analogie entre la Réforme et le Troisième Reich, en étudiant la vie du philosophe, Zweig considère son propre destin et celui d’Erasme comme étant similaires et tente d’établir un lien entre hier et aujourd’hui : la compréhension du passé pour permettre d’affronter l’actualité. Mais comment l’éternelle figure de l’humaniste, luttant contre le fanatisme de son temps pour garder sa propre liberté de pensée et d’agir, peut-elle être utile ?

LE CHOIX D’ERASME

  1. Erasme, un personnage faible ?

Erasme est longuement décrit physiquement dans l’essai de Zweig. Qu’il s’agisse de propos tenus par des contemporains d’Erasme, ou d’une description établie par l’auteur s’appuyant sur certains tableaux, le physique semble mis au service de l’esprit. Chaque détail est en lien avec la spiritualité de l’humaniste. Pour Zweig, le visage d’Erasme traduit « son attitude intellectuelle » 10 . Erasme n’est pas particulièrement beau, son corps est plutôt chétif, il manque de vitalité physique. Zweig détaille son physique fragile : « ses mains anémiques ont la transparence de l’albâtre », « un épiderme malade », « ses lèvres […] trop minces », « ses yeux trop petits » 11 . Zweig insiste sur les carences, les imperfections physiques du philosophe. L’auteur mène habilement sa description en insistant constamment sur le manque de vitalité physique du personnage, pour mieux en souligner ensuite la vitalité intellectuelle. De par sa nature faible, Erasme semble être fait pour une vie spirituelle. Sa vie ne s’exprime que dans un domaine ; un peu comme si la vie avait sciemment privé Erasme de certains atouts pour qu’il se consacre à une tâche plus noble qui lui serait dévolue : l’humanisme. Erasme apparaît au lecteur comme prédestiné à une vie spirituelle.

En effet, Erasme et ses qualités sont loués tout au long de cet essai biographique. Le ton est aussi bien élégiaque qu’élogieux. Selon Zweig, « Erasme possède des trésors spirituels » 12 . Une spiritualité enviée par Zweig, une spiritualité que l’auteur nous expose afin de témoigner du sens de la vie d’Erasme et de son combat et qui peut devenir une philosophie de vie. Cette intelligence, cette spiritualité, cette conscience humaine que Zweig nomme « érasmisme » sont présentées dans l’essai comme étant une des clés dans la lutte contre la pensée totalitaire. Zweig, en insistant sur la notion de destin, présente Erasme comme étant un être destiné à mener un combat spirituel et visant à élargir la sphère intellectuelle supérieure afin de contribuer au bien de tous. Erasme a foi en la civilisation, à l’instar de Zweig. Zweig tend ainsi à légitimer sa propre position, à savoir l’entente entre les peuples basée sur la fraternité et la culture :

« Erasme et les siens croyaient la civilisation capable d’améliorer les hommes et ils espéraient que la vulgarisation de l’étude, des belles-lettres, de la science, de la culture développerait les facultés morales de l’individu en même temps que celles des peuples. » 13

 

  1. Erasme, le sens de sa vie

Zweig établit très clairement un parallèle entre la période de la Réforme et le IIIème Reich. Son essai sur Erasme est né d’une analogie entre l’Europe des guerres de religion à l’époque du philosophe et l’Europe des années 1930. Cette analogie permet à l’auteur de dénoncer l’absence de liberté au sein du régime national-socialiste, de lutter contre la terreur que le IIIème Reich a instaurée, de combattre l’intolérance, mais en même temps de croire à la raison. Zweig utilise le personnage d’Erasme et la vie de ce dernier pour illustrer des valeurs qu’il revendique et le combat qu’il souhaite mener. « Erasme est un livre de combat » 14 . Erasme, Castellion, Montaigne : des récits de vie, des essais personnels de Zweig, des ouvrages qui sont des prétextes pour parler de son époque et de sa personne. La prise du pouvoir par les nazis suscite chez Zweig un besoin de s’exprimer, mais nous verrons par la suite ce que cette prise de position signifie et ce que symbolisent ces textes. Zweig voit en Erasme un modèle de conduite à suivre.

Zweig fait d’Erasme le symbole de l’humanisme par excellence, de la pensée européenne, de l’intellectuel idéal. Zweig souhaite donner parallèlement une définition de l’humanisme et de la philosophie et présente un modèle de pensée universelle. Ainsi, le personnage d’Erasme devient un enjeu, presque un prétexte, et il revêt une fonction emblématique. Certes, la similitude entre Erasme et Zweig existe, et deux situations sont mises en parallèle, même si elles sont peut-être peu flatteuses. Zweig fait l’éloge du combat d’Erasme et revendique en même temps le non-engagement de ce dernier et sa volonté de rester en-dehors des conflits. La question est alors de comprendre si Zweig justifie son absence de prise de position publique face aux événements des années 1930 et son absence d’investissement dans la vie politique. Mais le personnage présenté possède une autre utilité pour l’auteur : plus que sa vie, c’est une certaine philosophie de vie, une philosophie de penser et d’agir, qui jouent le premier rôle.

Les dangers de deux époques considérées comme liberticides, la Réforme et le IIIème Reich, et surtout la nécessité d’y faire face, de s’engager dans un combat, constituent le projet initial de Zweig : « Les idées fondamentales d’Erasme […] peuvent sembler un peu superficielles et générales, mais elles sont humaines : ici, comme dans les domaines de la connaissance, l’action d’Erasme ne s’exerce pas tant en profondeur qu’en étendue » 15 . Erasme représente un idéal et à travers lui, Zweig expose le concept d’humanisme. Erasme apparaît comme étant le premier humaniste européen. Et Zweig, face au nazisme en plein essor, fait l’éloge des valeurs humaines et fraternelles pour défendre un pays, une patrie, un continent menacé.

La figure de l’humaniste et la conscience européenne se rejoignent dans un seul et même homme. Zweig énonce ici une dialectique qu’il revendique aussi dans certains de ses discours : pour lui, l’Europe est synonyme de paix, de culture et de liberté. A l’inverse, le nationalisme représente tout ce qu’il abhorre, à savoir la guerre et l’absence de liberté individuelle. Il apparaît au lecteur que Zweig, malgré son attitude apolitique, ressent une certaine responsabilité à appeler autour de lui à garantir la liberté et la justice et à maintenir la compréhension mutuelle. Pour lui, c’est un devoir ; et cet essai biographique, tout comme son essai sur Castellion 16 qui paraît en 1936, sont une manière de sonner l’alarme et d’avertir du danger qui guette l’Allemagne et l’Autriche. Sa mission est similaire à celle qu’il voit en Erasme : la défense des valeurs essentielles, comme la solidarité, les droits de l’Homme, la culture de la paix… En choisissant un érudit comme modèle de pensée, Zweig souligne aussi l’importance de la culture de la connaissance comme arme pour préserver la démocratie. A l’inverse, l’ignorance ne peut mener qu’à la catastrophe.

Dans son récit de la vie d’Erasme, Zweig utilise de façon récurrente les termes de « fanatisme » et d’ « humanité ». Tout au long de son essai, Zweig dresse des tableaux spirituels du philosophe. Erasme est « antifanatique » 17 , « son devoir est […] de lutter contre l’ennemi commun de la libre pensée » 18 . Il expose la philosophie d’Erasme ainsi : l’» antifanatisme était devenu une véritable religion » 19 . En opposition à Calvin et à Luther, luttant contre le fanatisme, prônant l’unité spirituelle, Erasme n’était cependant « pas né pour la bataille et il le savait » 20 . Cette description d’Erasme nous mène droit vers Stefan Zweig. Rappelons que Klaus Mann, alors exilé en Suisse, fonde sa propre revue, Die Sammlung, en septembre 1933 et sollicite Stefan Zweig pour un extrait de son Erasme. Zweig accepte, puis se rétracte, apparemment par lâcheté, du moins sa réaction est-elle interprétée ainsi à l’époque, notamment par Klaus Mann, Joseph Roth ou encore Romain Rolland qui soutient Klaus Mann 21 . Si Erasme, lui, n’est pas présenté comme un homme lâche, l’image qui est donnée de lui le montre toutefois comme un homme qui refuse le combat et surtout qui ne sait pas combattre. Serait-ce à l’instar de Zweig ? Klaus Mann est irrité par le refus de Zweig de collaborer à sa revue, Joseph Roth quant à lui l’incite à être moins timoré et à se montrer digne de sa fonction d’artiste : « Je vous en conjure encore une fois : conservez votre dignité ! » 22 .

Si nombre des contemporains de Zweig l’ont qualifié de lâche, ils n’ont peut-être pas compris la position réservée de Zweig. Zweig ne voulait pas tenir le rôle d’artiste pessimiste et craignait avant tout les conséquences de ses prises de position publique :

« Vous me dites qu’il serait nécessaire qu’un auteur juif élève sa voix. Vous avez raison ; mais la responsabilité est énorme. Les cinq cent mille Juifs en Allemagne sont tous des otages. Si nous parlons, on frappe sur eux avec une brutalité inconnue jusqu’à nos jours. Est-ce donc permis pour quelqu’un qui jouit de sa liberté personnelle de nuire à ceux qui sont en prison ? » 23

Le combat ne peut-il se faire que sur la scène publique ? Malgré les critiques essuyées par Zweig, ce dernier ne renonce pas. Un autre éclairage dans l’essai sur Erasme permet de définir autrement ce que certains ont défini comme de la lâcheté ou de l’utopisme. Zweig ne veut pas abandonner, et pour ce faire, il utilise certaines figures historiques afin d’étayer ses propos, ses idéaux et sa foi en un progrès moral :

« Dans [le domaine] de l’esprit, il y a de la place pour toutes les oppositions : même ce qui ne triomphe jamais dans la réalité y conserve un dynamisme efficace […]. Seuls les idéaux qui ne se sont point réalisés et qui ainsi, sont restés purs, continuent de fournir à chaque génération un élément de progrès moral, ceux-là seuls sont éternels. » 24

En choisissant le personnage d’Erasme, Zweig revendique son engagement pour l’élévation morale et spirituelle de l’Europe. Il défend l’Europe, sa « patrie spirituelle», et ce combat, presque sous la forme d’une parabole, s’engage dans une dimension politique et humaine, peu après la prise du pouvoir par Hitler.

  1. Erasme, Zweig, quel combat ?

Zweig voudrait montrer la monstruosité du régime nazi, tout en restant libre. Il souhaiterait soutenir ceux qui fuient l’Allemagne nazie, tout en restant indépendant. A ses yeux, ce sont des perspectives qui le rapprochent d’Erasme. Erasme était capable de garder cette indépendance et il semblerait que Zweig l’envie. Zweig dépeint Erasme avec ces mots : « Sa vie entière, il a défendu avec une muette et tenace obstination sa liberté morale autant que sa liberté spirituelle » 25 . Erasme est ainsi présenté comme un être refusant toute contrainte et ne voulant être lié à personne. Et Zweig se sent proche d’Erasme également dans cette perspective. En présentant Erasme comme un humaniste luttant pour la liberté individuelle, tout en se préservant lui-même, Zweig semble justifier son absence de prise de position publique. Ce qui confère à cet essai une double valeur : d’une part, un texte visant à dénoncer le fanatisme ; d’autre part, une justification des hésitations de Zweig à prendre la parole publiquement et à se faire le messager d’une partie de la population en se dressant contre le nazisme. Zweig présente l’indépendance spirituelle d’Erasme et son aversion pour les conflits comme des qualités, comme ses propres qualités à lui.

En effet, l’attitude d’Erasme semble osciller entre la volonté de combattre une situation et la nécessité de se protéger. Intéressons-nous alors à la valeur du message porté : ne serait-ce pas dérisoire de faire de la culture une arme pour lutter contre le nazisme ? Cependant, comme le souligne G. Prochnik dans son ouvrage sur l’exil de Zweig en mentionnant certains passages d’Erasme et du Monde d’hier, la distance entre notre époque et celle de Zweig ne nous permet pas de penser que cette idée d’Europe unie, cultivée et humaniste, est banale ou vaine :

« Avec le recul, il est facile de se moquer de l’idée que la culture pouvait réveiller la conscience morale des Allemands, surtout à une date aussi tardive, en 1935. Cependant, vu les conséquences désastreuses des interventions américaines contre des dirigeants tyranniques et des organisations mondiales menaçantes, je ne suis pas certain que nous puissions juger Zweig aussi rapidement. » 26

Zweig accorde une grande importance au rôle que pourrait jouer l’Europe comme rempart à la guerre et il insiste sur des valeurs telles que le respect mutuel des différences, l’apport culturel de chaque peuple, l’entente entre les nations, la volonté de s’unir contre l’autoritarisme. Mais il néglige toutefois les considérations politiques et économiques, en oubliant les conséquences de la Première Guerre Mondiale ainsi que l’attitude impérialiste et colonisatrice de l’Europe. Mais nous ne pouvons pas pour autant affirmer que la notion de culture et l’importance qu’elle revêt aux yeux de Zweig soit totalement dénuée de sens. Nous pouvons analyser le message de Zweig à travers les figures d’Erasme et de Castellion comme une volonté de ne pas diaboliser directement les partisans d’Hitler et de montrer également que c’est une culture commune qui unit à l’origine, les peuples allemands et autrichiens, et que les citoyens de ces peuples, peu importent leurs origines ou leurs religions, sont issus d’un état multiculturel et partagent un même héritage. Certes, l’Europe disparaît, l’Europe met elle-même fin à sa vie, mais Zweig n’abandonne pas son projet humaniste même s’il semble prôner son non-engagement.

Cependant, en insistant sur les valeurs de fraternité et de cosmopolitisme, Zweig semble vivre d’une certaine façon dans une sphère hors du temps. En effet, Zweig, issu d’un monde privilégié, homme de lettres très sollicité, ayant beaucoup voyagé, a souvent eu tendance à occulter certains pans de la vie quotidienne et de la société, qu’il s’agisse de son aveuglement par rapport aux problèmes de l’Empire Austro-Hongrois, de sa perception tronquée de l’antisémitisme dans la Vienne du début du XXème siècle, de la situation politique en Russie 27 ou dans son analyse de l’adhésion de la jeunesse au nazisme 28 . Son humanisme le conduit à ne pas vouloir voir le nazisme tel qu’il est. Il minimise le danger que ce dernier peut représenter auprès des étudiants : la jeunesse se révolte simplement contre l’ordre du passé et Zweig considère les entraînements nocturnes comme un phénomène passager. Quand Joseph Roth évoque la « bestialité » ou l’« abrutissement du monde » 29 , Zweig n’adhère pas complètement, il reste plus réservé, peut-être en raison du milieu favorisé dans lequel il a grandi ; il a besoin de croire en la civilisation d’un monde qui semble pourtant bel et bien disparu.

Roth voit assez rapidement le caractère trop optimiste de Zweig : « Votre intelligence est grande, mais votre générosité et votre humanité vous empêchent de voir’’ le mal, vous vivez de foi et de bonté » 30 . Mais cet humanisme n’empêche pas Zweig de présenter Erasme comme le modèle de l’Européen dans l’âme, proclamant des valeurs cosmopolites d’humanisme et de culture, convaincu du triomphe de la raison sur la force. Roth n’hésite pas à faire des reproches à son contemporain : « Il y a un certain point où la noblesse d’âme devient une atteinte au devoir et ne sert plus à rien » 31 . Zweig met constamment en avant sa foi en des valeurs fondatrices. Roth, lui, n’y croit plus. Il ne croit plus en l’humanité. Mais Zweig insiste sur sa notion de modèle, mais si celui-ci devait se révéler impuissant, ce qui confère à l’essai sur Erasme une dimension qui se rapproche du conte philosophique, en notant toutefois que si le conte philosophique s’appuie sur une histoire fictive pour peindre une critique des mœurs, de la société et du pouvoir, l’essai de Zweig est un ouvrage biographique qui respecte la réalité historique.

Toutefois, il ne faut pas omettre l’adversaire contre lequel se dresse Erasme, à savoir Luther. Erasme incarne l’homme de lettres, la raison, la douceur, opposé à Luther qui est présenté comme le mal, la dureté et la démesure. Nous sommes donc face à deux natures antagonistes. Cette opposition est d’ailleurs peut-être une des caractéristiques qui a mené Zweig à choisir les figures d’Erasme et de Luther, lui permettant ainsi de souligner d’une part l’humanité et le libre-arbitre, d’autre part l’autorité et la servitude.

DEUX PERSONNAGES ANTITHÉTIQUES

  1. Luther, l’antithèse. Luther, le vainqueur ?

La dualité entre Erasme et Luther est un axe de l’essai biographique étudié qu’il ne faut pas sous-estimer. D’un côté, Erasme est l’homme qui « regarde en esprit indépendant la sagesse, la fraternité et la moralité comme les formes les plus élevées de l’humanité » 32 . D’un autre côté, Luther incarne la domination et le nationalisme dans sa forme fanatique : « Semblable aux Germains envahisseurs de la Rome classique, Luther, homme d’action fanatique, va déchaîner un mouvement populaire national d’une force irrésistible, faire irruption dans le royaume des humanistes et briser leurs rêves internationalistes » 33 . Deux pôles antagonistes : fanatisme meurtrier contre tolérance humaniste. Le parallèle avec Hitler est transparent. Un peu trop simpliste ? Peut-être, car ainsi Zweig transpose un couple antithétique tout trouvé, avec une vision manichéenne. Toujours est-il que cette opposition est intéressante. Luther est porté par un élan vital qui manque à Erasme ; la santé triomphante de Luther est opposée à la faiblesse physique d’Erasme ; Luther et « son excès de vitalité » 34 , versus Erasme qui « a souffert sa vie durant de la fragilité de sa santé » 35 . Le conflit entre les deux personnages semble alors inévitable : leur opposition est inhérente à leur propre personne ; leur nature, leur esprit, leurs valeurs, tout les oppose. Ce qui permet de renforcer la validité des personnages choisis, rendant ainsi l’interprétation symbolique encore plus pertinente.

Cette opposition annonce d’emblée la défaite d’Erasme. Au milieu de son essai, Zweig énonce sans détour la victoire de Luther, avant même d’avoir exposé le conflit qui l’opposera à l’humaniste de Rotterdam : « Le vainqueur du combat – la chose était certaine – devait être Luther […] parce que des deux lutteurs, il était le mieux exercé, le plus belliqueux » 36 . Une manière de marquer le triomphe de la violence sur la conscience. Zweig adopte cependant un jugement ambigu. Si tout au long de son essai, Zweig revendique le pacifisme et l’humanisme, il met en avant une autre attitude. En effet, il définit Erasme comme quelqu’un de trop raisonnable, « d’un naturel conciliant » 37 , qui n’est pas un homme passionné et pour lequel tout combat est un « déplaisir » 38  ; des éléments perçus ici comme une faiblesse. La raison est constitutive de l’humanisme, et en même temps un motif d’échec. Devons-nous y voir l’échec d’Erasme, l’échec de Zweig ? Ce dernier met en avant la supériorité du couple Luther-Hitler, nationalistes et fanatiques, sur la philosophie érasmienne. Il laisse ainsi entendre que la victoire du nazisme est inéluctable, au même titre que celle de Luther sur Erasme. Et Zweig justifie en partie son propre échec, du moins son refus d’engagement. « L’Erasme de Zweig est un autoportrait détaillé de Zweig : la volonté d’Erasme de ne pas s’engager, que beaucoup de contemporains et successeurs ont simplement nommé lâcheté, sans comprendre la raison de ses hésitations, est tout aussi valable pour Zweig » 39 Dans une lettre à Klaus Mann, Zweig s’exprime partiellement sur ses objectifs : il veut mener une étude sur Erasme, humaniste vaincu par Luther, à l’instar des Allemands avec Hitler. Il souhaite faire une analogie entre deux époques, mais aussi entre lui et le philosophe, et célébrer la défaite d’Erasme, pour réaliser « un hymne à la défaite » 40 . C’est donc un éloge de la défaite que Zweig réalise dans Erasme, mais ce n’est pas sa seule ambition. Certes, cette dimension affiche clairement le pessimisme de Zweig, cependant ce dernier semble garder une lueur d’espoir qu’il souhaite transmettre en présentant un nouveau héros.

  1. Un nouveau modèle de héros

Il est cependant louable de la part de Zweig de défendre ses idéaux, encore plus à un moment où tout semble perdu. Pour lui, la notion de « culture », associée à la plume, est l’arme suprême. A travers ses essais sur Erasme et sur Castellion, Zweig met en exergue l’opposition entre la démagogie, incarnée par la dictature bruyante, dominante et barbare, et la raison, la force raisonnable et tranquille de l’esprit. La vie de deux figures du passé, Erasme et Castellion, indissociables de Luther et Calvin, sont nécessaires à Zweig pour étayer sa réflexion. Zweig met ces deux humanistes au service de ses aspirations. Son projet est triple : littéraire, politique et personnel. Il ne s’agit pas d’écrire uniquement une biographie historique de la vie des deux hommes, mais d’exprimer ses propres craintes, et peut-être aussi de répondre aux critiques de ses amis qui se sont engagés plus activement face au IIIème Reich. Mais ce n’est pas tant la montée du nazisme, que la disparition de l’humanisme qui le motive. Dans l’Europe d’Erasme, Zweig trouve des correspondances avec sa propre époque. Il défend une idéologie. Avec Conscience contre violence, Zweig va plus loin : les anachronismes, le lexique de la dictature et les comparaisons avec le présent sont permanents. Zweig est fasciné par les deux hommes qu’il présente, et encore plus par Castellion qui fait preuve d’un courage que Zweig ne montrera pas. Avoir le courage d’affirmer ses idées noir sur blanc, sans détour, en attaquant, par la littérature, les idées et les mots, les régimes totalitaires et les dictateurs écrasant le peuple par leur pouvoir et leur besoin de domination, voilà un pas que Zweig ne franchira pas. Et il ne semble pas que cela soit seulement lié au manque d’intérêt pour la politique qu’il affichait dans sa jeunesse, mais c’est également en lien avec une crainte éprouvée. Envie et aversion, désir et inquiétude, des ambivalences chez Zweig 41 qui surgissent à cette époque qui voit le fascisme s’imposer sans détour. Zweig définit la lutte d’Erasme comme vaine, mais il fait du philosophe un exemple. Une victoire sans combat est-elle alors possible ? Un combat spirituel sans lutte peut-il avoir un impact ?

La pensée érasmienne apparaît comme la première prise de position de Zweig contre le nazisme. Zweig veut analyser les causes et expliquer comment un despote impose un nouvel ordre. Dans Erasme, comme dans Conscience contre violence, Zweig prône l’humanisme et analyse aussi les mécanismes de développement de l’autoritarisme. Zweig sait que despotes et dictateurs usent de moyens qui leur permettent d’étendre leur domination ; mais l’auteur continue de penser qu’une grande idée peut avoir une influence réelle. Serait-ce une manière de se rassurer ?

Zweig trouve en effet une sorte de refuge dans les récits de vie de grands humanistes qu’il présente comme exemplaires : un refuge face à la brutalité et à la barbarie. Zweig veut rester fidèle à l’idéal humaniste qu’il s’est construit et qu’il retrouve en Erasme mais aussi en Castellion ; cet idéal, il l’a forgé suite à son expérience de la Première Guerre Mondiale, en revendiquant le pacifisme. C’est sur cette voie qu’il rédige Erasme, Grandeur et décadence d’une idée. Erasme, qui choisit la tolérance et la conciliation dans l’Europe des guerres de religion ; Zweig, qui choisit le silence public face à l’avènement du nazisme, conscient du danger mais refusant par principe de se mêler de politique et de prendre parti. Il garde sa position de conciliateur et de médiateur. Ce rôle de médiation, Zweig le joue sur plusieurs tableaux. Tout d’abord quant à son œuvre elle-même, il se fait médiateur entre son sujet d’étude et le lecteur afin d’amener ce dernier à une compréhension fine du personnage. Médiateur sur le plan culturel : humanisme et fraternité, deux mots-clés dans la pensée de Zweig. Médiateur entre les nations : la notion de compréhension entre les cultures est essentielle, notamment entre la France et le monde germanophone. « Zweig a mêlé de façon ambigüe le désir de voir se rapprocher et se comprendre deux cultures, l’amitié et l’enthousiasme le plus sincère, à une participation de plus en plus active aux luttes d’influence qui agitent le milieu littéraire français. Le médiateur des débuts s’est donc mué, vers le milieu des années 20, en un authentique intermédiaire, jusqu’au moment où les deux rôles sont devenus indissociables » 42 . Et malgré les défauts de l’humaniste, Zweig érige Erasme en modèle, parce qu’il en a besoin. Erasme est dépeint comme un homme unique, voire un modèle, opposé dès le début du récit à Calvin, puis à Luther. Le personnage de Calvin est introduit par l’expression « contrairement à » : l’antagonisme est annoncé d’emblée, dès le début de l’essai. Tout au long de l’œuvre, dans les tableaux spirituels qui sont faits du philosophe, l’attitude et la philosophie d’Erasme sont régulièrement présentées en opposition avec d’autres courants et d’autres personnages ou bien en lutte contre quelque chose : le « devoir est […] de lutter contre l’ennemi commun de la libre pensée » 43  ; « la règle érasmienne se refuse à assujettir les hommes à son idéal humanitaire et humaniste en recourant à l’intolérance » 44 , pour lui, « la tyrannie d’une idée est une déclaration de guerre à la liberté de l’esprit » 45 , « pour Erasme […] l’«  antifanatisme » était devenu une véritable religion » 46 , « il se prononce contre tout appel à la violence » 47 . Le champ lexical de la lutte est récurrent.

Zweig s’identifie à Erasme. Cette identification est double : en tant que personne 48 et en tant qu’être humain exposé au fanatisme. En érigeant un véritable monument à Erasme, Zweig tente de justifier sa propre vie d’artiste. Erasme est malgré tout présenté comme un héros juste et libre, Erasme est pour lui-même : « Erasmus est homo pro se » 49 . Zweig se compare à Erasme, mais le lecteur pourrait se demander si Erasme n’est pas l’homme que Zweig souhaiterait être, à savoir ne pas éprouver de culpabilité quant à un engagement pacifiste, ne pas se sentir oppressé par les sollicitations extérieures, être soi pour soi, tout en défendant des valeurs. Zweig aimerait être modelé sur le même moule qu’Erasme, il est à la recherche d’un modèle humain qui prône les mêmes valeurs que lui, à savoir des valeurs cosmopolites d’humanisme et de culture. Zweig a d’autant plus besoin d’un modèle que la liberté d’expression disparaît de plus en plus vite, à la suite de l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Zweig se cherche des exemples à suivre, et il admire plusieurs types d’individus : ceux qui sont capables de faire preuve de grandeur d’âme, même dans les moments les plus tragiques ; ceux qui ont le courage de s’investir, de s’engager publiquement pour défendre une cause qui leur semble injuste ; ceux qui s’intéressent au genre humain. Dignité, témérité, engagement, altruisme. Et pourtant, Erasme ne semble pas posséder ces qualités admirées par Zweig. Toutefois, Erasme a des atouts qui revêtent une importance non négligeable : le savoir-faire langagier et la médiation. Erasme a un caractère indécis, mais il fait preuve d’un esprit de conciliateur. Ce modèle semble être nécessaire à Zweig, ne serait-ce que d’un point de vue purement personnel. Zweig est hésitant, trop peut-être, silencieux également ; mais il rédige deux essais pour prendre part au combat lui aussi, d’une certaine manière, avec sa plume, et Zweig propose ainsi des modèles de héros qui ont combattu la barbarie.

Zweig revendique la liberté de penser, même si cette pensée reste discrète. Et même si cette liberté est vouée à l’échec dans les actes, elle garde une portée spirituelle :

« Même quand elle ne triomphe pas, l’idée n’en manifeste pas moins son éternelle présence, et qui la sert en une heure aussi critique montre par là qu’aucune terreur n’a de pouvoir sur une âme libre, et que même à l’époque la plus inhumaine on peut entendre la voix de l’humanité. » 50

Les parallèles entre Erasme et Zweig sont donc nombreux, mais un des messages véhiculés par cet essai sur Erasme, ce grand philosophe oublié, concerne aussi l’engagement de l’artiste, de l’homme de lettres, de l’intellectuel. Comment un homme « souffreteux » 51 tel qu’Erasme peut-il s’opposer à la fureur et à la force vitale incarnée par Luther ? Comment un écrivain peut-il faire face au nazisme ? Zweig, jusqu’à la fin de son essai, s’identifie à Erasme. Cette identification est double : en tant que personne au caractère proche et en tant qu’être humain exposé au fanatisme.

  1. Apologie des vaincus

L’écriture devient pour Zweig un moyen d’expression plus personnelle. Et pourtant, il ne se saisit pas pleinement de cette arme que représente l’écriture. Erasme peut clairement être défini comme un pamphlet contre le nazisme ; l’essai sur Castellion également. Et cependant, Zweig est de moins en moins confiant. Conscient que son concept d’Europe unie, de communauté spirituelle et fraternelle, est hors du temps, Zweig ne se fait plus d’illusion :

« Qu’on me pardonne si je ne dis pas que la raison vaincra ou dominera bientôt, que demain ou après-demain nous verrons une Europe unie, où il n’y aura plus de guerre ni de haine destructrice de peuple à peuple : je n’ose exprimer cette promesse. » 52

Par ces mots, Zweig commence par se dédouaner. Il demande qu’on ne lui tienne pas rigueur de son pessimisme actuel, ce qui est assez ironique car cette pensée apparaît à la fin d’un discours très ambitieux sur l’idée d’Europe. La dualité entre trop de scepticisme et trop d’optimisme s’exprime ici : le pessimisme est utile à la critique, mais trop de pessimisme peut mener à la paralysie de la réflexion. C’est toute l’ambiguïté du discours de Zweig dans les années 1930 : il porte un regard assez noir sur la situation, et pourtant il continue à croire en la raison et aux progrès humains qu’elle peut engendrer. Et ici, après avoir exposé une conception nouvelle des idées politiques, après avoir ambitionné des programmes scolaires en histoire centrés non plus sur les conquêtes et l’expansionnisme, mais sur les découvertes et la culture en général, après avoir prôné une unité spirituelle supérieure, Zweig conclut en avouant qu’il ne croit pas totalement à ses propres idées ; ou du moins, qu’il n’entrevoit pas le jour où son idée d’Europe pourrait commencer à se réaliser. L’entente, le respect et la compréhension que Zweig espère ne verront peut-être pas le jour ; la raison ne semble plus être de mise au début des années 1930. Les régimes totalitaires et la censure s’imposent. Quelques lignes plus loin dans son discours, Zweig réitère :

« Non, elle n’est pas pour demain l’Europe unie, peut-être devrons-nous attendre des années, des décennies, peut-être notre génération ne la verra-t-elle pas. » 53

Alors, comment l’éternelle figure de l’humaniste, luttant contre le fanatisme de son temps pour garder sa propre liberté de penser et d’agir, peut-elle être utile ? Faut-il soit agir concrètement, soit se taire ? Le pouvoir des mots a-t-il encore une fonction ? Zweig, lui, choisit de fuir. Il opte pour une position neutre. Parce qu’il estime qu’il n’a pas la stature nécessaire pour s’engager plus fermement. S’il se dresse contre le IIIème Reich, ce n’est que par analogies, ou bien autour d’essais et de discours marqués par la nostalgie, comme « L’Histoire de demain » 54 ou « La Vienne d’hier » 55 .

A travers Erasme, Zweig semble aussi faire l’éloge de la neutralité. Le lecteur doit-il y voir un éloge de la non prise de position, du silence ? Sachant que la raison ne gagnera pas sur la fureur, que l’humanité n’aura pas gain de cause sur le fanatisme, ne vaut-il pas mieux, aux yeux de Zweig, rester fidèles aux valeurs humaines, sans s’engager ni rien entreprendre ? Et pourtant, la notion de combat est toujours bien présente. Conscience contre violence, par exemple, peut être défini comme « une allégorie de la résistance passive au fanatisme » 56 . Erasme, Zweig, les intellectuels de tout temps : chacun endosse une mission, et de ce fait, chacun mène inévitablement un combat. Dans une lettre à René Schikelé, Zweig écrit : « Il ne m’est jamais venu à l’esprit d’élever la neutralité au rang de principe, je voulais simplement donner en exemple les immenses exigences morales qu’elle impose à un homme et montrer dans quelle situation tragique peut se mettre un homme indépendant à une époque de folie généralisée » 57 . Zweig tente d’expliquer la difficulté de prendre position, mais aussi la difficulté de se détacher de la masse. Il lui semble difficile de se positionner si le combat est perdu d’avance ; difficile de prendre la plume face à des opposants bien plus puissants ; difficile également de s’engager dans un conflit où la violence semble l’emporter sur la conscience.

  1. La vacuité de l’engagement ?

Zweig exprime ainsi une sorte de fatalisme. Il admet que la pulsion et la soif de pouvoir sortent souvent vainqueurs. Les dictateurs disposent de moyens de pression afin de combattre ceux qui leur résistent. Zweig tente de délivrer un message, un enseignement. La morale de l’histoire : les plus faibles ne gagnent pas, la dictature est toujours plus puissante. « La pensée érasmienne n’a jamais joué aucun rôle dans l’histoire ni exercé aucune influence sensible sur le destin de l’Europe : le grand rêve des humanistes […] est demeuré une utopie, n’a jamais été réalisé et n’est peut-être pas réalisable dans le domaine des faits » 58 . Zweig croit toutefois en l’éventualité d’un développement positif de l’humain. Ce qu’il souligne, c’est que tout est possible dans le domaine spirituel. Lutter, même passivement, même de manière isolée, crée une dynamique. Une idée qui ne se réalise pas, ou qui subit un échec, n’est pas dénuée de valeur pour autant. Cela peut sembler contradictoire. Erasme connait la gloire, même si son combat reste vain : il a « frayé littérairement la voie à l’idée humanitaire, à cette idée très simple et en même temps éternelle que le devoir suprême de l’humanité est de devenir toujours plus humaine, toujours plus spirituelle, toujours plus compréhensive » 59 . Un discours dont la portée semble vaine, mais Zweig semble persuadé que l’humanité a besoin d’humanistes qui font de l’écriture une arme : « […] chaque portrait d’Erasme nous montre le guerrier à l’arme nouvelle, l’homme au livre » 60 . Cette arme, c’est la pensée, c’est l’écriture.

Erasme marque la première étape des essais biographiques de Zweig. Viennent ensuite Castellion et Calvin : dans Conscience contre violence, Zweig présente l’homme qu’il aurait voulu être. L’homme qui s’insurge avec courage. En effet, Castellion s’oppose par la seule arme qu’il possède, à savoir les mots et les idées, à un homme tout puissant, Calvin, qui a instauré une véritable dictature à Genève. Castellion est présenté comme « le moucheron » 61 face à Calvin « l’éléphant » 62 . Pourtant, malgré ce combat qui semble perdu d’avance, Zweig fait l’éloge de l’engagement de Castellion qui veut « se soustraire à l’oppression et […] défendre la liberté de pensée contre les mondes brutaux » 63 . Castellion ose s’insurger et prendre position publiquement. Aux yeux de Zweig, c’est un héros ; le héros que Zweig n’a pas su être.

D’un côté, nous avons donc Erasme, qui prône humanisme et pacifisme, mais ne s’engage pas activement ; d’un autre côté, Castellion, « un individu inexistant, un zéro, du point de vue politique » 64 , mais qui n’hésite pas à affronter Calvin, le puissant fanatique. D’une part, un homme qui serait un alter ego de Zweig ; d’autre part, l’homme que Zweig aurait voulu imiter. Être capable d’agir comme Castellion. Car Castellion est présenté comme un homme qui sait que son combat n’a pas de sens, vu qu’il est voué à l’échec, mais qui agit malgré tout.

« Le fait que Sébastien Castellion se rendit compte dès le début que sa lutte était vouée d’avance à l’insuccès et l’entreprit néanmoins suffit pour faire à jamais un héros de ce ‘‘soldat inconnu’’ de la grande guerre de libération du genre humain. » 65

L’appel de Castellion à la tolérance n’a pas « le moindre effet sur les contemporains » 66 , en raison de la censure. L’Histoire ne semble pas avoir de morale, et même les combats les plus engagés, même la lutte contre l’injustice se révèlent inutiles : « […] l’histoire […] favorise presque toujours les hommes de violence […] » 67 . Est-ce ce constat qui fait que Zweig refuse de s’engager et de prendre clairement position ? Quoi qu’il en soit, Zweig fait le récit d’une défaite. Et cette défaite, c’est un vaincu qui la raconte : un homme témoin et victime d’une dictature inhumaine. Par ses héros, par ses mots, avec émotion et foi en l’humanité, Zweig rédige deux essais, sur Erasme et Castellion, pour exprimer toute son admiration pour ceux qui agissent, tout en sachant que leur combat est perdu d’avance.

« Comment un individu isolé et désarmé aurait-il pu vaincre un Calvin qui s’appuyait sur des milliers et des dizaines de milliers d’hommes, sans parler du formidable appareil de l’Etat ? » 68

Cependant, n’oublions pas ce que Zweig écrit au sujet d’Erasme : Zweig estime que l’idéal d’Erasme n’ayant pas été mis en œuvre, il n’est « ni usé, ni compromis » 69 , et peut, ou pourrait de ce fait, être utile aux générations à venir.

CONCLUSION

En admettant que sa position d’écrivain cosmopolite et reconnu dans le monde entier ne peut que mener un combat vain face à la dictature, Zweig nous livre pourtant un message humain et encore très actuel quant à son idée d’Europe et à sa vision de la fraternité entre les peuples et du primat de la culture : « On nous enterrera comme les derniers Européens. Mais sur notre tombeau, on continuera à vivre et à créer » 70 . Avec son Erasme, Zweig rédige un pamphlet dans lequel il attaque tout système liberticide et même culturicide ; un plaidoyer pour l’Europe, pour la tolérance et la spiritualité. Par cet essai, il témoigne peut-être en partie de la vacuité que peut avoir l’engagement des intellectuels, mais avant tout, il offre au lecteur un message humain et tolérant. Il prouve qu’il est toujours possible de s’indigner d’une situation jugée inacceptable, de dénoncer un régime jugé injuste, et qu’il est toujours possible de résister à l’injustice sociale, de faire face aux inégalités et à toute situation jugée inhumaine, même si cette résistance est discrète. Un message qui semble d’actualité. Un message dont l’écho est retentissant, même après plusieurs décennies. Pourtant, certains contemporains de Zweig, comme Thomas Mann 71 , ont critiqué son attitude hésitante ; d’autres ont vu en son essai sur Erasme un message qui ne s’adresserait qu’à une élite 72 .

N’oublions pas que Stefan Zweig a largement contribué à l’éveil, voire à la naissance de l’intellectuel européen. Qu’il s’agisse pour Zweig de ses nombreux articles et discours en faveur de l’Europe, de ses échanges épistolaires avec nombre d’artistes européens, ou de son amitié profonde avec Romain Rolland, Zweig était et reste un écrivain cosmopolite, précurseur d’une idée d’Europe fraternelle et défenseur d’une conscience morale paneuropéenne.

« Il ne nie pas le nationalisme, ne cherche pas à fondre les cultures, mais s’appuie sur la connaissance réciproque et l’élaboration d’une « conscience supranationale ». Jugeant l’union inévitable dans le mouvement de l’Histoire, l’auteur s’inquiète de ce que serait une Europe purement économique ; une telle construction, pense-t-il, ne saurait garantir longtemps la paix, car elle ne pourrait soigner les pays de leur maladie politique, l’impérialisme. Au contraire, une Europe culturelle permettrait le respect mutuel entre États, tout en évitant le repli sur soi et la méconnaissance caricaturale du voisin ayant cours avant et pendant la première guerre mondiale. Visionnaires tout autant qu’enracinées dans la réalité du xxe siècle, les idées de Zweig se montrent encore fécondes pour notre pensée actuelle de l’Europe » 73 .

Si Zweig a d’abord évolué dans un milieu social et artistique où la conscience politique et l’engagement n’étaient pas au centre des préoccupations, il s’est ensuite détaché de cette tendance, avec ses essais sur Erasme et Castellion 74 , mais aussi avec ses discours sur le thème de l’Europe, notamment La pensée européenne dans son développement historique.

En nous référant à des publications plus récentes, et je citerai Le Voyage d’Erasme, nous voyons que le rêve européen, le rêve pacifique d’une Europe soudée et la préservation de l’esprit européen sont plus que jamais des thèmes actuels. Et à ce titre, Erasme reste un modèle de l’âme de l’Europe. Saint Exupéry écrivait dans Le Petit Prince : « on ne voit qu’avec le cœur ». Cette phrase symbolise également, à mon avis, la pensée de Stefan Zweig. Raison et humanisme sont indissociables.

 

Notes    (↵ returns to text)

  1. Donald Prater. Stefan Zweig. Eine Biografie. Hamburg : Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1991. 1ère parution: 1981. « Stand Erasmus für Zweig, wie er wirklich war, so zeichnete Castellio das Bild des Mannes, der er sein wollte. », p.261.
  2. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. « Sa Mission, le sens de sa vie », 1934. Paris, Le Livre de Poche, Tome III – Essais, 2011 – p.1023.
  3. Ibid., p.1023-1024.
  4. Ibid., p.1025.
  5. Ibid., « Sa mission, le sens de sa vie », p.1025.
  6. Ibid., « Sombre jeunesse », p.1037.
  7. Ibid, p.1038 : « [Erasme] se garde bien d’opposer une résistance inutile aux puissants et aux puissances de ce monde. Il préfère pactiser avec eux que les fronder, il aime mieux se rendre libre par la ruse que par la lutte […]. Trop prudent pour jamais devenir un héros, il obtient par sa clairvoyance, par sa connaissance supérieure des faiblesses humaines tout ce dont a besoin le développement de sa personnalité […]. »
  8. LARCATI A., RENOLDNER K., WÖRGÖTTER M. (2018). Stefan Zweig Handbuch. De Gruyter. Ouvrage collectif, Berlin / Boston. Stefan Zweig Zentrum Salzburg. 11.3 : Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam ; 1- Entstehung, p.406. „Ich will ihm ein kleines Denkmal errichten, und wer zu lesen versteht, wird die Geschichte unserer Tage in der Analogie entdecken.“
  9. Id. Stefan Zweig Handbuch. « Bildnis eines Besiegten », p.406.
  10. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. « Portrait », p.1050.
  11. Ibid., p.1051.
  12. Id.
  13. Ibid., p. 1053
  14. Isabelle Hausser, Préface. Stefan Zweig – Essais. Paris : La Pochothèque, Tome III 2011 (Collection Le Livre de Poche), p.1021.
  15. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. « Les années de célébrité », p.1066.
  16. Stefan Zweig, Conscience contre violence, 1936.
  17. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. « Sa Mission, le sens de sa vie », p.1028.
  18. Ibid., p.1030.
  19. Ibid., « Le Grand adversaire », p.1087.
  20. Ibid., p.1091.
  21. NIEMETZ, S. (1996). Stefan Zweig : Le voyageur et ses mondes. Chapitre IV : L’exil, les ténèbres. Paris : Belfond, 1996 – p.391, lettre écrite par R. Rolland à K. Mann datée du 21 octobre 1933 : « Je n’imagine pas comment Victor Hugo à Guernesey aurait pu se tenir en dehors de la politique, et s’il s’y était tenu, je n’aurais guère d’estime pour lui. » Le 28 novembre de la même année, après une déclaration de Zweig à la Jewish Telegraphic Agency, Romain Rolland note dans son Journal : « Finalement, Zweig, éperdu, pour se rallier l’opinion de l’Europe, brûle ses vaisseaux et rompt publiquement avec l’Allemagne hitlérienne. Le voici maintenant plus compromis auprès d’Hitler que s’il n’avait pas retiré publiquement son nom de la revue des émigrés : Die Sammlung ! Et voilà le beau résultat de trop de prudence !… Qui ménage trop met tout le monde contre soi. »(Id., p.392).
  22. Hors-Série Le Monde : « Stefan Zweig. L’Européen. Une vie, une œuvre. » (avril-mai 2017). Débats : « Soit vous rompez avec le IIIème Reich, soit vous rompez avec moi », lettre de J. Roth, Rapperswil, 07/11/1933 – p.77. Joseph Roth est alors en exil à Paris. Il ne cesse de mettre en garde S. Zweig devant le danger que représente le nazisme. Zweig n’a plus l’intention de participer à la revue Die Sammlung de K. Mann et J. Roth lui écrit alors pour lui dire qu’il ne peut « cautionner » son attitude. Roth est d’avis que Zweig n’a pas conscience de ce que le NSDAP représente. « Noch einmal: Sie müssen entweder mit dem III. Reich Schluβ machen, oder mit mir. »
  23. NIEMETZ, S. (1996). Stefan Zweig : Le voyageur et ses mondes. Paris : Belfond, 1996 – Chapitre IV : L’exil, les ténèbres, p.429.
  24. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. « Le legs spirituel d’Erasme », p.1138.
  25. Ibid., « Sombre jeunesse », p.1037.
  26. PROCHNIK, G. (2014). L’Impossible Exil. Stefan Zweig et la fin du monde. Chapitre 2 « Les mendiants et le pont », p.82.
  27. « La Russie demeure totalement incomparable. L’œil et le sens esthétique ne sont pas les seuls à être saisis par une surprise constante face à cette architecture originaire et cette nouvelle entité nationale : ici, les choses de l’esprit prennent une forme différente, en provenance d’autres passés et à destination d’un avenir singulier. », in ZWEIG, Stefan (1931). Voyage en Russie. Paris : Editions Payot & Rivages, Petite bibliothèque Payot, « Classiques », 2017. Traduction inédite de l’allemand par Olivier Mannoni. Pas d’engagement ou d’analyse politique, pas de critique de la dictature, Zweig ne voit la Russie qu’à travers l’écrivain Maxime Gorki et les vitrines pauvres et presque vides des magasins en Russie traduisent pour lui la sobriété ambiante.
  28. Quand, à la fin de l’année 1930, le parti nazi remporte un grand succès électoral et qu’une large partie de la jeunesse adhère à ses idées, Zweig interprète cet enthousiasme comme une révolte de la jeunesse envers l’ordre établi. Cette vision est évoquée dans Le Monde d’Hier, mais constitue aussi une des bases de son article « Révolte contre la lenteur » (1930).
  29. « Roth et Zweig sans pitié dangereuse », lettre du 26 mars 1933 (article du 09/10/2013) – http://www.liberation.fr/livres/2013/10/09/roth-et-zweig-sans-pitie-dangereuse 938241.
  30. Joseph Roth – Lettres choisies (1911-1939). Paris : Editions du Seuil, 2007 – 556p. – Lettres traduites de l’allemand, présentées et annotées par S. PESNEL, p.254.
  31. » Roth et Zweig sans pitié dangereuse », lettre du 26 mars 1933 (article du 09/10/2013).
  32. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée, « Années de célébrité », p.1065.
  33. Ibid., « Grandeur et limites de l’humanisme », p.1084.
  34. Ibid., « Le Grand Adversaire », p.1086.
  35. Ibid., « Portrait », p.1053.
  36. Ibid., « Le Grand Adversaire », p.1088.
  37. Ibid., p.1090.
  38. Id.
  39. STRELKA, J. (1981). Stefan Zweig. Freier Geist der Menschlichkeit. Östereichischer Bundesverlag, Wien. « Darüber hinaus ist Zweigs Erasmus bis in Details ein Sebstbildnis Zweigs : Das Sich-nicht-entscheiden-Wollen des Erasmus, das viele Zeitgenossen und Nachfahren einfach Feigheit genannt haben, ohne Grund des Zögerns zu verstehen, ist für Zweig gleicherweise charakteristisch. », p.88.
  40. HAENEL, T. (1995). Psychologie aus Leidenschaft. Stefan Zweig. Leben und Werk aus dem Sicht eines Psychiaters. Droste Verlag – Düsseldorf. « Was ich jetzt arbeiten will, ist eine Studie über Erasmus von Rotterdam, den Humanisten auch des Herzens, der durch Luther die gleiche Niederlage erlitten hat wie die humanen Deutschen heute durch Hitler. Ich will durch Analogie darstellen und auf unkonfiszierbare Weise mit höchster Gerechtigkeit an diesem Menschen unseren Typus entwickeln unter den anderen. Es wird offentlich ein Hymnus auf die Niederlage sein. », lettre de S. Zweig à K. Mann, p.315.
  41. Dans son ouvrage L’Impossible Exil. Stefan Zweig et la fin du monde, George Prochnik parle de « l’ambivalence de Zweig sur la ‘’personne’’ qu’il était et sur ce qu’il voulait devenir », voir chapitre 3 « Le peuple du livre », p.122.
  42. Austriaca, Cahiers universitaires d’information sur l’Autriche. Stefan Zweig, études réunies par E. Tunner – Juin 1992 – N°34. Les médiations françaises de Stefan Zweig, M. NATTER, p.51.
  43. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. « Sa mission, le sens de sa vie », p.1050.
  44. Ibid., « Grandeur et limites de l’humanisme », p.1073.
  45. Ibid., p.1077-1078.
  46. Ibid., « Le Grand adversaire », p.1087.
  47. Ibid., p.1097.
  48. PROCHNIK, G. (2014). L’Impossible Exil. Stefan Zweig et la fin du monde. Chapitre 2, « Les mendiants et le pont », p.88 – « En 1935, Stefan Zweig […] n’avait pas prononcé la déclaration tonitruante contre l’hitlérisme qu’on attendait de lui. Il est attaqué en même temps à droite et à gauche, ce qui le rendait d’autant plus sensible au destin d’Erasme, et à l’impression qu’il avait atteint ses limites. » L’identification avec Erasme se fait donc aussi, et peut-être avant tout, sur le plan personnel.
  49. ZWEIG, S. (1934). Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. Le Livre de Poche, tome III – Essais, 2011 – p.1019, Epigraphe. « Erasmus est homo pro se » / « Erasmus steht immer für sich allein » (Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam, Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 2014 – p.7)
  50. Stefan Zweig, Conscience contre violence : ou Castellion contre Calvin, « Le Manifeste de la tolérance », 1936. La Flèche (Sarthe) : Le Livre de Poche, Edition 06, 2014, p.185.
  51. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée, « Portrait », p.1052.
  52. Stefan Zweig, Derniers Messages. Paris : Bartillat, 2014 (Collection Monia Poche), « La pensée européenne dans son développement historique », p.77, discours tenu à Florence le 5 mai 1932.
  53. Ibid, p.78.
  54. Stefan Zweig, Derniers Messages. Paris : Bartillat, 2014 (Collection Monia Poche), « L’Histoire de demain », discours tenu du 9 janvier au 14 février 1939 aux Etats-Unis.
  55. Stefan Zweig. Derniers Messages. Paris : Bartillat, 2014 (Collection Omnia Poche), « La Vienne d’hier », conférence donnée à Paris en avril 1940.
  56. Olivier Philipponnat, « Stefan Zweig. L’Européen. Une vie, une œuvre. », Hommages : « L’Histoire avec une grande hache », Hors-Série Le Monde, avril-mai 2017, p.112-113.
  57. Stefan Zweig, Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. Préface, p.1022.
  58. Ibid., « Le legs spirituel d’Erasme », p.1138.
  59. Ibid., p.1139.
  60. Ibid., « Portrait », p.1050.
  61. Stefan Zweig, Conscience contre violence : ou Castellion contre Calvin. « Introduction », p.11.
  62. Id.
  63. Ibid., p.19-20.
  64. Ibid., p.13.
  65. Ibid., p.15.
  66. Ibid., « Le triomphe de la force », p.211.
  67. Ibid., p.214.
  68. Ibid., « Introduction », p.12.
  69. George Prochnik, L’Impossible Exil. Stefan Zweig et la fin du monde, 2014, Epilogue, p.398.
  70. Lettre de Stefan Zweig du 11 septembre 1939, in Romain Rolland / Stefan Zweig, Correspondance 1928-1940, éd. Jean-Yves Brancy, Paris, Albin Michel, 2016, p.585.
  71. À l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Zweig, Thomas Mann fait comprendre que le pacifisme absolu et déterminé de ce dernier l’a torturé. Il a d’abord considéré son suicide comme une désertion : « Il n’a pas pu se suicider de chagrin ou de détresse. La lettre qu’il a laissée est tout à fait insuffisante. », in Hors-Série Le Monde : « Stefan Zweig. L’Européen. Une vie, une œuvre. » (avril-mai 2017). Débats : « De l’opinion générale, Zweig a failli à sa mission d’intellectuel », lettre de T. Mann à Erika Mann le 24/02/1942 – p.89. Thomas Mann ne porte pas grand intérêt à Zweig ou à son œuvre ; dans une lettre à Erika Mann, il laisse entendre que la lettre d’adieu de Zweig « ne dévoile pas les vraies raisons de son suicide, mais cache des motifs personnels et moins louables, un scandale, une liaison… »]. Mais il a ensuite appris à envisager autrement cette disparition voulue. Thomas Mann laisse d’abord entendre que Zweig s’est suicidé par lâcheté ; mais avec le temps, son avis est moins prononcé, moins tranché, et il cherche à comprendre les causes d’un tel geste, plutôt que de porter un simple jugement.
  72. Stefan Zweig Handbuch. De Gruyter. 11.3 : Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam ; 4- Rezeption und Forschung, p.410. „Die Erasmus, selbst wenn sie fähig wären, ihren Sieg in die Tat umzusetzen, würden der Welt immer nur ein geistiges Paradies für eine Elite bringen – ein Palace-Hotel.“
  73. Caroline Anthérieu-Yagbasan, « Zweig et l’Europe : culture contre nationalismes », Noesis [En ligne], 30-31 | 2018, mis en ligne le 15 juin 2020, consulté le 16 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/noesis/4072.
  74. « Ecrivains, créateurs, hommes devenus illustres et tragiques contre leur volonté, [Zweig] s’est attaché à découvrir en eux des moments de la conscience universelle ou s’affrontaient l’humanité et l’inhumanité, où la liberté et la justice étaient en jeu. », in ‘‘Le Magazine Littéraire’’, dossier « Stefan Zweig, le chasseur d’âmes » ; Septembre 1987, n°245. « Les heures étoilées de l’humanité », par J.-M. Palmier, p.24.

Bibliographie

Ouvrages de référence :

-  ZWEIG, Stefan. (1934). Erasme. Grandeur et décadence d’une idée. p.1019 à 1139.  In Stefan Zweig – Essais. Paris, La Pochothèque, Tome III - Collection Le Livre de Poche, 3ème édition –  avril 2011 (1ère édition : février 1996) – 1273p. ISBN 978-2-253-13232-5. Traduction de l’allemand par A. Hella, H. Bloch, J. Pary, D. Tassel et I. Hauser. Préface d’I. Hausser. (Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam. Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 23. Auflage, 2014 – 187p. ISBN 978-3-596-22279-7)

- ZWEIG, Stefan. (1936). Conscience contre violence : ou Castellion contre Calvin. La Flèche (Sarthe) : Le Livre de Poche, Edition 06, 2014 – 261p. Traduit de l’allemand par A. Hella. ISBN 978-2-253-15371-9. (Castellio gegen Calvin oder Ein Gewissen gegen die Gewalt. Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 16. Auflage, 2012 – 245p. ISBN 978-3-596-22295-7)

Discours et conférences de Stefan Zweig :

Derniers Messages. Paris : Bartillat, 2014 – 252p. (Collection Monia Poche). Traduit de l’allemand par Alzir Hella. ISBN 978-84100-549-9.

- « La pensée européenne dans son développement historique » (discours, 05/05/1932). Der europäische Gedanke in seiner historischen Entwicklung

- « L’Histoire de demain » (1938). Geschichtsschreibung von morgen.

- « La Vienne d’hier » (1940). Das Wien von gestern.

Revues et ouvrages collectifs :

- Austriaca, Cahiers universitaires d’information sur l’Autriche. Stefan Zweig, études réunies par E. Tunner – Juin 1992 – N°34. Les médiations françaises de Stefan Zweig, M. NATTER.

- Hors-Série Le Monde : « Stefan Zweig. L’Européen. Une vie, une œuvre. » Avril – Mai 2017. M08392. 122p. Hommages : « L’Histoire avec une grande hache », par Philipponnat O.

- Le Magazine Littéraire : Dossier Stefan Zweig, le chasseur d’âmes ; septembre 1987, n°245. M2049. 98p. Article consulté : « Les Heures étoilées de l’humanité », par PALMIER Jean-Michel.

- LARCATI Arturo, RENOLDNER Klemens, WÖRGÖTTER Martina. Stefan Zweig Handbuch. De Gruyter. Ouvrage collectif, Berlin / Boston. Stefan Zweig Zentrum Salzburg, 2018. 1004p. ISBN 978-3-11-030388-9.

- LE RIDER Jacques / RENOLDNER Klemens. Stefan Zweig. L’esprit européen en exil. Essais, discours, entretiens, 1933-1942. Edition Bartillat, Paris, 2020. 415p. ISBN 978-2-84100-688-5.

Ouvrage biographique sur Stefan Zweig :

- HAENEL, Thomas. Psychologie aus Leidenschaft. Stefan Zweig. Leben und Werk aus dem Sicht eines Psychiaters. Droste Verlag Düsseldorf, 1995. 380p. ISBN-13 978-3770010356.

- NIEMETZ, Serge. Stefan Zweig : Le voyageur et ses mondes. Belfond Paris, 1996. 599p. ISBN 2-7144-3360-X.

- PRATER, Donald. Stefan Zweig. Eine Biografie. Hamburg, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1991 – 423p. ISBN 3 499 12874 8. Date de 1ère parution, 1981.

- PROCHNIK, George. L’impossible Exil. Stefan Zweig et la fin du monde. Bernard Grasset Paris, 2014. Titre original : The impossible exile : Stefan Zweig at the end of the world. Traduit de l’anglais par C. Dutheil de la Rochère. 444p. ISBN 978 2 246 85759 4.

- STRELKA, Joseph. Stefan Zweig. Freier Geist der Menschlichkeit. Östereichischer Bundesverlag, Wien, 1981. 165p.  ISBN 3 215 04433 1.

Correspondances :

Joseph Roth – Lettres choisies (1911-1939). Paris : Editions du Seuil, 2007 – 556p. - Lettres traduites de l’allemand, présentées et annotées par S. PESNEL, p.254.

Romain Rolland / Stefan Zweig. Correspondance 1928-1940, éd. Jean-Yves Brancy, Paris, Albin Michel, 2016, 624p. ISBN-13 : 978-2226329721.

Ouvrages cités :

- GOUERY, Franck. Le Voyage d’Erasme. Si l’Europe m’étais contée, Paris, Non Lieu, 2019. 120p. ISBN-10 : 2352702879.

- SAINT-EXUPERY, Antoine de. Le Petit Prince. 1943.

- ZWEIG, Stefan. Voyages en Russie. Paris : Editions Payot & Rivages, Petite bibliothèque Payot, « Classiques », 2017. Titre original : Reise nach Ruβland. 1931. Traduction inédite de l’allemand par Olivier Mannoni. 170p. ISBN-10: 2228917680

- ZWEIG, Stefan. (1942). Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen. Espagne, Le Livre de Poche, Edition 1 coffret, novembre 2011. Titre original : Die Welt von gestern. 1942. Traduction nouvelle de Serge Niémetz. 506p. ISBN 978-2-253-16279-7.

Articles en ligne :

- « Roth et Zweig sans pitié dangereuse », lettre du 26 mars 1933 (article du 09/10/2013) - http://www.liberation.fr/livres/2013/10/09/roth-et-zweig-sans-pitie-dangereuse 938241.

- Caroline Anthérieu-Yagbasan, « Zweig et l’Europe : culture contre nationalismes », Noesis [En ligne], 30-31 | 2018, mis en ligne le 15 juin 2020, consulté le 16 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/noesis/4072.

Auteur

Pour citer cet article

Virginie Lecorchey, L’homme que je suis, l’homme que j’aurais aimé être…, ©2023 Quaderna, mis en ligne le 2 octobre 2023, url permanente : https://quaderna.org/6/lhomme-que-je-suis-lhomme-que-jaurais-aime-etre/

L’homme que je suis, l’homme que j’aurais aimé être…
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