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# 06 Nord magnétique

Ida Hahn-Hahn (1805-1880) et le défi du Nord touristique

Abstract

The German poet and novelist Ida Countess von Hahn is one of the great travellers of the 19th century. She travelled through most of Western Europe, and even to the Near East. Her journey around Scandinavia took place in 1842 at a turning point in representations of the North, when scientific discourse, until then dominant in travel accounts of this region, was supplanted by a discourse related to tourism. The imaginary world of the North, which the author evoked in Reiseversuch im Norden published in 1843, thus rejects a scholarly presentation of the Nordic countries in favour of more personal and subjective evocations. As an expression of a quest rather than of certainties, the text is in line with the logic of borealism and sketches out an "identity-based otherness" (Briens) in a context where tourism ceased to be the privilege of a minority and invented its first standardised and popular formats.

Résumé

Poète et romancière, l’auteure allemande Ida comtesse von Hahn fait également partie des grandes voyageuses du 19e siècle. Elle parcourut la plupart des pays de l’Europe occidental, voyageant même dans le proche Orient. Son périple à travers la Scandinavie eut lieu en 1842à un moment de transition dans la représentation du Nord, lorsque le discours scientifique,jusqu’alors dominant dans les récits de voyage sur cette région, fut supplanté par un discours touristique. L’imaginaire du Nord que l’auteure évoqué dans Essai d’un voyage dans le Nord(Reiseversuch im Norden) paru en 1843, s’affranchit ainsi d’une présentation savante des contrées nordiques au profit d’évocations plus personnelles et subjectives. Expression d’une quête plutôt que de certitudes, le récit s’inscrit dans la logique du boréalisme et esquisse une « altérité identitaire » (Briens) dans un contexte où le tourisme cesse d’être le privilège d’une minorité et invente ses premiers formats standardisés et populaires.

Texte intégral

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Comme d’autres écrivaines de sa génération, Ida Hahn-Hahn, ou Ida comtesse von Hahn 1 , fait partie des grandes voyageuses du XIXe siècle. En dehors de la Suède, elle parcourut la Suisse et l’Italie, fit le tour de l’Espagne et du Portugal ainsi que de la France. En 1844, elle est une des premières femmes à partir à la découverte du Proche-Orient. Son dernier voyage l’amena en Angleterre, puis en Ecosse. Ces pérégrinations alimentent une production littéraire abondante et très populaire auprès du lectorat contemporain. L’intérêt scientifique s’est porté davantage sur les récits de voyage de Hahn-Hahn que sur l’œuvre romanesque, pourtant plus conséquente encore. Les Lettres orientales (Orientalische Briefe) publiées en 1844, ont notamment fait l’objet de plusieurs études, en particulier dans le contexte des études culturelles et postcoloniales. L’incursion de l’auteure dans le Nord de l’Europe en revanche a reçu peu d’attention jusqu’à présent.

En 1842, Hahn-Hahn accomplit dans le « Nord » un périple d’une durée d’un mois environ, qu’elle entama le 19 juin au port de Stralsund où elle embarqua pour Ystad en Scanie. D’Ystad, elle se dirigea vers Stockholm, également par voie maritime, et y séjourna quelque temps, avant de s’installer à Uppsala. Ces deux villes lui servirent de point de départ pour visiter les sites majeurs du pourtour du lac Mälar, et au-delà. Comme la plupart des voyageurs de cette époque, elle poussa ses pas jusqu’aux mines de fer de Dannemora. Au début du mois de juillet, la comtesse gagna la ville de Göteborg à bord du vapeur le Polhem, qui depuis peu reliait la capitale suédoise à la deuxième ville du pays via le tout nouveau canal Göta. De Göteborg, elle partit pour Copenhague, et quelques jours plus tard retourna en Allemagne, dans le Holstein, au château familial de Neuhaus 2 .

Pour un voyage dans le Nord, le circuit parcouru est plutôt resserré, se limitant principalement à la Suède, plus précisément au Sud du pays, sans incursions notables dans des contrées plus extrêmes, pas plus en Dalécarlie par exemple qu’en Laponie, qui à l’époque suscitait pourtant beaucoup d’intérêt et constituait presque une destination incontournable parmi les voyageurs venant d’Allemagne 3 . Hahn-Hahn avait pourtant prévu une excursion aux mines de cuivre de Falun, mais y renonça. A ses lecteurs, privés d’une étape majeure et presque mythique du voyage classique en Suède, elle explique son choix en évoquant le mauvais temps, tout en affichant son manque de curiosité vis-à-vis d’une destination ayant à ses yeux avant tout un intérêt industriel et technique et n’étant ainsi pas compatible avec le voyage de plaisance qu’elle s’était promis d’effectuer 4 . Enfin, arrivée à Göteborg, elle annonce à son lectorat qu’il ne découvrira pas non plus la Norvège qui devait pourtant à l’origine constituer le moment clé du voyage 5 . Son aversion grandissante envers les voyages maritimes lui faisait craindre la monotonie des journées à passer sur l’eau 6 . Ainsi, le Grand Nord scandinave lui resterait inconnu, et ses lecteurs non plus n’en sauraient pas davantage.

Tout ceci ne mériterait probablement pas notre attention si la comtesse n’avait pas donné à la relation de ce voyage tronqué un titre en décalage par rapport à la modeste boucle qu’elle venait d’accomplir. Le livre s’intitule en effet : « Ein Reiseversuch im Norden » (essai d’un voyage dans le Nord). Evoquer le Nord alors qu’elle s’était contentée plutôt du Sud du Nord, voilà qui paraît exagéré, surtout lorsqu’on tient compte du fait que la notion du « Nord » revêtait à l’époque un sens géographique large désignant le Nord scandinave dans son ensemble 7 . Une autre ambiguïté réside dans le sens du mot « Versuch » qui désigne aussi bien la tentative, l’action par laquelle on essaie de faire réussir quelque chose, que l’essai, un genre littéraire qui traite son sujet par approches successives, pas forcément systématique ni objectif, et sans viser l’exhaustivité. Dans le titre transparait un flottement qui prend à revers les codes génériques d’une écriture tenue à la description précise et factuelle d’un espace circonscrit avec netteté sur le plan géographique et politique. Dès l’abord, l’auteure assouplit les contraintes génériques. Créant une tension entre ce que l’on pourrait appeler avec Dominique Maingueneau la « scène générique » et la « scénographie » 8 , l’auteure imprime à son récit un mouvement qui s’apparente à une quête.

Historiquement, le voyage de la comtesse von Hahn se déroule à un moment de transition marqué dans la culture germanique par un changement du regard porté sur le Nord. Même s’il s’effectue avant l’âge d’or que le tourisme nordique connaîtra chez les Allemands à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le périple a lieu à un moment où, dans l’approche de la Scandinavie, le discours touristique commence à supplanter le discours scientifique jusqu’alors dominant. De moins en moins affaire exclusive des savants, le Nord devient le lieu de découvertes culturelles et touristiques 9 . Ceci se manifeste dans la production importante de récits de voyage pour le grand public, destinés à le divertir autant qu’à l’instruire 10 . Ainsi, le romancier Willibald Alexis, parti pour la Suède et la Norvège à la fin des années 1820, souligne dans le récit qu’il tire de cette aventure l’absence de toute prétention scientifique et revendique le fait de voyager dans un simple but récréatif :

Les préparatifs et mes inclinations ne m’ont pas poussé à parcourir le Nord en tant que géographe, statisticien, ethnographe, ni en tant que minéralogiste, botaniste ou politicien. Je voudrais également rejeter le prédicat du voyageur et peintre amateur. Même si de temps à autre j’essaie de dessiner, le plaisir et la récréation étaient le but principal. 11

Le voyage de Hahn-Hahn s’inscrit dans cette même veine. Tout en livrant des observations précises récoltées en Suède, l’auteure se détourne de l’encyclopédisme des anciens voyageurs et ouvre son récit à un discours moins orthodoxe, au service d’un imaginaire construisant sa propre « grammaire du Nord » 12 . Ainsi, le texte s’inscrit dans une logique de boréalisme comme discours littéraire telle qu’elle a récemment été décrite par Sylvain Briens 13 . Hahn-Hahn s’affranchit d’une vision plutôt positive du Nord qui constitue l’horizon d’attente des lecteurs contemporains au profit d’un imaginaire nordique décalé, plus personnel et radicalement subjectif 14 . L’étude cherche à comprendre les enjeux de cette représentation nordique à un moment de rupture des paradigmes. Non seulement l’imaginaire du Nord dans la culture germanique change ses codes, le contexte sociologique même dans lequel se déroule la tournée de la comtesse en Scandinavie est empreint de mutations montrant que le voyage cesse d’être un privilège des élites alors que le tourisme invente ses premiers formats standardisés. Le propos s’articulera autour de trois aspects : la posture de la voyageuse, les éléments construisant son imaginaire nordique et sa mise au service d’un questionnement à propos de l’acte de voyager en lui-même.

La posture de la voyageuse

Le récit de Hahn-Hahn, qui se compose de dix-huit lettres sans destinataire précis, repose sur un environnement paratextuel élaboré et comporte, en dehors du titre, une dédicace (intitulée « aux miens »), une préface ainsi qu’une lettre de clôture adressée à une amie (« ma chère Emy »). Opérant un retour sur les idées énoncées dans la préface, cette dernière fonctionne comme une sorte d’épilogue. A l’image de l’ambivalence du titre déjà commenté, le paratexte touffu et peu commun à la littérature de voyage concourt à marquer le décalage par rapport aux codes génériques et a pour effet de souligner la littérarité du texte.

Ainsi, la préface, sous l’apparence d’une captatio benevolentiae très vite démentie, repose sur un mouvement énonciatif contradictoire : elle sollicite la clémence du lectorat pour un texte annoncé d’emblée comme étant imparfait, tout en insistant sur le fait que l’enjeu réside dans cette imperfection même :

Bien d’autres auraient tiré un meilleur rapport de ce que j’ai vu de la Suède, j’en ai bien conscience ; seulement, il ne m’était pas donné à moi de faire autrement. Celui qui comprend cela lira peut-être ce livre avec un intérêt supérieur. Celui qui ne comprend pas cela – et qui pense qu’un auteur doit toujours être dans le même état d’esprit et écrire avec la régularité d’une machine – celui-là fera mieux de ne pas ouvrir ce livre, car il ne lui plaira pas. Quoi qu’il en soit, il est incomplet, comme l’indique déjà le titre ; et le livre lui-même explique pourquoi il en est ainsi. Je dis ceci en guise d’avertissement, mais nullement pour me disculper car je n’ai pas le sentiment que cela soit nécessaire. 15

L’auteure déplace ici l’enjeu : dans la rencontre de la voyageuse et de l’espace, ce n’est pas l’espace qui s’impose, mais le regard de la voyageuse dans lequel l’espace se constitue. C’est donc sur l’insuffisance prétendue de la restitution du vécu, et sur sa subjectivité, que repose l’esthétique de ce récit inaccompli sur un voyage incomplet.

A cette valorisation de l’écriture correspond la mise en scène de l’auteure dans son double rôle, celui de la voyageuse et de l’écrivaine qu’elle est aussi. Déjà la préface jette les bases de cette double posture puisqu’elle contient une allusion au précédent ouvrage d’Ida Hahn-Hahn 16 . La suite du texte est émaillée d’indications sur sa condition de femme de lettres. Citons deux exemples : sur le bateau qui l’amène de Stockholm au château de Skokloster, la voyageuse fait la connaissance de deux hommes qui sont en train de lire les Reisebriefe (Lettres de voyage) de Ida Gräfin Hahn-Hahn 17 . Et lorsqu’elle s’apprête à quitter la capitale du pays, le roi, Charles XIV Jean de Suède, lui fait remettre des cadeaux pour honorer l’illustre auteure, visiteuse de la Suède 18 .

Le moment clé de cette mise en scène est cependant formé par le séjour de l’auteure chez sa collègue, la romancière Fredrika Bremer (1801-1865), entrevue relatée sur une dizaine de pages. Hahn-Hahn rendit visite à cette dernière au château d’Årsta, où celle-ci vivait avec sa mère et sa sœur. A la fin de la description, l’économie spatiale à l’œuvre dans le récit de Hahn-Hahn devient visible. Deux discours sur la Suède y sont mis en miroir : le discours exogène de la voyageuse et le discours endogène de Fredrika Bremer :

Recueillie et calme, Mlle Fredrika Bremer m’apparaissait si intimement liée au pays dont elle est issue, et aux livres dont elle a accouché, que je ne saurais dire lequel de ces trois m’a permis de comprendre les autres. Tout ce qu’elle a l’habitude de décrire, les maisons de campagne, les jardins au bord du lac, la façon de voyager, les petites voitures légères à deux roues et à un cheval dans lesquelles deux personnes se promènent, tout cela se trouve sur le sol et sous le ciel suédois. On le voit ainsi en réalité, et précisément, on ne le voit qu’ici. 19

En évoquant l’œuvre de Bremer accessible en Allemagne depuis quelque temps 20 , l’écrivaine-voyageuse Hahn-Hahn ne se contente pas de se décharger de l’observation objective et véridique des réalités de la Suède contemporaine attendue dans un récit de voyage. Elle souscrit du même coup à la vision très positive et consensuelle de la Suède véhiculée dans l’œuvre de Bremer, une façon de se mettre à l’abri de critiques et de s’assurer en échange une plus grande liberté à développer un imaginaire du Nord à sa guise, servant au mieux les enjeux plus profonds de son récit, dont on tâchera par la suite de saisir les traits majeurs.

Un Nord muet et inanimé

Le manque de soleil déploré dès la préface constitue un leitmotiv du récit et concourt à l’image d’un pays plongé dans une grisaille perpétuelle : le ciel y est souvent assombri, le froid règne même en été, et la pluie accompagne presque toutes les sorties de la voyageuse. Au temps morne qui domine fait écho l’atonie attribuée à la population suédoise elle-même. Point d’expression de joie chez les hommes, pas de foules en liesse lors des jours de fête, et même lors des traditionnels rassemblements du solstice d’été, la population semble mettre une sourdine à son enthousiasme 21 . Le mutisme des Suédois trouve son corollaire dans la faible « épaisseur culturelle » du patrimoine que Hahn-Hahn mentionne à plusieurs endroits 22  : la mythologie nordique trouve peu de grâce à ces yeux. Pétrifiée dans un passé lointain, elle lui semble sans lien avec le présent 23 . Et même les œuvres d’art récentes, populaires auprès des contemporains et reconnues à travers l’Europe, lui semblent factices et manquant de vérité. Ainsi la statue du dieu Odin réalisée par le sculpteur Bengt Fogelberg (1786-1854), que la voyageuse étudie lors de sa visite au Musée royal, lui fait l’effet d’un travestissement de l’héritage classique :

D’ailleurs, je suis très satisfaite de sa statue d’Odin pour la simple raison que j’ai enfin vu une représentation d’Odin, et que je n’ai plus besoin de l’inventer à partir de nuages et de figures effrayantes. Mais je ressens la même chose que pour les Braga et Freya des poètes nordiques : il me semble être Mars, mais à Asgard, plutôt que sur l’Olympe. 24

Ce discours stéréotypé sur le Nord se lit comme un reflet tardif de l’image dépréciative des zones boréales développée par la théorie des climats et agaçait déjà les lecteurs de l’époque 25 . La nature, les paysages, les contrées du Nord en général, tout devient le lieu de l’imperfection : l’absence de chaleur, malgré la lumière, la rareté des fleurs en dépit d’une végétation épaisse, et un été sans parfum marquent une nature étrangère à toute jubilation qui est « grave, secrète et distante », comme si elle n’était pas parvenue « à s’épanouir » 26 . Les paysages, constitués de lignes nivelées et monotones, manquent d’aspects spectaculaires et sont privés de beauté grandiose 27 . De caractère « fragmentaire », ils garantissent certes des vues agréables et pittoresques répondant aux codes de l’école paysagiste du XVIIe siècle, auxquels il est fait allusion implicitement 28 . Mais ils sont impropres à susciter toute sensation de sublime qui reste l’apanage des paysages du Sud :

De toute façon, je suis convaincue que les peintres paysagistes, par exemple, se délecteraient ici, car la nature est entièrement une beauté du détail. Chaque île forme une image en soi, et chaque image est plaisante ; et sur le continent, il en va de même pour les maisons et les fermes individuelles : tout se regroupe tout seul en un tableau. Que devrait faire un tel homme face au Mont Blanc, ou dans le golfe de Naples, ou à Taormine ? S’asseoir, joindre ses mains pour prier, et laisser son âme se transfigurer ; mais son pinceau doit rester immobile […] Là où l’ensemble présente une telle richesse surabondante, les détails ne sauront suffire. 29

Ce regard peu valorisant porté sur le paysage nordique étonne quand on tient compte du fait que les codes académiques de la peinture paysagiste avait été bouleversés depuis longtemps – du moins en Allemagne – par l’apparition des peintures insolites de Caspar David Friedrich. Sublimant le paysage, notamment du Nord, en accentuant les lignes horizontales et l’étendue vers l’infini, l’art pictural friedrichien opère une véritable rupture avec les codes herméneutiques anciens 30 . Aussi, cette référence aurait-elle pu constituer une clé de lecture originale révélant la beauté des paysages du Nord et permettant d’en magnifier les aspects dérangeants à première vue, à savoir l’absence d’arrière-plan et d’éléments qui bordent la vue 31 .

Qu’elle dénigre les tableaux de Friedrich d’emblée, au début du texte, comme « sombre[s] et désagréable[s] » paraît d’autant plus surprenant que la comtesse von Hahn était une excellente connaisseuse de sa peinture. Elle connaissait le peintre et lui avait même acheté des œuvres 32 . Il fait pourtant les frais de la construction d’un imaginaire du Nord très stéréotypé qui présente cet espace comme une terre d’inaccomplissement et du profane, fermée au sublime et à toute expérience d’unicité divine. Empruntant un concept de la sociologie moderne, on pourrait dire que le Nord apparaît comme la sphère de la « résonance » impossible 33 . L’absence de satisfaction est d’ailleurs le motif central de l’épilogue du récit et évoque la tentative vaine de rentrer en communion avec une contrée qui jamais ne s’embrase du « feu de la nature » et reste un décor muet : « La satisfaction, voilà ce que je cherche ; je ne me soucie de rien d’autre […] Je n’en trouve pas dans le Nord, parce qu’il y manque cet élément qui anime les autres : le feu illuminant la nature […] » 34 .

 

D’un Nord aliéné vers un Sud béni

La présence du sacré dans la beauté du paysage, évoquée dans l’image du feu, reste l’apanage du « Sud », dont l’évocation clôt le récit. Le souvenir d’une félicité ressentie dans ces contrées « bordées de palmiers », l’élévation de l’âme qu’elles promettent, et à laquelle fait allusion l’image du palmier, symbole de la résurrection, rend la voyageuse insensible à la beauté du Nord. Il reste terre muette à celle qui a goûté à la magie du Sud : « ‘Jamais personne n’a goûté impunément au plaisir de flâner sous les palmiers.’ Et moi, j’ai flâné sous les palmiers », conclut la voyageuse 35 .

Dans la dichotomie très stéréotypée des deux imaginaires opposés, le Nord et le Sud, qui constitue l’architecture profonde du récit, le Sud incarne le foyer d’une vraie spiritualité et véhicule la promesse de l’unicité originelle, tandis que le Nord est le producteur d’un faux sublime. Il est probablement l’expression de la déception réelle de la narratrice par rapport à un pays qui ne répondait pas à ses attentes. Mais dans l’économie narrative du récit, il exprime avant tout un malaise plus général et devient, comme nous allons le voir, le lieu d’une réflexion sur l’authenticité du voyage à l’aube du tourisme moderne.

A plusieurs reprises, la voyageuse vit le partage des lieux et objets d’intérêt patrimonial comme une privation. Ainsi, au château de Skokloster, qui à l’occasion de la fête du solstice ouvre ses portes au grand public, elle se retrouve au milieu de la foule et doit renoncer à découvrir en exclusivité certains manuscrits très précieux 36 . Son rejet des classes populaires qui profitent de l’exposition des objets d’art s’exprime également au château de Rosersberg, où les matelots du bateau qui a transporté la voyageuse participent à la visite. Une profanation, juge la comtesse : les objets exposés ne sont pas créés pour le bas peuple. Leur contemplation pourrait bien le rendre fou « ici, dans le Nord » 37 .

Le bateau, endroit dystopique par excellence, est le symbole clé de la promiscuité des classes sociales que la voyageuse a en horreur. Elle est déconcertée par l’ordre spatial très particulier sur les navires qu’elle emprunte, et qui ne sont pas destinés à un usage touristique exclusif, par la place limitée qu’il faut partager avec des passagers d’origines sociales diverses, et également avec des marchandises 38 . A bord du Polhem qui l’amène de Stockholm à Göteborg, elle finit même par ne plus quitter sa cabine, où elle s’occupe de façon très rudimentaire et passe son temps à manger et à boire, tandis qu’il lui est impossible d’écrire. Le parcours fixe du bateau est source d’un appauvrissement de l’inspiration car le caractère répétable du voyage et son accessibilité générale imposent à la narratrice une contrainte inhabituelle à son écriture :

Les bateaux vapeurs limitent l’inspiration à un très haut degré. On court le risque d’être contrôlé à chaque pas que l’on fait par le prochain voyageur et, le manuel de géographie dans une main et celui d’histoire dans l’autre, on doit toujours être soucieux de pouvoir alors prouver la justesse et la vérité de ses affirmations et récits. 39

Le regard du voyageur, conditionné par une documentation déjà existante et guidé par des attentes préfabriquées, évoque déjà la notion du « tourist gaze » développée par la sociologie du tourisme 40 . L’effet de formatage et la fabrication de l’exceptionnel propre au régime touristique sont évoqués à l’occasion de la visite des chutes de Trollhättan, à l’époque déjà un des hauts lieux du tourisme nordique. Non sans ironie, la voyageuse dénonce le faux sublime de cet endroit :

On se retrouve au milieu des eaux tourbillonnantes, et leur grondement est si fort qu’on sent le rocher trembler. Mais il n’en est rien, il est solide ; et nulle part, une profondeur mystérieuse ou un abîme vertigineux ne l’entoure. On m’avait dit qu’un magistrat de Berlin […] s’était à moitié évanoui sous le choc du spectacle. Cela m’a inspiré un énorme respect pour les chutes de Trollhättan avant même de les avoir vues ; car un magistrat est fort assurément un homme difficile à ébranler et qui sait garder son sang-froid quand il le faut, – du moins, c’est ce que je pensais. Mais je dois me tromper. Celui qui tombe en faiblesse à la vue des chutes de Trollhättan doit être quelqu’un de très impressionnable. […] C’est étrange comme les impressions nous touchent si différemment ! Devant des chefs-d’œuvre de l’art, il m’est arrivé d’avoir les larmes aux yeux. Je pense que cela vient de la surprise et de la joie à l’idée qu’un être humain ait été capable de réaliser des créations aussi divines. […] Je crois que c’est la cause de mon émotion. Quand cela me prendra à nouveau, je vais y réfléchir. Dans ce pays-ci, il n’y a rien qui aurait pu me pousser à le faire. 41

L’histoire comique du fonctionnaire prussien en état d’évanouissement devant la majesté du spectacle naturel qui, à en croire la narratrice, n’a rien de vertigineux, ne souligne pas seulement la posture de la voyageuse qui cherche à se démarquer du touriste commun. La médiatisation de cet évènement sous forme d’anecdote parvenue jusqu’aux oreilles de la narratrice dénonce une prédisposition du voyageur à un faux sublime, induite par une fabrique de l’exceptionnel en amont du voyage. A ce jeu de simulacres, l’auteure oppose l’expérience de l’émotion vraie, vécue comme le reflet d’une présence divine.

Porté par un discours fortement stéréotypé, l’imaginaire du Nord construit par Ida Hahn-Hahn présente un espace aliénant, fermé à l’expérience de la beauté. En contraste, elle évoque le souvenir d’un Sud béni. Dans cette dualité, qui sous-tend l’ensemble du texte, s’exprime un sentiment de malaise face aux prémices de la transformation touristique dont certains espaces du Nord semblent empreints. La démocratisation naissante qui marque les pratiques touristiques au XIXe siècle provoque un sentiment de désabusement chez la grande voyageuse, consciente de son rang et habituée aux privilèges réservés à sa classe sociale. Il s’exprime par exemple dans sa réaction de rejet face à l’obligation de partager l’accès aux curiosités avec des touristes issus de la bourgeoisie voire du bas peuple 42 . Le mouvement de quête, annoncé dans le titre du récit et ébauché dans l’espace discursif du Nord, s’achève ainsi sur un constat nostalgique qui signe la fin d’une époque où, à l’image du Grand Tour, le voyage constituait une pratique exclusive réservée à une élite sociale. Mais l’image du Nord reflète aussi une préoccupation plus profonde de l’auteure et révèle l’altération du rapport de l’individu au monde des découvertes. Au fur et à mesure que celui-ci s’ouvre au plus grand nombre, il perd son authenticité, et la promesse d’une expérience unique s’y accomplit dans un sentiment de désenchantement. Pour évacuer cette désillusion, qui en réalité ne touche sûrement pas plus les contrées scandinaves que les abords de la Méditerranée, l’auteure pense le Nord en fonction « des besoins imaginaires » du Sud 43 . Elle en fait un « miroir inversé » de ce que le Sud doit continuer de lui apporter 44  : la promesse d’une unicité originelle.

 

Notes    (↵ returns to text)

  1. Hahn-Hahn est issue d‘une famille de la vieille noblesse terrienne du Mecklembourg. Voir Sylvie Marchenoir, « Ida Hahn-Hahn », Dictionnaire universel des créatrices, dir. Béatrice Didier/ Antoinette Fouque/ Mirelle Calle-Gruber, Paris, des femmes Antoinette Fouque, 2020, vol. 2, p. 1887-1888.
  2. Le château de Neuhaus appartenait à son frère.
  3. Hendriette Kliemann, « Aspekte des Nordenbegriffes », Das Projekt Norden: Essays zur Konstruktion einer europäischen Region, dir. Bernd Henningsen, Berlin, Berlin Verlag, 2002, p. 55.
  4. Ida Gräfin Hahn-Hahn, Ein Reiseversuch im Norden, Berlin, Alexander Duncker, 1851, p. 142 [= Gesammelte Schriften von Ida Gräfin Hahn-Hahn, vol XIII]. La première édition du texte date de 1843.
  5. Ibid., p. 246.
  6. Ibid., p. 171.
  7. Hendriette Kliemann, op. cit., p. 56.
  8. Dominique Maingueneau, Le discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation. Paris, Armand Colin, 2014, p. 191-194.
  9. Ibid., p. 41
  10. Pour la période du Vormärz, dans le contexte duquel s’inscrit aussi le texte de Hahn-Hahn, on relève par exemple : Ferdinand von Gall, Reise durch Schweden im Sommer 1836 (1838) ; Friedrich Karl von Strombeck, Darstellung meiner Reise nach Schweden und Dänemark im Sommer des Jahres 1839 (1840) ; Theodor Mügge, Skizzen aus dem Norden (1844) ; Theodor von Wedderkop, Bilder aus dem Norden (1844) ; Eduard Boas, In Skandinavien. Nordlichter (1845) ; Ida Pfeiffer, Reise nach dem skandinavischen Norden und der Insel Island im Jahr 1845 (1846) ; Heinrich Zeise, Reiseblätter aus dem Norden (1848).
  11. Willibald Alexis, Herbstreise durch Skandinavien, Berlin, Schlesingersche Buchhandlung, 1828., p. IV (traduction française de l’auteur) : “Vorbereitungen und Neigung lieβen mich weder als Geograph, Statistiker, Ethnograph, noch als Mineralog, Botaniker, Politiker den Norden durchziehen. Auch möchte ich das Prädikat des malerischen Reisenden ablehnen. Wenn ich auch hier und da versuche zu portraitiren, so war Lust und Erholung doch das Hauptziel.”
  12. Sylvain Briens, « Boréalisme. Le Nord comme espace discursif », Etudes germaniques, 71, 2, 2016, p. 181. Vor également les travaux de Daniel Chartier, notamment la mise au point à propos de la notion de ‘l’imaginaire du Nord’ dans « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord », op. cit., p. 191.
  13. Ibid., p. 182 : « [La] faible épaisseur discursive [du Nord, KW] place le narrateur qui veut dire le Nord dans la situation privilégiée du pionnier. Il est dès lors naturel que le boréalisme soit dans un premier temps un discours mythique. »
  14. Gonthier-Louis Fink constate en effet une réhabilitation de l’image du Nord depuis le milieu du XVIIIe siècle qui marque surtout l’Allemagne. Cf. Gonthier-Louis Fink, „Diskriminierung und Rehabilitierung des Nordens im Spiegel der Klimatheorie“, Imagologie des Nordens. Kulturelle Konstruktionen von Nördlichkeit in interdisziplinärer Perspektive, dir. Astrid Arndt, Andreas Blödorn, David Fraesdorff, Annette Weisner, Thomas Winkelmann, Frankfurt a. Main, Peter Lang, 2004, p. 100-103. La critique virulente du récit de Hahn-Hahn publié par exemple par Eduard Boas, lui-même auteur d’un livre de voyage sur le Nord, dans la revue Die Grenzboten montre à quel point la représentation du Nord dans le texte de Hahn-Hahn défie les conventions. Même si on tient compte du fait que les deux écrivains sont concurrents (Boas accuse la comtesse de chercher l’effet facile dans un but commercial), le jugement du journaliste est extrêmement sévère et dénonce « les absurdités » du livre, notamment la soi-disant manie de la comtesse de ne s’en tenir qu’aux défauts de la Suède, de « les exagérer jusqu’à l’extrême, voire même d’en inventer là où il y en point. » Cf. Eduard Boas, „Ein Ausflug nach Skandinavien“, Die Grenzboten, 1844, 2, vol. 1, p. 308-309.
  15. „Mancher Andere hätte das, was ich von Schweden gesehen habe, unendlich viel besser als ich beschrieben – das fühl‘ ich sehr deutlich; nur aber ich [mise en relief dans le texte de l’auteur] konnte nicht anders. Wer das begreift, wird dies Büchlein vielleicht mit erhöhtem Interesse lesen. Wer dies nicht begreift – wer da meint ein Autor müsse sich immer gleichmäβig angeregt fühlen, wie eine in Gang gebrachte Maschine – der lese es lieber gar nicht, denn es kann ihm nicht gefallen. Unvollständig ist es ohnehin, das sagt schon der Titel; und im Buche selbst steht, weshalb es so geworden ist. Dies zur Warnung für Andere, aber nicht zur Entschuldigung für mich, denn mir ist nicht zu Muth als ob ich sie brauchte.“ Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. V-VI (traduction française de ce passage et des suivants de l’auteur).
  16. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. V. Il s’agit de son voyage en France.
  17. [1] Ibid., p. 45. Ce récit relate son voyage en Espagne.
  18. Ibid., p. 168. Plus loin (p. 228), lorsque, à Copenhague, la voyageuse découvre le bas-relief du triomphe d’Alexandre exécuté par Berthel Thorwaldsen en 1829 pour le château de Christiansborg, elle informe le lecteur d’en avoir déjà réalisé une description dans son roman Ulrich paru en 1841, une forme subtile d’autopromotion.
  19. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 87: „Mit ist die sinnig stille Erscheinung von Fräulein Frederika Bremer in solchem untrennbaren Zusammenhang mit ihrem Lande, dessen Tochter sie ist, mit ihren Büchern, die ihre Kinder sind – vorgekommen, daβ ich nicht sagen kann, welches von den Dreien mir das Verständnis der Andern gegeben hat. Alles was sie zu beschreiben pflegt, die Landhäuser, die Gärten am See, die Art des Reisens, die kleinen leichten zweirädrigen und einspännigen Wagen in denen zwei Personen spazieren fahren – Alles das steht auf schwedischem Grund und Boden und unter schwedischem Himmel. Man sieht es so in Wirklichkeit, und zwar sieht man es nur hier.“ L’entrevue de Hahn-Hahn et Bremer, deux figures majeures de la vie littéraire de l’époque, est annoncée dans la presse avant même que le récit de voyage sur le Nord ne soit publié. Cf. Telegraph für Deutschland, n°138, août 1842, p. 552. Lors de la visite de Hahn-Hahn à Årsta, qui se produisit le 27 juin et dura une journée, Fredrika réalisa le portrait de son invitée. Une reproduction se trouve chez Beate Borowka-Clausberg, „Ida Gräfin Hahn-Hahn. Eine Bildersuche“, Salonfähig: Frauen in der Heine-Zeit, dir. Beate Borowka-Clausberg, Hamburg, Heine-Haus e.V., p. 75. Dans une lettre à son amie, Malla Silfverstolpe, Bremer commente l’impression que l’Allemande avait produite sur elle. Cf. Karin Carsten Montén, Fredrika Bremer in Deutschland. Aufnahme und Kritik, Neumünster, Karl Wachholtz Verlag, 1981, p. 244.
  20. Depuis 1838, l’année de la parution de son premier roman en Allemagne, l’écrivaine y connut un succès rapide et resta populaire jusqu’à la fin du siècle. Avec 16 éditions chez 4 éditeurs différents en 1841, le roman Presidentens döttrar (1834) (Die Töchter des Präsidenten / Les filles du Président) représente un pic dans sa popularité. Karin Carsten Montén, op. cit., p. 14.
  21. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 55-56.
  22. Sylvain Briens, « Boréalisme. Le Nord comme espace discursif », Etudes germaniques, 71, 2, 2016, p. 182.
  23. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 8-12: […] „überhaupt hat die alte nordische Geschichte etwas recht Melancholisches durch ihre Abgestorbenheit für das Leben der Gegenwart […] das nordische Alterthum hingegen ist gleichsam erstarrt unter seinem eisigen Himmel […] Die Künste begehren einen milden Himmel und goldne Bilder in der Natur; sonst werden ihre Erzeugnisse leicht formlos, weil das Licht sie nicht durchstrahlt, weil erdische [sic] Masse zu viel Theil an ihnen hat […] aber die Edda mit ihren Göttermythen und Heldensagen kennen wir nicht, und wenn wir auch einen Blick auf sie werfen, so kommt mir wenigstens immer vor, als hätt ich mich von den ächten Göttern zu den falschen hingewendet, als wäre nur Apoll der ächte Gott der Dichter, nur Venus die ächte Liebesgöttin, und Brage und Freya nichts als ihre Nachahmung.“ (« […] somme toute, l’histoire nordique ancienne a quelque chose d’assez mélancolique en raison de son éloignement de la vie du présent […] l’antiquité nordique, au contraire, est pour ainsi dire figée sous son ciel glacé […] Les arts désirent un ciel doux et des visions dorées dans la nature ; autrement, leurs produits sont sans forme parce que la lumière ne les traverse pas, parce que la masse terrestre y a trop de part […]. Mais nous ne connaissons pas l’Edda avec ses mythes divins et ses légendes héroïques, et même si nous y jetons un coup d’œil, il me semble toujours que je me suis détournée des vrais dieux pour retrouver les faux, que seul Apollon est le vrai dieu des poètes, que seule Vénus est la vraie déesse de l’amour, et que Bragi et Freyja n’en sont que des imitations. »)
  24. Ibid., p. 70 : „Übrigens bin ich mit seinem Odin schon deshalb sehr zufrieden, weil ich nun doch endlich mal ein Bild von Odin gesehen habe, und ihn mir nicht mehr aus Wolken und Schreckgestalten zusammensetzen brauche. Es geht mir aber genauso wie mit Braga und Freya der nordischen Dichter: er scheint mir Mars zu sein, nur nicht im Olymp, sondern in Asgard.“ La statue se trouve aujourd‘hui au Musée National.
  25. Cf. Eduard Boas, op. cit., p. 309-313. Selon Gonthier-Louis Fink, la théorie des climats perd de son influence au cours du XVIIIe siècle, mais marque encore faiblement le XIXe. Cf. Gonthier-Louis Fink, op. cit., p. 45.
  26. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 16 : „Es macht sich in diesen nordischen Landen ich weiβ nicht was für eine Unvollkommenheit fühlbar: so viel Licht in diesen langen unendlichen Tagen, und so wenig Wärme; so viel Grün, und so wenig Blumen […] daher fehlt auch der Duft, der sommerliche Arom, in welchen dieser Monat allüberall getaucht zu sein pflegt […] In dieser Natur ist keine Freudigkeit, kein Jubel, keine Liebesglut; sie ist ernst, still und kühl, ist nicht zur höchsten Entfaltung gekommen […].“
  27. Ibid., p. 17 : „[…] nirgends gewinnt man eine Übersicht der ganzen Wasserfläche, daher ist die Ansicht nie groβartig, und in diesen einzelnen kleinen Bildern herrscht eine solche Gleichförmigkeit, daβ es für den Fremden schwer wird, nicht eins mit dem andern zu verwechseln.“
  28. Cf. ibid., p. 193, par rapport à la Scanie : „[…] Jetzt kommt etwas höchst Wichtiges für eine Gegend, ja das Allerwichtigste in sie hinein: ein Hintergrund. Den habe ich bisher vermiβt: nirgends begrenzt das Meer oder das Gebirg den Horizont; und nur diese beiden von Gottes Hand bei der Schöpfung der Welt gesetzten Grenzen sind die, welche unserer ratlosen Phantasie einen Punkt zum Ausruhen gewähren. […] In der schwedischen Landschaft fehlt dieser beruhigende Hintergrund.“
  29. Ibid., p. 27 : „Ohnhin bin ich überzeugt, daβ Landschaftsmaler z.B. hier schwelgen würden, denn die Natur ist ganz und gar eine Detailschönheit. Jede Insel macht ein Bildchen für sich, und jedes für sich ist freundlich; und auf dem Festlande ist es dasselbe mit den einzelnen Häusern und Höfen: alles gruppirt sich von selbst zu einem Gemälde. Was soll so ein Mann machen dem Montblanc gegenüber, oder im Golf von Neapel, oder bei Taormina? Sich hinsetzen, die Hände falten und seine Seele verklären lassen; aber sein Pinsel muss ruhen […] Wo das Ganze von so überreicher Mannigfaltigkeit ist, wollen die Einzelheiten nicht genügen.“
  30. Cf. Elisabeth Décultot, « Genèse d’un discours nouveau sur la peinture de paysage. La réception du “ Moine au bord de la mer” de Caspar David Friedrich », Revue germanique internationale, 7, 1997, p. 143-153.
  31. Cf. note 22.
  32. Entre 1826 et 1829, elle fit par exemple l’acquisition du tableau Felsenriff am Meeresstrand (1824). Cf. Detlef Stapf, Caspar David Friedrich. Die Biographie, Rostock, Okapi, 2019, p. 157-158.
  33. Cf. Hartmut Rosa, Rendre le monde indisponible, Paris, La Découverte, 2020, p. 41-51.
  34. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 247 : „[…] Befriedigung will ich ; alles andere ist mir einerlei […] Ich finde keine im Norden, denn es fehlt dort das Element, welches die andern beseelt : Feuer in der Natur […]“
  35. Ibid., p. 249 : „Und wenn Sie meinen, liebe Emy; es sei doch schade daβ ich dessen [Norwegens] ernste Schönheit nicht kennen gelernt habe, und daβ der Süden mich um die Freude am Norden bringe: so wiederhole ich Ihnen das Wort, daβ Sie mir diesen Frühling als Echo eines melancholischen Gedankens sagten: ‚Noch keiner wandelte ungestraft unter Palmen.‘ Und ich bin unter Palmen gewandelt.“
  36. Ibid., p. 49 : „Die Bibliothek von Skokloster soll handschriftliche Gedichte von Gustav Adolf an Ebba Brahe aufbewahren. Wir sahen sie nicht; denn es war ein öffentlicher Tag, an welchem einer stupid neugierigen Menschenheerde die frappanstesten Sehenswürdigkeiten flüchtig gezeigt wurden.“
  37. Ibid., p. 52 : « En Italie », poursuit-elle, « cela n’a pas d’importance ». Comme beaucoup de ses contemporains, la comtesse est marquée par un discours qui valorise le bas peuple italien, véhiculé surtout dans le Voyage en Italie de Goethe.
  38. Voir à ce propos le voyage à bord du Polhem (Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 171-205). Contrainte par la géographie du pays, la prégnance de l’eau et des infrastructures maritimes, la voyageuse effectue ses trajets surtout en bateau. Habituellement, elle se déplaçait en calèche.
  39. Ibid., p. 178 : „Aber Dampfschiffe beschränken die Erfindungsgabe ungemein. Man läuft Gefahr auf jedem Schritt und Tritt von einem Nachfolger controlirt zu werden und muss immer darauf bedacht sein, mit einem Geographiebuch in der einen und einem Geschichtsbuch in der andern Hand die Richtigkeit und Wahrheit der Behauptungen und Erzählungen vertheidigen zu können.“
  40. Cf. John Urry, The tourist gaze. Second edition, Londres, SAGE publications, 2002, p. 3.
  41. Ida Gräfin Hahn-Hahn, op. cit., p. 199 : „[…] Man steht mitten drin im strudelnden Strom, und sein Donner ist so heftig, dass man sich einbildet, der Fels erzittere davon. Aber der ist fest; und eine geheimnisvolle Tiefe, ein schwindelnder Abgrund umgiebt ihn nirgends. Man hatte mir erzählt, ein Justizrath aus Berlin sei […] halb ohnmächtig vor Erschütterung geworden. Das brachte mir einen ungeheuren Respekt vor dem Trollhätta-Fall bei, ehe ich ihn kannte; denn ein Justizrath ist ganz nothwendig ein Mann, der sich durch Emotionen schwer aus dem Häusel bringen läβt und seine Fassung einigermaβen zu behaupten versteht, – so dachte ich. Aber ich muβ mich darin irren. Wen der Trollhättan-Fall in Ohnmacht legt, der ist sehr erregbar. […] Sonderbar, wie die Eindrücke uns so verschieden berühren! Vor Wunderwerken der Kunst ist es mir geschehen, daβ mir die Thränen in die Augen getreten sind. Ich glaube es kommt her von Überraschung und Freude über den Menschen, der im Stande gewesen ist so göttliche Gebilde zu schaffen. […] Das glaub‘ ich ist die Ursache meiner Rührung. Wenn sie mich einmal wieder befällt, will ich darüber nachdenken. In diesem Lande giebt es nichts was mich dazu hätte bewegen können.“
  42. A cet égard, le récit confirme l’attitude anti-libérale et monarchique que l’histoire littéraire prête souvent à son auteure. Cf. Ainsi Wulf Wülfing, « Reiseberichte im Vormärz. Die Paradigmen Heinrich Heine und Ida Hahn-Hahn », Der Reisebericht, dir. Peter J. Brenner, Frankfurt a. Main, Suhrkamp, 1989, p. 348.
  43. Daniel Chartier, op. cit., p. 196.
  44. Sylvain Briens, op.cit., p. 182.

Bibliographie

 

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Auteur

Kerstin Wiedemann est Maître de conférences à l’Université de Lorraine (Nancy) et membre du laboratoire CERCLE (Centre de recherches sur les Cultures et Littératures Européennes). Elle travaille sur les relations littéraires entre la France et l’Allemagne, les questions de réception et la littérature féminine des XIXe et XXe siècle.

Kerstin Wiedemann is a senior lecturer at the University of Lorraine (Nancy) and a member of the CERCLE research group (Centre de recherches sur les Cultures et Littératures Européennes). She works on literary relations between France and Germany, reception studies and women’s literature of the 19th and 20th centuries.

Pour citer cet article

Kerstin Wiedemann, Ida Hahn-Hahn (1805-1880) et le défi du Nord touristique, ©2023 Quaderna, mis en ligne le 31 octobre 2023, url permanente : https://quaderna.org/6/ida-hahn-hahn-1805-1880-et-le-defi-du-nord-touristique/

Ida Hahn-Hahn (1805-1880) et le défi du Nord touristique
Kerstin Wiedemann

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