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# 02 Plurilinguisme : de l'expérience multiculturelle à l'expérimentation

Italien, langue « autre » ? La littérature italienne de la migration en questions

Abstract

Questo articolo analizza le questioni di ordine linguistico poste dalla cosiddetta  letteratura italiana della migrazione, in particolare la questione della lingua « altra » e delle radici identitarie. L’articolo propone di fare il punto sui diversi approcci critici che sono stati sviluppati su questo soggetto complesso (approcci spesso situati a metà strada tra lettura sociologico-biografica e critica della ricezione), sfruttando un’ampia bibliografia. In tale ambito, l’autore nota gli stereotipi e le difficoltà concettuali di una critica che fa fatica a adottare la giusta prospettiva di fronte a un corpus per natura disuguale.

Résumé

Cet article analyse les questions d’ordre linguistique que pose la « littérature italienne de la migration », notamment la question de la langue « autre » et des racines identitaires. Cet article propose de faire le point sur les différentes approches critiques qui ont pu être développées sur ce sujet complexe (approches souvent situées à mi-chemin entre lecture sociologico-biographique et critique de la réception), en exploitant une ample bibliographie. Dans ce cadre, l’auteur relève les stéréotypes et les difficultés conceptuelles d’une critique qui peine à adopter la bonne perspective face à ce corpus par nature très inégal.

Texte intégral

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Vingt ans après la naissance de la littérature italienne dite « de la migration », que la critique fait conventionnellement remonter à l’année 1990 1 , le temps des bilans a commencé. Pendant ces deux décennies, les auteurs et les textes en tout genre se sont multipliés, encouragés par des associations, des prix littéraires et des sites dédiés, accompagnés par un foisonnement de travaux critiques, en Italie et à l’étranger 2 .

Plusieurs points font désormais l’objet de consensus ou presque ; la périodisation en particulier, avec sa division en trois phases 3  : une phase initiale, caractérisée par l’écriture à « quatre mains » 4  et par une tendance au témoignage, au récit autobiographique de l’expérience migratoire, ainsi qu’à l’« exotisme », qui a suscité l’intérêt de grands éditeurs et favorisé des approches plus sociologiques que littéraires ; une phase carsica 5 , plus souterraine, de disparition apparente des auteurs qui continuaient en réalité à écrire et à publier chez de tout petits éditeurs ; enfin, la phase actuelle, où les auteurs  revendiquent avant tout leur statut d’écrivains et où les critiques s’intéressent davantage aux aspects littéraires de leur production.

Il faut dire, au sujet de la critique académique, que pendant longtemps deux positions opposées ont prédominé, l’une et l’autre problématiques : si les uns ont ignoré le phénomène, les autres y ont vu un changement révolutionnaire 6 . Ainsi, paradoxalement, ces écrivains « migrants », qui parfois ne sont pas migrants, ont-ils été exclus de facto de la littérature italienne pour être réunis dans une catégorie vaste, hétéroclite et incertaine, tout en se voyant confier la responsabilité de renouveler la tradition littéraire nationale.

D’autres points, nombreux et complexes, font encore l’objet de débats ou suscitent de nouvelles questions. À commencer par la catégorie « littérature de la migration » : si après de nombreux débats terminologiques, la définition – qui mettait l’accent sur l’évident lien (ne serait-ce que contextuel et thématique) avec le phénomène migratoire qu’a connu l’Italie dans la même période – semblait enfin attestée au vu de son utilisation récurrente dans la production scientifique et de vulgarisation, de nouvelles définitions apparaissent, telles que « littérature multiculturelle » 7  ou littératures ectopiques 8 , qui auraient l’avantage de surmonter (ou contourner) certains problèmes théoriques et conceptuels mais qui finalement en posent d’autres. Car, quels auteurs rentrent dans la catégorie « littérature de la migration » 9  ? Sont-ils réunis en raison d’une spécificité thématique ou linguistique de leurs textes, ou en raison d’une biographie auctoriale ? La littérature « migrante » se distingue-t-elle vraiment de la littérature « italienne » ? S’y oppose-t-elle ? Et encore : faut-il nécessairement analyser ces textes littéraires sur la base des notions théoriques élaborées au sein des postcolonial / cultural studies (interculture, hybridisme, métissage, subalternité, périphérie, etc.), en y portant donc un regard a priori favorable, au risque de la condescendance ? Est-ce que le corpus est aussi solide que les théories, souvent importées d’autres aires culturelles, qu’on lui applique ?

Nous n’avons pas l’ambition de répondre ici à toutes ces questions, pourtant fondamentales, et d’ailleurs entrelacées. Nous nous proposons d’examiner un point précis : la question de la langue, pour faire émerger certaines contradictions actuelles et les enjeux à venir. Nous nous sommes déjà penchés sur cette question il y a quelques années, en proposant quelques premiers éléments de réflexion, à partir d’un corpus défini et dans le contexte d’une analyse plus générale du plurilinguisme dans la littérature italienne contemporaine 10 . Les réflexions suivantes, en prolongement des précédentes auxquelles nous renvoyons, ont été suscitées par la lecture de contributions très récentes sur la question de l’écriture dans la « langue de l’autre », c’est-à-dire en italien 11 .

Italien, langue de l’autre ?  

Le numéro 1/2010 de la revue Moderna consacré à « La letteratura della migrazione »  comporte une excellente introduction de Mario Dominichelli, qui s’interroge sur le canon littéraire occidental à l’époque de la globalisation 12 , un important et fort utile répertoire bibliographique (1989-2008) ainsi que plusieurs contributions. Parmi celles-ci, trois articles nous intéressent parce qu’ils traitent de manière plus ou moins approfondie de la question de la langue.

1. Igiaba Scego, d’origine somalo-italienne, auteure de romans et nouvelles, est l’une des écrivaines les plus connues et les plus actives dans la promotion de l’interculturalité. Elle signe ici un texte intitulé « La madre e l’altra madre : la questione della lingua in Gabriella Ghermandi e Ubax Cristina Alì Farah » 13 . Comme ce titre l’indique, elle parle de la langue d’écriture de Ghermandi et Ali Farah, qui ont l’une et l’autre l’un des deux parents d’origine respectivement éthiopienne et somalienne et l’autre d’origine italienne ; elles ont grandi en Italie et écrivent en italien. Scego accomplit une opération très précise : elle situe ces deux écrivaines – et par là se situe elle-même – dans une dimension postcoloniale, sans référence aucune à la littérature italienne de la migration. En remontant aux XVIIIe et XIXe siècles et en se plaçant à une échelle mondiale, elle reparcourt la période de l’esclavage et de la colonisation, du conflit entre les Blancs et les Noirs, les dominateurs et les subalternes, en observant que les écrivains noirs et nord-africains (de Toni Morrison à Assia Djebar) ainsi que les personnages coloniaux (le shakespearien Caliban ou Vendredi de Defoe ou d’autres encore) ont un rapport complexe avec la langue du maître dont ils doivent prendre possession pour pouvoir prendre la parole, puis transmettre la parole d’un peuple ou d’une communauté réduits au silence ; cette langue, qui reste celle de l’homme blanc, il faut la métisser, l’hybrider, la mélanger, etc. Scego propose ainsi une lecture postcoloniale des deux romans italiens de Ghermandi et Ali Farah 14 , en mettant en évidence leur rôle de médiatrices entre deux cultures, et en soulignant l’influence de l’oralité : Ghermandi et Alì Farah racontent l’histoire vraie, des histoires vraies qui leur ont été transmises afin de redonner la voix à leur peuple, de faire entendre aux colonisateurs leur version de l’histoire. Scego insiste sur ce qu’elle appelle la « mission » éducatrice de ces écrivaines, sur l’importance pédagogique du message qu’elles transmettent. Elle affirme aussi qu’elles n’écrivent pas dans une monolangue, car leur langue italienne a absorbé toutes leurs autres langues. D’où le caractère « révolutionnaire » et novateur qu’aurait leur langue d’écriture :

L’italiano si fonde e si rinnova. L’effetto finale è uno straniamento famigliare che a molti pare già la lingua del futuro, la lingua dell’intreccio.

 

Una storia antica, una storia dimenticata, narrata con una lingua totalmente nuova, un italiano creolo che guarda al futuro 15 .

L’article de Scego appellerait de nombreux commentaires car il effleure des points nodaux. Limitons-nous à quelques remarques et à des questions qui anticipent le fond de notre réflexion. En suivant sa logique, tout écrivain partiellement ou entièrement d’origine somalienne, érythréenne ou éthiopienne, fût-il italien de naissance, de formation, de culture et de langue, est porteur en tant que sujet postcolonial d’instances révolutionnaires, et ce en vertu de l’acte d’écrire et de l’usage de la langue italienne. Tout ce qu’il écrit a une portée politique. Sa langue véritable est sa langue de dominé, l’italien étant la langue « autre » ; même quand elle est sa langue maternelle au sens propre et figuré, elle reste la langue du dominateur. Certes, l’appropriation de la langue est le premier acte d’existence, l’écriture de soi est un acte d’affirmation et partant un acte politique. Mais l’on peut se demander si le « subalterne » est destiné à rester tel, condamné à ne pas avoir de voix ou, au mieux, à n’avoir de voix que pour parler de soi et de son peuple, pour revisiter son histoire. Autrement dit, tout écrivain qui pour des raisons biographiques aurait des liens avec une ancienne colonie est-il par essence le porte-parole d’un peuple, a-t-il une inévitable mission ainsi qu’une vocation pédagogique ? Sa parole est-elle en elle-même révolutionnaire ? Pour revenir à l’écriture : est-ce que l’utilisation d’une langue correspond automatiquement à l’affirmation d’une identité ? Scego elle-même suggère qu’une langue peut en contenir d’autres et qu’une langue maternelle peut ne pas être perçue comme telle. Une langue non maternelle peut-elle alors le devenir ? Que signifie « mère » (biologique, d’adoption, de substitution ?) et que signifie « autre » (par rapport à qui ?) ? Nous pensons que les réponses sont parfois collectives, le plus souvent individuelles et qu’elles s’enracinent dans le ressenti et le vécu personnel et intime de chaque écrivain 16 . Ainsi, nous soulignons la position de Mahmud Darwish, que Scego rappelle elle-même alors même que ce qu’il affirme semble en contradiction avec sa position personnelle : la seule question qui vaut la peine d’être posée à des écrivains est « come sono accolti quelli che scelgono un’altra lingua, dal pubblico e dalla critica ? » 17 . Nous reviendrons sur ce déplacement important de l’auteur au lecteur, de l’écriture à la réception, de l’intentionnalité au texte.

2. Le même volume de Moderna propose un article de Laura Barile. Elle évoque la rencontre qui a réuni en 2006 à l’Université de Sienne plusieurs écrivains migrants, intitulée significativement « Scrittura e migrazione – una sfida per la lingua italiana » 18 . Bien que Barile ne se pose pas dans la même optique que Scego, elle parvient à des conclusions similaires. Elle affirme en effet que le discours postcolonial ne saurait trouver d’application dans le cas italien, sauf de manière marginale, car à la différence de l’anglais ou du français, langues imposées par les colonisateurs, l’italien est pour ces écrivains une langue de véritable choix, une langue d’amour, parfois même une renaissance. Les écrivains migrants n’auraient donc pas de conflit particulier à l’égard de la langue italienne. En revanche, leur appropriation de l’italien aurait pour conséquence une transformation salutaire de « notre » langue, qui est « mise en crise par les écrivains qui émigrent dans notre Pays, mais qui est en même temps interrogée, et aussi sollicitée par l’arrivée d’écrivains étrangers. Peut-être qu’alors l’écrivain italien pourrait lui aussi recommencer à bégayer, comme s’il était lui aussi ‘déterritorialisé’, comme les étrangers bégayent dans une langue ‘autre’, contribuant ainsi à produire un nouvel humus pour la création linguistique en italien » 19 .

On retrouve l’idée exprimée avec davantage de force par Scego, à savoir que ces écritures, nécessairement autres parce qu’elles sont dans une langue autre, ne peuvent avoir qu’un impact positif sur la langue « nôtre », car elles procèdent d’un mouvement d’abord de déconstruction (crise) puis de construction (création). On aurait aimé avoir des exemples concrets de textes imposant une décomposition / récréation linguistique, car en lisant Barile on a le sentiment que pour elle, tout comme pour  Scego, ces textes d’auteurs migrants ont un caractère novateur intrinsèque, par essence, plus exactement par essence biographique. Barile s’approche du cœur du problème en abordant de manière rapide un autre point : elle affirme que tout écrivain conquiert sa langue d’écriture comme si c’était une langue étrangère, tout écrivain crée sa propre langue. La langue d’écriture est donc, elle aussi, une langue « autre ».

3. Dans son article « Fingertips stained with ink. Notes on new ‘Migrant writing’ in Italy », Alessandro Portelli développe une analyse fort intéressante 20 . Sur la question de la langue, il observe que si certaines littératures marginales ou minoritaires rechignent à entrer dans le mainstream, les écrivains italiens de la migration semblent s’efforcer du contraire, empressés de démontrer leur maîtrise linguistique, leur capacité d’écrire en italien standard : une manière de prouver leur pleine intégration, à la fois littéraire et citoyenne. Si bien que la correction linguistique est placée au-dessus de l’imagination linguistique, avec comme résultat un style conventionnel ou parfois guindé ; rares sont les contributions aboutissant à un changement de la langue italienne. Portelli attribue cette frilosité linguistique à plusieurs causes, parmi lesquelles : le passé colonial italien, car l’Italie à la différence de la France ou de l’Angleterre n’a pas eu une véritable politique de développement linguistique (peu nombreux sont donc les écrivains italophones) ; l’ambition pour les écrivains dont l’italien n’est pas la langue maternelle de se rapprocher d’une langue écrite abstraite et idéale plutôt que de la langue parlée qu’ils pratiquent – cette dissociation entre langue parlée et langue écrite serait d’autant plus forte que les immigrés vivent souvent dans des quartiers populaires où l’on parle le dialecte plutôt que l’italien ; leur manque de liberté à l’égard de la langue d’écriture du fait de leur manque de maîtrise de cette langue.

En somme, ces écrivains migrants veulent s’emparer de la langue italienne et écrire « bien ». En même temps, la possession complète d’une langue s’accompagne chez eux d’un sentiment de perte de l’autre langue, remarque Portelli en citant la nouvelle Contro luce d’Ali Farah : une remarque dans laquelle se reconnaîtra, par expérience, toute personne vivant entre deux ou plusieurs pays. Mais Portelli observe aussi, en s’appuyant sur une déclaration de Tahar Lamri, que l’absence ou la rareté de traces du passé et du multilinguisme signifie peut-être que ces traces sont destinées à rester secrètes, personnelles, intimes. Il cite Lamri :

Per me, scrivere in Italia, paese dove ho scelto di vivere e con-vivere, vivere nella lingua italiana, convivere con essa e farla convivere con le altre mie lingue materne (il dialetto algerino, l’arabo ed in un certo senso il francese) significa forse creare in qualche modo l’illusione di avervi messo radici. Radici di mangrovia, in superficie, sempre sulla linea di confine, che separa l’acqua dolce della memoria da quella salata del vivere quotidiano 21 .

4. Pour clore ce panorama des plus récentes contributions sur la question de la langue, nous aimerions mentionner trois ouvrages. Le premier est celui de Daniele Comberiati intitulé Scrivere nella lingua dell’altro, avec comme sous-titre : La letteratura degli immigrati in Italia (1989-2007). En réalité, en dépit du titre, Comberiati s’arrête peu sur la question linguistique en tant que telle, il ne la prend en considération que de façon plus ponctuelle lorsqu’il passe à l’analyse des textes. Constatons néanmoins qu’il consacre plusieurs pages à la situation de marginalité de cette littérature par rapport à la culture institutionnelle italienne. D’après Comberiati il s’établit ainsi entre elles une sorte de rapport centre-périphérie et partant un rapport de pouvoir, ce qui l’autorise à établir un parallèle avec Pasolini qui, conscient de la vitalité des contextes marginaux, avait préconisé l’usage du dialecte comme alternative à la force centripète de la langue italienne, inapte à exprimer la culture populaire 22 . Cependant nous retenons plus particulièrement de l’ouvrage de Comberiati ses conclusions, que nous partageons lorsqu’il fait le point sur l’état actuel de la littérature italienne de la migration et qu’il cherche à en définir les orientations principales :

È lecito chiedersi, volendo tracciare un punto sulla letteratura migrante, se gli autori siano riusciti a modificare dall’interno la lingua italiana, come alcuni critici all’inizio avevano previsto. La maggior parte delle opere utilizzano in realtà un linguaggio medio, privo di particolare interesse, perfettamente in linea, come si è detto, con la produzione italiana contemporanea. I pochi romanzi originali a livello linguistico sono il frutto di un percorso autoriale o letterario complesso e per certi versi irriproducibile.

Et de citer le cas très atypique de Princesa de Fernanda Farias de Albuquerque et de Maurizio Jannelli, avant de conclure :

D’altra parte, se è possibile ipotizzare uno scenario futuro per la letteratura migrante, esso sarà probabilmente composto da individualità difficilmente riconducibili a tematiche esclusivamente migratorie […]. La produzione di tali scrittori sarà analizzabile solo in parte attraverso i riferimenti della letteratura italiana della migrazione, perché apparterrà anche alla letteratura italiana 23 .

Dans la mesure où le tissu ethnique et anthropologique du pays est en voie de transformation, Comberiati prévoit un changement imminent de toute la littérature italienne : la nouvelle production s’opposera à une vision monolithique et fermée de la littérature nationale, car elle sera faite des contributions les plus diverses, qui auront comme point commun d’avoir fait de la langue italienne leur langue d’élection.

5. Le deuxième ouvrage récemment paru est une anthologie de poésies d’écrivains migrants, éditée par Mia Lecomte 24 . Certaines remarques de Lecomte, bien que portant sur un corpus poétique, sont pertinentes pour toute la production migrante au-delà du genre littéraire de prédilection. Lecomte se demande, par exemple, « Qu’est-ce qui distingue l’écriture migrante au-delà de la langue dans laquelle elle s’exprime ? ». Et de répondre : « L’identité multiple dont elle est composée, la stratification des destins et des projets futurs qui en guide la voix » 25 . Cette distinction entre langue et écriture (écrire au-delà de la langue !) est fort intéressante : la langue adoptée, finalement, aurait moins d’importance que la densité de l’écriture, son humus, sa consistance, sa nourriture, ses caractéristiques propres. Lecomte énumère alors les caractéristiques de cette poésie « migrante », comme la dimension éthique, la douleur, la nécessité, mais elle tente aussi une recognition des spécificités de la langue poétique, dont l’utilisation du vers libre, souvent liée à l’oralité, et la narrativité.

Lecomte affirme encore :

A individuare la poesia della migrazione è ancora il dato linguistico, inteso come cardine della questione identitaria. Accanto alla lingua egemone, se vogliamo, della globalizzazione, qual è certamente l’inglese […] si stanno affacciando altri due territori linguistici : quello della lingua madre […] e quello della cosiddetta lingua neutra, « del cuore », una lingua scelta liberamente e « affettivamente » per comunicare la parte più profonda di sé. 26 .

Elle distingue ainsi au moins trois niveaux linguistiques : la langue hégémonique, la langue maternelle et une troisième langue, à la fois « neutre » et « du cœur », la langue que l’écrivain migrant utilise pour sa création littéraire. Elle constate qu’il s’agit là d’une langue à la fois d’imposition et d’élection, car l’abandon de la langue maternelle est toujours un choix souffert, impliquant une coupure avec le passé ; mais cette langue est aussi l’aboutissement d’un parcours plus ou moins long et complexe, parce que la maîtrise linguistique n’arrive pas tout de suite et que le passage d’une langue à l’autre ne s’opère pas brusquement. Enfin, Lecomte estime que le rapport constant entre la langue maternelle et la langue d’usage garantit la qualité de la troisième langue.

6. Le troisième et dernier ouvrage que nous voulons mentionner, sans véritablement nous y arrêter, est Scrittrici migranti. La lingua, il caos, una stella de Clotidle Barbarulli, qui présente un panorama de la production littéraire d’écrivaines migrantes, c’est-à-dire – comme le précise Barbarulli – ayant connu l’expérience de la migration (émigration et immigration), pour la plupart italophones, mais pas seulement. Cet ouvrage vise à définir, précise encore Barbarulli, une cartographie des écritures de la « contamination ». Tout au long des différents chapitres, en s’appuyant sur les théories les plus connues des études postcoloniales et de genre (de Spivak à Rich, de De Lauretis à Glissant,  en passant par Said et Braidotti et de nombreux autres encore), Barbarulli reprend les concepts de contamination, d’errance, de transit, frontière, nomadisme, de centre / périphérie, de canon et de contre-narration, de liquidité, et encore de langue composite, langue de lutte, voix multiples, créolisation, mixité, altérité etc. Or, bien que le premier mot du sous-titre soit « langue », cet ouvrage par ailleurs très riche (le corpus et la bibliographie sont importants), ne s’arrête guère sur la question linguistique, proposant moins une analyse textuelle ou une étude affinée du traitement des matériaux verbaux, des registres linguistiques et des idiomes qu’un repérage des œuvres et une vision d’ensemble.

La langue autre. Écrire autrement le monde.

Les contributions présentées ci-dessus, en plus de confirmer le foisonnement des études théoriques et critiques sur la littérature migrante, montrent à la fois un intérêt fort pour les questionnements d’ordre linguistique et la difficulté de les aborder. Elles nous permettent de cerner quelques nœuds théoriques, deux essentiellement. Le premier concerne la diversité des écrivains. Il semble difficile d’aborder la question de la langue dans la littérature italienne de la migration, sans opérer de nombreux distinguos préliminaires. Une distinction préliminaire devrait être faite entre d’une part, ceux qui écrivent dans une langue dont ils ont la parfaite maîtrise et qui est souvent leur langue maternelle ou une langue apprise dès l’enfance dans un environnement linguistique et scolaire italophone, comme cela est le cas pour des écrivains dits postcoloniaux ou pour certains écrivains de seconde génération, et d’autre part, ceux qui écrivent dans une langue étrangère, dont ils peuvent avoir une maîtrise bonne, moyenne ou limitée. Il faudrait ensuite distinguer le rapport personnel que chaque écrivain instaure avec sa langue d’écriture, où entrent en jeu des facteurs de classe sociale, de milieu culturel et d’environnement, d’âge, de genre, de plurilinguisme ou diglossie, de clivage choix / obligation, etc.

Y a-t-il néanmoins un élément commun à ces écrivains sur le plan de la langue ? Il nous semble que, finalement, le seul élément commun est un questionnement linguistique affiché – et peut-être surestimé par la critique – c’est-à-dire que la réflexion sur la langue est explicitée et incitée, à partir du constat que la langue n’est pas donnée, naturelle et immédiate, qu’elle représente plutôt selon les cas une conquête, un choix, une revendication, une abdication, un combat etc. Toutefois, saurions-nous oublier qu’il est question de la langue d’écriture et non pas de la langue d’expression ou de communication ? En fait, tout écrivain a, ou devrait avoir, un questionnement linguistique personnel, un rapport spécialement tendu avec sa langue littéraire. Au fond, la seule et véritable langue « autre » est la langue de la création littéraire, comme le disait Proust, « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère », repris en ces termes par Deleuze : « L’écrivain, comme dit Proust, invente dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte » 27 . Lecomte a souligné qu’on peut être migrants sans être écrivains, mais qu’on ne peut pas être écrivains sans être migrants. Certes. Il n’en reste pas moins que pour certains, la langue est plus étrangère que pour d’autres et que ce décalage supplémentaire pourrait produire du sens. Autrement dit, les écrivains de la migration pourraient être plus conscients que d’autres de la recherche nécessaire d’une langue de création et ils pourraient être plus prédisposés que d’autres à des formes d’expérimentation et d’innovation linguistique. Ce sont des hypothèses qui nécessitent vérification.

Il faudrait se pencher sur la langue littéraire et analyser les textes. C’est là que le deuxième nœud apparaît. Comme l’ont remarqué Portelli et Comberiati, il est surprenant de constater, en lisant cette production littéraire, que l’attachement aux conventions prime le plus souvent sur la recherche formelle, que le conformisme prime sur la distinction. Certains critiques et auteurs ont évoqué, parmi les spécificités de la littérature de la migration, la référence à l’oralité et l’emploi de mots étrangers ; or ni l’une ni l’autre de ces caractéristiques ne nous semble suffisamment significative. Concernant l’oralité, on remarque qu’elle n’est pas du tout une constante de la production narrative ; par ailleurs, elle a inspiré moins une langue proche du parler que le recours à un genre, le roman historique et familial, basé sur la transmission des histoires racontées. Concernant l’usage de mots étrangers, qui est en effet un élément assez récurrent, on constate que les mots ou expressions étrangers ont des fonctions diverses et plurielles : tantôt, ils sont des signes identitaires, tantôt ils visent des effets exotiques, le plus souvent ils enracinent une histoire ou des personnages ou ils confèrent un statut de réalité / vérité au récit. Le multilinguisme a des effets et des fonctions multiples qu’il conviendrait d’analyser texte par texte. Ce qu’il importe de rappeler ici, c’est que la langue italienne connaît depuis toujours des situations de diglossie et qu’elle est une langue « autre » pour de nombreux Italiens ; de même, la littérature italienne se confronte-t-elle constamment au plurilinguisme. Ainsi, certains écrivains « migrants » disposent de deux ou plusieurs langues / cultures, mais tel est aussi le cas d’écrivains « nationaux ». Autrement dit, l’emploi du plurilinguisme comme expression du pluriculturalisme n’est pas un phénomène nouveau qui saurait être rattaché à la littérature de la migration. Amara Lackhous l’a bien compris, qui a joué sur ces registres  – dialectes italiens et langues étrangères – dans son roman à succès, Scontro di civiltà per un ascensore a Piazza Vittorio, en rapprochant tous les « marginaux », extracommunautaires et Italiens du Sud, et en exploitant le plurilinguisme pour montrer une Italie moins compacte dans son identité nationale, mais aussi plus solidaire qu’on voudrait le faire croire 28 . Plus généralement, l’emploi d’expressions en langue étrangère, parfois accompagnées d’un glossaire, de notes de bas de page, de traductions, d’explications contextuelles ou d’autres techniques visant à favoriser la lisibilité du texte, est une tendance forte de la littérature italienne de ces dernières décennies, il suffit de mentionner les succès de Camilleri (dialecte sicilien), de Fois ou de Niffoi (sarde), de De Luca (napolitain). D’ailleurs, de plus en plus fréquemment, des écrivains italiens utilisent des mots étrangers lorsque leur histoire se déroule à l’étranger ou que leurs personnages sont étrangers 29 . Mentionnons un cas plus emblématique encore, un roman écrit en langue française par une Italienne, qui utilise souvent des phrases en italien : grand succès en France 30 . Bref, dans le monde globalisé – mieux : glocalisé – l’insertion de diversités linguistiques ne produit pas nécessairement un effet dérangeant, elle ne trouble pas le lecteur qui a désormais l’habitude de certains métissages linguistiques, surtout lorsqu’ils ne perturbent pas la lisibilité du texte.

On peut alors revenir sur ce postulat du caractère intrinsèquement révolutionnaire de la production dans une autre langue. Il nous semble difficile de considérer tout usage d’une langue étrangère ou tout recours à l’oralité comme un apport significatif à la langue et à la littérature italiennes. Certes, lorsque des peuples colonisés, des immigrés, des marginaux, des pauvres, des femmes (pour reprendre les catégories convenues de la subalternité) s’approprient une langue qui ne leur appartient pas, qui ne leur est pas destinée, qui leur a été imposée, en parvenant à s’instruire, à trouver une voix, à affirmer leur subjectivité, on peut considérer que l’écriture est en elle-même un acte politique qui a une portée révolutionnaire. Toutefois, nous préférons affirmer que l’œuvre qui propose une narration autre, une vision autre, qui (d)écrit autrement le monde, possède une force politique intrinsèque. En somme, le politique est le propre de la littérature 31 .

Ainsi, il convient de déplacer le point de vue, de la question de la langue de l’autre à d’autres « autres » : le positionnement, l’histoire, le monde, la représentation, les codes, et surtout aux formes d’expression de ces « autres ». Et il convient de s’interroger dès lors sur la double interaction qui se met en place : les écritures d’auteurs qui proviennent ou sont en contact avec des mondes, images, métaphores, usages et langages différents se mesurent d’une part avec la position d’un « lecteur obligé de modifier son univers culturel pour accueillir de nouvelles formes d’expression » 32 , d’autre part, avec la position du critique confronté à la centralité du canon occidental et à la subalternité d’autres canons, anti-canons, outre-canons 33  dont il admet ou refuse le concours à la formation du canon « national », à savoir, dans notre cas, de la littérature italienne.

Scego reconnaît à la littérature postcoloniale – mais nous pouvons l’étendre à la littérature de la migration – un effet de straniamento, mot par lequel elle entend souligner la diversité et l’étrangéité de cette littérature. C’est un concept intéressant. Élaboré par les formalistes russes sous le terme ostranienie, puis lié aux techniques brechtiennes (Verfremdung) de distanciation (pour lesquelles Antoine Vitez a également proposé la traduction estrangement à partir du mot italien), ce concept, désormais largement utilisé dans de nombreux champs disciplinaires, a été repris par l’historien Carlo Ginsburg pour décrire une méthode critique basée sur la prise de distance 34 . Sa racine commune avec les mots straniero / strano / ; étranger / étrange renvoie à son sens profond : différence versus ressemblance, détachement versus identification. Autrement dit, l’effet d’estrangement, recherché par des techniques littéraires, artistiques, psychanalytiques, pédagogiques, scientifiques, vise à obliger le lecteur, le spectateur, le patient, le théoricien, à prendre de la distance, à se sentir étranger, à se confronter avec une vision étrange, inconnue, nouvelle.

Nous avons là un beau critère de réflexion sur la question de la langue dans la littérature de la migration. Certes, comme le remarquait récemment Ugo Fracassa, le concept d’ostranienie constituait à l’origine un dispositif d’interprétation de la production d’avant-garde ; son application décontextualisée, à la littérature migrante, pourrait signifier qu’on lui attribue une qualité novatrice 35 .

Reformulons-le donc en des termes moins connotés : quels sont les textes construits sur des éléments, formels et narratifs mais pas nécessairement linguistiques, qui mettent le lecteur / le critique dans une position inhabituelle, inconfortable, où il perdrait ses repères, où ses codes et ses automatismes d’identification ne fonctionneraient plus comme d’habitude ? Une position nouvelle, qui le troublerait et l’obligerait à s’interroger sur le monde qui l’entoure et sur lui-même, mais aussi et avant tout à questionner l’objet littéraire qu’il lit ?

L’analyse se déplace alors de la littérature de la migration / postcoloniale / diasporique etc., comprise comme un tout ayant par définition des caractéristiques linguistiques « autres », voire un rapport spécifique à l’« autre », vers ces textes où la singularisation se concrétise par un écart envers la norme, le canon établi. C’est en suivant cette perspective que nous pouvons reconnaître à certains écrivains « migrants » la force d’écrire autrement le monde 36 .



Notes    (↵ returns to text)

  1. En août 1989, un ouvrier d’origine  sud-africaine, Jerry Masslo, est victime d’un assassinat raciste. Cet acte provoque une vive émotion en Italie et inspire trois textes, dont le plus célèbre est une nouvelle, Villa Literno, écrite en italien par Tahar Ben Jelloun en collaboration avec Egi Volterrani, et publiée dans leur recueil Dove lo stato non c’è. Racconti italiani, Torino, Einaudi, 1991.
  2. Cf. entre autres, pour la seule année 2010 : Clotilde Barbarulli, Scrittrici migranti. La lingua, il caos, una stella, Pisa, ETS, 2010 ; Daniele Comberiati, Scrivere nella lingua dell’altro. La letteratura degli immigrati in Italia (1989-2007), Bruxelles, Peter Lang, 2010 ; Giuseppe Nava (éd.), La letteratura della migrazione, Moderna, n. 1, 2010, avec un important « Repertorio bibliografico ragionato sulla letteratura italiana della migrazione (1989-2008) », par Cristina Montaldi et Giorgia Romano, p.  131-204 ; Lucia Quaquarelli (ed.), Certi confini. Sulla letteratura italiana dell’immigrazione, Milano, Morellini, 2010. On rappelle aussi d’importants colloques de « célébration » des vingt ans, comme « Vent’anni di scritture della migrazione in Italia », Bologne, octobre 2010, suivi de la publication des actes (Pezzarossa Fulvio et Rossini Ilaria [éd.], Leggere il testo e il mondo. Vent’anni di scritture della migrazione in Italia, Bologna, Clueb, 2011), sans oublier le rôle des sites spécialisés et la contribution de la presse ; citons par exemple l’article d’Alessandra Coppola, « La narrativa dei nuovi italiani. Una lingua, doppie identità », dans Corriere della Sera, 26 avril 2010, (https://www.corriere.it/cultura/10_aprile_26/narrativa-nuovi-italiani-coppola_32b0204e-50f5-11df-884e-00144f02aabe.shtml).
  3. Cf. sur ce point, et plus en général sur la littérature italienne postcoloniale et migrante : Ugo Fracassa, Patria e lettere. Per una critica della letteratura postcoloniale e migrante in Italia, Roma, Perrone, 2012.
  4. On définit ainsi les textes écrits (publiés) par un écrivain « migrant » ne maîtrisant pas la langue italienne, avec l’aide d’un journaliste ou d’un écrivain italien. Dans ce binôme, où les rôles et les apports ne sont pas toujours bien clairs, l’un est censé fournir l’histoire, le  récit, et l’autre les écrire. Parmi les romans les plus intéressants et controversés, Mario Fortunato, Salah Methnani, Immigrato, Milano, Bompiani, 2006 [1990], dont la réédition comporte une introduction signée par le seul Mario Fortunato qui explique avoir entièrement écrit le livre comme si c’était un roman dont l’histoire (celle racontée par Methnani) avait réellement existé.
  5. Dans la région du Carso triestin, on assiste au phénomène des fleuves souterrains, d’où l’usage métaphorique du terme.
  6. Sur ce point, je me permets de renvoyer à Silvia Contarini, « Letteratura migrante femminile, dalla scrittura di sé alla riscrittura del mondo », in Hanna Serkowska (éd.), Finzione, cronaca, realtà. Scambi, intrecci e prospettive nella narrativa italiana contemporanea, Transeuropa, Massa, 2011, p. 369-380.
  7. Cf. Graziella Parati, « Comunità, diritti umani e testi multiculturali », in Certi confini, op. cit., p. 23-41, et Marie Orton, Graziella Parati, Multicultural Literature in Contemporary Italy, Farleigh Dickinson University Press, 2007 ; Alessandro Portelli, « Notes on New ‘Migrant Writing’ in Italy », in  La letteratura della migrazione, op. cit., p. 51-52 ; Daniele Comberiati, Scrivere nella lingua dell’altro, op. cit., p. 255.
  8. Cf. le titre du colloque qui a eu lieu le 30 juin 2012 à l’Inalco : « Femmes écrivains et littératures ectopiques dans l’Europe d’aujourd’hui »

    (https://www.inalco.fr/ina_gabarit_article.php3?id_rubrique=2640&id_article=5439&id_secteur=1)

  9. Remarquons par exemple qu’Armando Gnisci considère que les secondes générations forment une catégorie à part (Decolonizzare l’Italia, Roma, Bulzoni, 2007) alors que Daniele Comberiati considère qu’il faut analyser les écrivains postcoloniaux par rapport aux autres littératures postcoloniales (Scrivere nella lingua dell’altro, op. cit., p. 258).
  10. Nous renvoyons à Silvia Contarini,  « Lingue, dialetti e identità. Letteratura dell’immigrazione », in Individu et nation, collection de la revue Textes & Contextes, Université de Bourgogne, n. 4, juin 2011, https://revuesshs.u-bourgogne.fr/individu&nation/document.php?id=559. La bibliographie critique mentionnée dans cet article ne sera pas reprise ici. Nous avons développé quelques points abordés dans cet article lors de notre communication « Pluralità e singolarità: le lingue degli scrittori migranti », dans le cadre de la journée d’études  Nuovi approcci alla narrativa plurilingue italiana (1960-2010), International workshop, University of Leeds, 21 janvier 2011.
  11. Nous reprenons ainsi le titre de l’ouvrage de D. Comberiati (cité ci-dessus), Scrivere nella lingua dell’altro, tout en soulignant le renversement qui s’opère et qui mériterait réflexion : l’italien devient la langue de l’altérité.
  12. Mario Domenichelli, « Il canone letterario occidentale al tempo della globalizzazione : mutazioni, ibridazioni, proliferazioni », in La letteratura della migrazione, Moderna, op. cit., p. 15-47.
  13. Igiaba Scego, « La mère et l’autre mère : la question de la langue chez Gabriella Ghermandi e Ubax Cristina Alì Farah », in La letteratura della migrazione, Moderna, op. cit., p. 87-104.
  14. Il s’agit de Gabriella Ghermandi, Regina di fiori e di perle, Roma, Donzelli, 2007 et de Cristina Alì Farah, Madre piccola, Milano, Frassinelli, 2007.
  15. Igiaba Scego, « La mère et l’autre mère », op. cit., la première citation p. 98, la seconde p. 103 (« L’italien se dissout et se renouvelle. L’effet final est un « estrangement » familier que certains considèrent déjà comme la langue de l’avenir, la langue du croisement » ;  « Une histoire ancienne, une historie oubliée, racontée avec une langue entièrement nouvelle, un italien créole qui regarde vers l’avenir », notre traduction). Nous reviendrons plus loin sur le concept de straniamento et ses traductions françaises.
  16. Il serait d’ailleurs intéressant de confronter les différentes et multiples positions exprimées par les écrivains migrants. Par exemple, Elvira Dones parle de l’italien comme de sa langue d’adoption, Tahar Lamri comme d’une langue de désacralisation, Ornela Vorpsi comme d’une langue neutre etc.
  17. Interview à Mahmud Darwish par Kerim Metref publiée dans le site « Letteranza » en  juin 2007, et citée par Igiaba Scego, « La mère et l’autre mère… », op. cit., p. 87 (« comment ceux qui choisissent une autre langue sont-ils accueillis par le public et la critique ? », notre traduction).
  18. Laura Barile, « Scrittori migranti in un incontro a Siena », in La letteratura della migrazione, Moderna, op. cit., p. 105-112.
  19. « messa in crisi dagli scrittori che emigrano nel nostro paese, ma al tempo stesso è interrogata, e anche sollecitata dall’arrivo di scrittori stranieri. Forse allora anche lo scrittore italiano potrebbe ricominciare a balbettare, quasi fosse anch’egli ‘deterritorializzato’, così come gli stranieri balbettano in una lingua ‘altra’, contribuendo a produrre nuovo humus per la creazione linguistica in italiano » (la traduction en français dans le corps du texte est la nôtre), in Laura Barile, « Scrittori migranti in un incontro a Siena », cit., p. 108. Nous avons souligné en italique le verbe « balbettare » dont l’étymologie renvoie à barbaro, ce qui nous invite à réfléchir à l’image – certes involontaire – des immigrés qu’une certaine critique véhicule et sur le risque de condescendance à leur égard.
  20. Alessandro Portelli, « Fingertips stained with ink. Notes on new ‘Migrant writing’ in Italy », in La letteratura della migrazione, Moderna, op. cit., p. 49-58.
  21. Tahar Lamri, « Il pellegrinaggio della voce », El Ghibli. Rivista online di letteratura della migrazione, n. 2, décembre 2003 (https://www.el-ghibli.provincia.bologna.it/id_1-issue_00_02-section_6-index_pos_3.html). Portelli le cite en traduction anglaise, ibid., p. 57. « Pour moi, écrire en Italie, le pays où j’ai choisi d’habiter et de co-habiter, habiter dans la langue italienne, co-habiter avec elle et la faire co-habiter avec mes autres langues maternelles (le dialecte algérien, l’arabe et d’une certaine manière le français) signifie peut-être créer en quelque sorte l’illusion d’y avoir mes racines. Des racines de mangrove, en surface ; toujours sur la ligne de frontière, qui sépare l’eau douce de la mémoire de l’eau salée du vivre au quotidien » (notre traduction).
  22. Daniele Comberiati, Scrivere nella lingua dell’altro. op. cit., p. 49.
  23. « En voulant faire le point sur la littérature de la migration, il convient de se demander si les auteurs ont réussi à modifier de l’intérieur la langue italienne, comme certains critiques l’avaient initialement prévu. La plupart des œuvres utilisent en réalité un registre moyen, dépourvu de tout intérêt particulier, qui correspond comme nous l’avons dit à celui de la production italienne contemporaine. Les quelques romans originaux au niveau linguistique sont le fruit d’un parcours d’auteur ou littéraire complexe et d’une certaine manière non reproductible » ; « D’ailleurs, s’il est possible d’envisager un scénario futur pour la littérature migrante, celui-ci sera sans doute composé d’individualités difficilement reconductibles à des thématiques exclusivement migratoires […]. La production de ces écrivains ne sera que partiellement analysable par les références de la littérature italienne de la migration, car elle appartiendra aussi à la littérature italienne » (notre traduction), in Daniele Comberiati, Scrivere nella lingua dell’altro, op. cit., p. 259.
  24. Mia Lecomte, Sempre ai confini del verso. Dispatri poetici in italiano, Paris, Editions Chemins de tr@verse, 2011.
  25. « Che cosa contraddistingue allora la scrittura migrante, al di là della lingua in cui si esprime ? » ; « L’identità multipla di cui è composta, la stratificazione di destini e progetti futuri che ne guida la voce » (la traduction en français dans le corps du texte est la nôtre), in Mia Lecomte, cit., p. 10.
  26. « c’est encore l’élément linguistique, envisagé comme pilier de la question identitaire, qui distingue la poésie de la migration. À côté de la langue hégémonique, c’est-à-dire la langue de la globalisation tel que l’est certainement l’anglais […] émergent deux autres territoires linguistiques : celui de la langue maternelle […] et celui de la langue dite neutre, langue « du cœur », une langue choisie librement et « affectivement » pour communiquer la partie la plus profonde de soi-même » (notre traduction), in Ibidem, p. 11.
  27. Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve (1954), Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p. 299 ; Gilles Deleuze, Critique et Clinique, Paris, Minuit, 1997, p. 15.
  28. Amara Lakhous, Scontro di civiltà per un ascensore a piazza Vittorio, Roma, e/o, 2006. La présentation éditoriale du rabat de couverture fait explicitement référence au plurilinguisme du Pasticciaccio gaddien.
  29. Pour n’en citer que deux : le beau roman de Marco Bajani, Se consideri le colpe, Torino, Einaudi, 2007, dont l’histoire est en bonne partie située en Roumanie, et le bien moins beau roman de Margaret Mazzantini, Venuto al mondo, Milano, Mondadori, 2008, centré sur la guerre à Sarajevo.
  30. Simonetta Greggio, Dolce vita, Paris, Stock, 2010.
  31. Nous ne pouvons que renvoyer à Jacques Rancière, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007.
  32. Fulvio Pezzarossa, Forme e tipologie delle scritture migranti, in Migranti, a cura di Roberta Sangiorgi, Eksetra, Mantova, 2004, pp. 36 (« lettore obbligato a modificare il proprio universo culturale per accogliere nuove forme di espressione », la traduction en français dans le corps du texte est la nôtre).
  33. Nous renvoyons à Anna Maria Crispino (éd.), Oltrecanone. Per una cartografia della scrittura femminile, Roma, Manifestolibri, 2003.
  34. Carlo Ginzburg, « L’Estrangement – Préhistoire d’un procédé littéraire », dans À distance : neuf essais sur le point de vue en histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 14-36.
  35. Cette remarque, fort intéressante, a été formulée par M. Ugo Fracassa, de l’Université Rome 3, à l’occasion d’une soutenance de thèse, en juin 2013. Fracassa remarquait aussi que Todorov avait proposé de traduire le terme russe par « singularisation ». Or, « singularisation » est utilisé aussi dans d’autres acceptions, il est par exemple associé, dans les études postcoloniales et culturelles, au principe de différenciation. Bref, les implications théoriques et philosophiques du straniamento nécessiteraient une longue digression qui ne saurait trouver sa place dans cet article.
  36. Nous aimons citer : Cristina Ali Farah, Madre piccola, op. cit. ; Adrian Bravi, Il riporto, Roma, Nottetempo, 2011 ; Anilda Ibrahimi, L’amore e gli stracci del tempo, Torino, Einaudi, 2009 ; Nicolai Lilin, Il respiro del buio, Torino, Einaudi, 2011 ; Ornela Vorpsi, La mano che non mordi, Torino, Einaudi, 2007 ; Hamid Ziarati, Il meccanico delle rose, Torino, Einaudi, 2009.

Auteur

Silvia Contarini est professeur de Littérature et Civilisation de l’Italie Contemporaine à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Elle dirige la revue Narrativa, et co-dirige le CRIX (Centre de Recherches Italiennes). Elle a publié de nombreux travaux sur le futurisme (dont l'ouvrage La Femme futuriste, mythes, modèles et représentations de la femme dans la théorie et la littérature futuristes) et sur la littérature italienne contemporaine, avec une attention particulière aux questions liées au genre, au postcolonial et aux migrations.

Silvia Contarini è professore ordinario di Littérature et Civilisation de l’Italie Contemporaine all’Università Paris Ouest Nanterre La Défense. Dirige la rivista Narrativa e codirige il CRIX (Centre de Recherches Italiennes). Ha pubblicato numerosi studi sul futurismo (tra cui il volume La Femme futuriste, mythes, modèles et représentations de la femme dans la théorie et la littérature futuristes), e sulla letteratura italiana contemporanea, con un’attenzione particolare a questioni legate a problematiche di genere, al postcoloniale e all’immigrazione.

Pour citer cet article

Silvia Contarini, Italien, langue « autre » ? La littérature italienne de la migration en questions, ©2014 Quaderna, mis en ligne le 4 mars 2014, url permanente : https://quaderna.org/2/italien-langue-autre-la-litterature-italienne-de-la-migration-en-questions/

Italien, langue « autre » ? La littérature italienne de la migration en questions
Silvia Contarini

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