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# 06 Nord magnétique

Le Nord de l’Angleterre : réalité géographique ou représentation géopolitique ?

Abstract

The territory of England, or even the whole of the United Kingdom, is often described as divided between the South and the North. Between these two halves of England, there would therefore be a North/South divide, a formula very frequently taken up in the press and in political discourses. Thus, the North of England appears as a specific territory, because of its historical, socio-economic, cultural and identity specificities. This paper then aims to question the perception and definition of Nordicity in England, through a geographical – and more specifically geopolitical – approach and methodology. Indeed, the North and the North-South divide can be defined as geopolitical representations, as they appear indisputable in political discourses, although they are debatable geographical realities. The definition of the North also tends to evolve given recent electoral developments in the country, in connection with Brexit.

Résumé

Le territoire de l’Angleterre, voire de l’ensemble du Royaume-Uni, est souvent décrit comme divisé entre le Sud et le Nord. Entre ces deux moitiés de l’Angleterre, il y aurait donc un clivage Nord/Sud, formule très fréquemment reprise dans la presse et dans les discours politiques. Ainsi, le Nord de l’Angleterre apparait comme un territoire spécifique, du fait de ses particularismes historiques, socio-économiques, culturelles et identitaires. Cet article entend alors étudier la perception et de la définition de la nordicité en Angleterre, par une démarche et une méthodologie géographique, et plus spécifiquement géopolitique. En effet, le Nord et le clivage Nord-Sud peuvent être définis comme des représentations géopolitiques, tant ils apparaissent indiscutables dans les discours politiques, bien qu’ils soient des réalités géographiques discutables. La définition du Nord tend également à évoluer compte tenu des évolutions électorales récentes du pays, en lien avec le Brexit.

Texte intégral

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Le territoire de l’Angleterre, voire de l’ensemble du Royaume-Uni 1 , est souvent décrit comme divisé entre le Sud et le Nord. Entre ces deux moitiés de l’Angleterre, il y aurait donc un clivage Nord/Sud, « a North-South divide », formule très fréquemment reprise dans la presse et dans les discours politiques. Ainsi, le Nord de l’Angleterre apparaît comme un territoire spécifique, et la question de la perception et de la définition de la nordicité en Angleterre peut donc se poser.
Dans une approche géographique classique, il convient d’abord de décrire et de définir le territoire étudié, notamment par ses limites. Le Nord de l’Angleterre s’étend jusqu’à la frontière écossaise au nord, jusqu’à la mer du Nord à l’est et jusqu’à la mer d’Irlande à l’ouest. Si ces limites sont évidentes, il est beaucoup plus compliqué de définir la limite sud de ce territoire, c’est-à-dire de déterminer clairement ce qui distingue le Nord du Sud du pays et où passe précisément le clivage Nord/Sud. Pour cela, il convient de s’interroger sur les éléments qui caractérisent ce clivage et qui font du Nord une région particulière.
Différentes approches géographiques peuvent alors être mobilisées pour définir le Nord de l’Angleterre. Au niveau environnemental et structurel, il existe une distinction entre le grand bassin sédimentaire de Londres et les massifs anciens, calédoniens et hercyniens, de l’Ouest et du Nord. Suite aux mises en valeur agricoles puis industrielles, les paysages ruraux et urbains, construits sur des temps longs, sont très différents entre le Sud et le Nord de l’Angleterre. De surcroît, ces paysages du Nord nourrissent des imaginaires très différents : soit ceux des villes marquées par l’industrie et la mine, soit ceux des grands espaces, des Yorkshire Dales ou du Lake District, et des littoraux sauvages du Northumberland.
Toutefois, l’idée de clivage Nord/Sud, telle qu’elle est le plus fréquemment évoquée, répond d’abord à des critères économiques et sociaux. Le Nord est un vieux territoire industriel et minier qui subit des problèmes socio-économiques structurels depuis des décennies, dans un pays dominé politiquement et économiquement par Londres et le grand Sud-Est de l’Angleterre. Le Nord peut alors apparaître comme un territoire périphérique, dominé par la métropole londonienne. Héritage du passé industriel, la géographie électorale est, elle aussi, traditionnellement marquée par un clivage entre un Sud votant majoritairement conservateur et un Nord dominé par le parti travailliste. Un certain nombre de particularismes identitaires, construits sur des temps plus ou moins longs, caractérisent également le Nord de l’Angleterre : accents, dialectes, culture populaire et ouvrière, héritages historiques de territoires de marge, etc. Ceux-ci contribuent parfois à alimenter l’idée que le Nord et le Sud de l’Angleterre incarnent deux modèles de sociétés radicalement différents 2 , renforçant ainsi le clivage politique et électoral.
Ces différents éléments sont interdépendants et permettent de montrer en quoi le Nord est un territoire à part, ce qui établirait alors l’existence d’un clivage Nord/Sud, qui serait la principale manifestation des disparités territoriales en Angleterre. Cette image tend donc à distinguer un centre d’une périphérie, à partir de réalités économiques, sociales, politiques et mentales. Ce type de schéma se retrouve dans d’autres États européens, entre l’Italie du Nord et le Mezzogiorno, entre les Länder de l’Ouest et les nouveaux Länder en Allemagne, ou entre l’Île-de-France et le reste du territoire français métropolitain – entre « Paris et le désert français » selon la formule énoncée par le géographe Jean-François Gravier dans les années 1940 et qui a été largement reprise par la suite.
Au Royaume-Uni comme dans les autres pays européens, ces expressions se retrouvent très fréquemment dans les discours politiques, notamment dans les programmes électoraux ou dans les politiques publiques concernant les territoires, ou dans les articles de presse, dès que des données statistiques ou des rapports d’experts sont publiés et montrent des disparités territoriales 3 . Il s’agit cependant de visions trop schématiques et parfois faussées, dépendant fortement de l’échelle et de l’interprétation de la donnée statistique. Certes à l’échelle nationale et régionale, il existe en Angleterre un indéniable clivage socio-économique Nord/Sud, mais quand les statistiques sont traitées à l’échelle locale, il est souvent moins évident. Il existe en effet des poches de prospérité au Nord, comme des poches de pauvreté au Sud 4 . Il existe également d’autres clivages, notamment entre les territoires urbains et les espaces ruraux, entre grandes métropoles et villes petites ou moyennes, ou entre les centres-villes et les quartiers plus périphériques dans les agglomérations.
Pourtant, bien que l’idée du clivage Nord/Sud soit trop simpliste, elle est devenue une représentation géopolitique 5 , c’est-à-dire « une idée géopolitique destinée à décrire, à exprimer une partie de la réalité, de façon floue ou précise, déformée ou exacte ». C’est « une construction, un ensemble d’idées plus ou moins logiques et cohérentes » 6 . En géopolitique, l’idée de représentation renvoie à « la manière dont une population perçoit son histoire collective, son essence, son territoire, ou celles et celui de populations admises comme différentes » 7 . Ainsi, en plus des données géographiques et statistiques, les représentations sont importantes dans l’objectif de définir un territoire par la manière dont il est perçu, imaginé et approprié, par les populations qui y vivent comme par celles de l’extérieur.
Cependant, si l’image du Nord comme territoire à part au sein de l’Angleterre et du Royaume-Uni est très ancrée dans les consciences politiques et les représentations territoriales, le référendum sur le Brexit de 2016 et plusieurs résultats électoraux récents ont montré que la fracture électorale n’était plus aussi forte qu’auparavant, voire qu’elle était désormais remise en cause. Quelle est la signification de ces résultats ? Constituent-ils un évènement passager ou est-ce une profonde remise en question des équilibres électoraux classiques en Angleterre ? Par-là, est-ce le signe d’une évolution du Nord, voire une remise en cause de ses particularismes ?
Tout en expliquant ces évolutions électorales et politiques plus ou moins récentes, cet article cherchera à déterminer ce qui caractérise le territoire du Nord et ce qui peut en faire l’unité.

1. Le Nord, un territoire à fortes identités

Les perceptions du Nord de l’Angleterre comme une région à part entière et comme un territoire particulier au sein du Royaume-Uni, différent du Sud, se retrouvent dès le XIXe siècle, notamment dans les romans et des écrits politiques de grands auteurs et grandes autrices de l’époque victorienne, comme Elizabeth Gaskell, Charles Dickens ou Benjamin Disraeli. Dans ces œuvres, le Nord est singularisé comme un territoire spécifique, marqué par les mines et l’industrie, mais aussi célébré pour la beauté de ses paysages naturels. C’est à partir de ces représentations que les premières revendications régionalistes et décentralisatrices apparaissent au tout début du XXe siècle, portées par différents cercles politiques et intellectuels, en lien avec les premières réflexions sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme, puis avec des revendications sociales et politiques 8 . En effet, si l’industrialisation et l’urbanisation du pays sont à l’origine du clivage Nord/Sud 9 , il prend, par la suite, une dimension sociale dès l’entre-deux-guerres et les premières difficultés économiques des territoires industriels et miniers britanniques.
D’ailleurs, les premières mesures gouvernementales d’assistance aux régions du Nord datent des années 1930, ouvrant la voie à une longue série de politiques publiques imaginées par les gouvernements successifs. Les disparités sociales, en matière d’emploi, de richesse, d’éducation, de santé, d’espérance de vie, etc., se renforcent par la suite, avec le déclin des bassins miniers et la désindustrialisation, qui entraînent le déclin démographique des grandes villes du Nord comme Newcastle, Liverpool, Sheffield, Leeds ou Manchester dans la seconde moitié du XXe siècle.
Si le clivage Nord/Sud apparaît d’abord comme un problème social et économique, il devient une question politique clivante à partir des années 1980, alors que les réformes économiques du gouvernement Thatcher sont particulièrement contestées dans le Nord. Elles sont vécues comme étant particulièrement agressives par les communautés ouvrières et minières du Nord, notamment du fait de l’attitude de la Première ministre. Se propage alors le sentiment que le Nord de l’Angleterre, tout comme l’Écosse et le pays de Galles, seraient victimes d’un déficit démocratique, subissant la politique d’un gouvernement conservateur que ces territoires travaillistes n’ont pas élu. Un nombre croissant de travaux universitaires 10 , relayés dans la presse et dans le discours des responsables syndicaux et travaillistes, montrent à quel point le thatchérisme aggrave les disparités socio-économiques et le clivage Nord/Sud. Ces débats conduisent à un rapprochement entre élus travaillistes, universitaires et acteurs économiques locaux pour créer des courants régionalistes dans le Nord de l’Angleterre, réclamant une autre politique territoriale dans le pays, une meilleure prise en compte des spécificités régionales et surtout une décentralisation des pouvoirs 11 . Les régionalistes accusent également les milieux d’affaire du Sud de s’enrichir en restructurant et en fermant sans états d’âme les usines et les mines du Nord. Certains d’entre eux comparent même le Nord à une colonie du Sud, reprenant l’idée d’une « colonisation interne » développée par les nationalistes écossais. Pour les régionalistes, l’autonomie politique est la seule solution pour pallier les manquements de l’État central et pour se protéger de ses agressions.
Ce « régionalisme du mécontentement » 12 exprime les frustrations et les difficultés d’une région « périphérique » et « pauvre » qui se sent abandonnée, incomprise, délaissée, voire colonisée par l’État central. Donc, si la situation sociale et économique du Nord sert de base au discours des régionalistes, leurs arguments dépassent ce simple cadre pour développer l’idée que le Nord doit bénéficier d’une autonomie politique. À partir des années 1990, les régionalistes enrichissent encore leur discours avec des arguments culturels et historiques, qui renforcent encore la perception du clivage Nord/Sud et lui confèrent une dimension identitaire. Le mouvement régionaliste utilise ainsi un certain nombre de représentations géopolitiques et de symboles afin de souligner les particularismes régionaux, pour construire une identité régionale 13 .
Ainsi, l’interprétation régionaliste de l’histoire fait remonter l’apparition des particularismes du Nord, et donc l’idée de clivage Nord/Sud, bien avant la Révolution industrielle et la mise en place des dynamiques socio-économiques contemporaines du territoire anglais. Certains estiment par exemple que le clivage aurait pour origine la nature des sols et remonterait donc à la formation géologique de la Grande-Bretagne, puisque celle-ci aurait conditionné différentes mises en valeur du territoire dès l’époque romaine, notamment entre les massifs du Nord et le bassin sédimentaire du Sud-Est 14 . De ce fait, le clivage Nord/Sud serait le fruit d’un déterminisme géographique, puisque le comportement des premières sociétés humaines – sédentarisation au Sud et nomadisme au Nord – se calque sur des conditions pédologiques. Cette analyse très discutable sert parfaitement le discours régionaliste, puisque la délimitation géologique simplifiée entre les massifs anciens du Nord et le bassin sédimentaire de Londres va de l’estuaire de l’Exe à celui de la Tees, et se rapproche de l’axe entre l’estuaire de la Severn et l’Humber (entre Bristol et Hull), qui est souvent cité comme marquant la limite socio-économique entre le Nord et le Sud.
L’interprétation et la mythification par les régionalistes donne ainsi une certaine légitimité historique à leur discours et à leurs revendications, dans un processus très classique de construction de représentations géopolitiques. En raisonnant sur des temps longs, les régionalistes peuvent dépasser leurs arguments traditionnels, devenus obsolètes puisque l’économie va mieux à partir de la fin des années 1990. De même, l’idée du déficit démocratique devient caduque après l’arrivée au pouvoir en 1997 de Tony Blair, c’est-à-dire du parti travailliste dominant dans le Nord (Tony Blair était d’ailleurs député de la circonscription de Sedgefield dans le Nord-Est). La création de mythes ou de symboles, l’interprétation de l’histoire et donc la manipulation de représentations géopolitiques, que pratiquent les régionalistes du Nord, sont inhérentes à tout mouvement régionaliste identitaire. Ils constituent ainsi un « kit do-it-yourself » identitaire, pour reprendre la formule de l’ethnologue Orvar Löfgren (1989), avec un saint patron, des héros régionaux, des hauts lieux, des symboles culturels, un discours autour du parler et des accents, etc. Ils s’inspirent pour cela des particularismes identitaires et des discours de nombreux mouvements nationalistes-régionaux en Europe 15 , et plus particulièrement des nationalistes écossais, gallois et irlandais. En effet, le développement de ce discours régionaliste identitaire dans le Nord de l’Angleterre, commencé dans les années 1990, est incontestablement un contrecoup de la montée du nationalisme écossais au même moment 16 . Le discours politique des régionalistes, orienté clairement à gauche, fait également volontiers référence au mythique modèle de la social-démocratie scandinave 17 – autre point commun avec le nationalisme écossais – l’opposant au libéralisme des conservateurs et de la City, et défendant une approche commune et particulièrement composite de la nordicité, avec des références historiques anciennes et mythifiées 18 et des références politiques beaucoup plus contemporaines. Certains régionalistes du Nord prennent même leurs distances par rapport à l’anglicité et à l’identité anglaise, d’autant plus que l’image du nationalisme anglais, du nationalisme de la nation dominante, est plutôt négative et souvent portée par des mouvements d’extrême-droite. Dans un article très provocateur, le géographe Peter Taylor décrit ainsi le Nord comme « un pays étranger à l’intérieur » 19 de l’Angleterre.
Cependant, s’il rassemble essentiellement des gens de gauche, le régionalisme du Nord n’est pas un mouvement populaire, mais un mouvement construit par une élite intellectuelle et politique. Il n’a jamais réussi à rassembler au-delà de quelques responsables politiques et d’universitaires. La grande majorité de la population du Nord ne s’est jamais réellement sentie concernée par cette identité, du moins au point d’en faire un enjeu politique. Cela explique en partie l’échec de la politique de régionalisation de l’Angleterre en 2004, censée prolonger la dévolution accordée à l’Écosse et au pays de Galles 20 .
Ce projet régionaliste s’est aussi retrouvé confronté à une autre réalité identitaire, celle de la force des identités locales : être de Manchester, de Liverpool, du Yorkshire, de Newcastle ou de Sunderland est souvent une référence identitaire plus forte qu’une quelconque appartenance à un Nord aux contours mal définis. De même, les enquêtes d’opinion montrent que l’attachement à l’identité anglaise est fort dans le Nord, contrairement aux interprétations de certains régionalistes. Ainsi, il peut apparaître contestable d’affirmer qu’il existe une identité régionale forte et singulière dans le Nord. Au contraire, il existe indubitablement des identités locales au pluriel et souvent distinctes dans ce territoire. La question des identités doit fondamentalement être considérée dans une approche scalaire, dans le Nord de l’Angleterre, comme dans le reste du Royaume-Uni. En fonction de l’échelle, certaines identités (locales, régionales, nationales, britannique) peuvent être plus ou moins importantes, selon les territoires comme selon le contexte 21 .

2. Le Nord, un territoire désuni

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, période où les travaillistes et Tony Blair sont au pouvoir, le Royaume-Uni connaît une période de croissance économique soutenue. Si Londres et son espace métropolitain en sont les premiers bénéficiaires, le reste du pays en profite également, notamment certaines grandes villes du Nord comme Manchester ou Leeds, même si les inégalités persistent voire se creusent entre les quartiers de ces villes. Cependant, la crise économique de 2008 et la grande récession, puis l’arrivée au pouvoir de David Cameron et des conservateurs en 2010 changent la donne. Le gouvernement Cameron s’engage en effet dans une politique d’austérité, réveillant les débats autour des disparités territoriales au Royaume-Uni. Le Nord est fortement touché par les conséquences de la crise économique et des coupes budgétaires, qui ne sont pas équivalentes pour toutes les collectivités locales. En effet, une étude de la municipalité 22 de Newcastle, reprise par le Guardian, a réévalué l’ensemble des coupes budgétaires à partir des données officielles pour en mesurer l’impact sur les territoires locaux. Ses conclusions montrent que les collectivités locales les plus pauvres, majoritairement situées dans le Nord du pays et/ou dirigées par des travaillistes, sont les plus touchées par ces mesures d’austérité, alors que les territoires prospères du Sud, souvent dirigés par les conservateurs, sont plutôt préservés 23 . Un rapport de l’Audit Commission, organisme indépendant chargé de l’audit du gouvernement local et des services publics locaux, arrive aux mêmes conclusions : « les municipalités les plus touchées ont été celles qui dépendent fortement du financement gouvernemental et qui reçoivent habituellement d’importantes subventions spécifiques. (…) Les municipalités des territoires les plus défavorisés ont constaté des réductions de financements gouvernementaux nettement plus importantes en proportion que les municipalités des territoires moins défavorisées » 24 . Un rapport publié par la Joseph Rowntree Foundation montre que si les aides sociales ont baissé de 14% (£65 par habitant) dans les municipalités les plus pauvres d’Angleterre entre 2010 et 2014, elles ont augmenté de 8% (£28 par habitant) dans les municipalités les plus riches, à cause des mécanismes de cette politique d’austérité 25 . Ces mesures d’austérité contribuent ainsi à augmenter les inégalités socio-spatiales en Angleterre, renforçant les ressentiments des populations et des territoires les plus pauvres envers Londres et les décideurs politiques 26 .
Le débat constitutionnel et les enjeux identitaires sont également relancés par les progrès électoraux des nationalistes écossais et par le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014. Dans cette conjoncture économique et politique, de nouvelles revendications décentralisatrices apparaissent dans le Nord de l’Angleterre, portées notamment par les élus des grandes villes. Toutefois, malgré ce contexte, il n’y a pas la réémergence d’un véritable mouvement régionaliste dans le Nord. De plus, alors que la situation électorale aurait pu être particulièrement compliquée pour les conservateurs dans le Nord, après une décennie de politique d’austérité, les derniers scrutins ont montré une relative atténuation du clivage électoral Nord/Sud. Sous l’impulsion de Boris Johnson, les conservateurs ont en effet remporté un certain nombre de circonscriptions travaillistes du Nord aux élections législatives de décembre 2019, fragilisant par endroit le « Red Wall », les bastions travaillistes du Nord représentés en rouge sur les cartes électorales. Les élections locales de 2021 ont confirmé cette tendance, dans un climat de crise sanitaire qui a montré les limites du système de santé britannique 27 .
Ces résultats sont historiques, car les conservateurs n’avaient pas remporté autant de circonscriptions dans le Nord depuis au moins la deuxième victoire de Margaret Thatcher en 1983. Si l’implantation des travaillistes dans la région est initialement la conséquence et l’héritage de la culture ouvrière et minière dans ces territoires, à partir des années 1980, les électeurs du Nord ne votent plus pour défendre uniquement les intérêts des ouvriers – catégorie de plus en plus réduite –, mais ils se prononcent contre l’idéologie et le modèle de société incarnés par Margaret Thatcher et le Sud de l’Angleterre. Apparaît donc une forme de fracture entre une grande partie de l’électorat du Nord et le parti conservateur. Aux élections de 1997, remportées par les travaillistes emmenés par Tony Blair, les conservateurs n’ont gagné que 17 circonscriptions dans le Nord, soit à peine 10% du total des sièges dans la région. Ils ne retrouvent une représentation plus significative qu’après les élections de 2010 et la victoire de David Cameron, remportant 25% des sièges du Nord, ce qui reste loin des 43% remportés en 2019. Ainsi, pendant une décennie au pouvoir et malgré un contexte socio-économique peu favorable, les conservateurs progressent dans le Nord, théoriquement une terre hostile. Il convient alors de s’interroger sur les raisons de cette dynamique a priori surprenante.
Au cours des années 2000, les conservateurs restent toujours associés aux années Thatcher, chez beaucoup d’électeurs du Nord. Ils souffrent alors de l’image d’un « nasty party », un parti méchant, arrogant et méprisant vis-à-vis des populations en difficulté, peinant à s’imposer comme une formation capable de représenter les intérêts du Nord. Ainsi, en 2007, un sondage The Times/Populus montre que pour 64% des personnes interrogées dans le Nord, les conservateurs représentent avant tout le Sud de l’Angleterre et non le pays tout entier. La (re)conquête du Nord par les conservateurs dans la décennie suivante s’explique par plusieurs raisons. D’abord, une vraie rupture générationnelle s’opère à la fois à la tête du parti conservateur et bien sûr parmi l’électorat. Les années Thatcher s’éloignent naturellement. Ensuite, une rupture intervient également dans la manière de gouverner et dans le discours politique. David Cameron cherche ainsi à détoxifier le parti et à rénover son image. Il reconnaît par ailleurs très clairement l’existence du clivage Nord/Sud, nié par Margaret Thatcher et minimisé voire ignoré par ses successeurs à la tête du parti. Enfin, son gouvernement propose une véritable stratégie pour lutter contre les disparités territoriales et pour favoriser le rattrapage économique du Nord, notamment par le programme Northern Powerhouse (lancé en 2016), par des projets d’infrastructures comme le prolongement de la ligne à grande vitesse HS2 ou la création d’une HS3 entre les villes du Nord, par des promesses d’investissements publics et privés, etc. Le gouvernement Cameron met également en place des mesures de décentralisation, notamment vers les grandes agglomérations (Manchester, Liverpool, Sheffield, etc.), par la création des Local Enterprise Partnerships (LEPs), des Combined Authorities 28 et la signature des City Deals 29 .
Certes, ces politiques ne sont pas déterminantes pour réduire les inégalités, et certaines mesures peuvent sembler juste cosmétiques. En effet, si elles prévoient des investissements pour le Nord, ceux-ci restent limités et largement inférieurs aux coupes budgétaires subies précédemment par les municipalités du Nord. Les nouveaux dispositifs, comme les LEPs, sont également loin d’avoir les mêmes budgets que ceux qu’ils sont censés remplacer, les Regional Development Agencies, créées par les travaillistes en 1998 et supprimées par les conservateurs en 2010 30 . Cependant, la politique du gouvernement Cameron est habile, car, par son approche ville par ville, municipalité par municipalité, elle a fragmenté politiquement le Nord et les solidarités régionales, chaque municipalité cherchant à obtenir davantage du gouvernement central que sa voisine. Certains acteurs locaux estiment que cette politique accentue un climat malsain de compétition entre les grandes villes du Nord 31 .
Ces rivalités entre les villes du Nord, parfois au sein même des grandes conurbations, sont anciennes. Elles trouveraient leurs racines au moment de l’industrialisation du Nord, aux XVIIIe et XIXe siècles, quand ces villes et leurs industries étaient en compétition pour conquérir de nouveaux marchés ou maîtriser des innovations 32 . La désindustrialisation et l’apparition des difficultés économiques ont renforcé ces rivalités, notamment au cours des années 1980, avec une chasse aux investissements pour développer de nouveaux secteurs économiques et remplacer les activités déclinantes. Les réformes des gouvernements Thatcher successifs ont également contribué à favoriser la concurrence entre les territoires locaux 33 .
Ainsi, l’absence de réelle solidarité entre les villes du Nord complique toute reconfiguration des rapports de forces et l’émergence d’un réel pôle économique et politique unifié dans le Nord, incarnant une forme de contre-pouvoir face à Londres et donc capable de défendre au mieux les intérêts de la région. La géographie économique et politique de l’Angleterre peut donc s’apparenter à un archipel : l’île centrale et principale, le grand Sud-Est autour de Londres, et les îles périphériques, Manchester, Liverpool, Leeds, Newcastle, etc. Les liens économiques et politiques sont ainsi souvent plus forts entre Londres et chacune des grandes villes du Nord, qu’entre ces grandes villes du Nord elles-mêmes pourtant beaucoup plus proches les unes des autres qu’elles ne le sont toutes avec la capitale.
Le constat déjà établi au niveau identitaire peut être reproduit au niveau politique : le Nord n’existe pas comme un tout, comme un ensemble politique distinct.

3. Le Nord, un territoire déconstruit par le Brexit

Le Brexit est bien entendu l’évènement géopolitique majeur de ces dernières années qui concerne le Royaume-Uni. D’une part, il reconfigure le positionnement international du pays. D’autre part, il remet en cause certains équilibres géopolitiques internes, au sein de la société britannique, ou entre les différentes composantes nationales, avec des répercussions sur la question de l’indépendance écossaise ou sur celle du statut géopolitique de l’Irlande du Nord.
Le vote pour le Brexit lors du référendum du 23 juin 2016, a souvent été commenté comme la révolte des territoires en colère. En Angleterre, les résultats du référendum révèlent en effet une véritable géographie du mécontentement, sur fond de tensions locales et de profondes disparités sociales et identitaires dans le pays 34 . Toutefois, la carte des résultats du référendum ne montre absolument pas de clivage Nord/Sud, ni même une uniformité du vote dans le Nord. Il n’y a donc pas eu de positionnement unitaire dans le Nord autour des éléments structurants du vote lors de ce référendum : la place du pays dans le monde, l’immigration (notamment est-européenne), les conséquences de la mondialisation, la situation économique du pays, les enjeux identitaires, etc. Ce référendum et ses conséquences montrent avant tout les multiples fractures de la société britannique, anglaise en premier lieu, et les multiples clivages territoriaux dans le pays, bien plus complexes qu’un simple clivage Nord/Sud.
Les succès politiques de Boris Johnson et des conservateurs dans le Nord s’inscrivent dans la continuité de cette nouvelle phase politique du pays ouverte par le référendum sur le Brexit. En effet, Boris Johnson modifie de nouveau l’image et le positionnement du parti conservateur, allant notamment sur un terrain plus populiste au moment de la campagne des élections de 2019, tout en se présentant comme étant le seul à pouvoir mener à terme le Brexit et à mettre fin aux années d’incertitude et d’atermoiements qui ont suivi le référendum. En pointant « l’homme de Workington » (« Workington man ») comme étant sa nouvelle cible pendant la campagne, Boris Johnson affiche clairement ses intentions dans le Nord, Workington étant une petite ville industrielle et anciennement minière de Cambria, au Nord-Ouest de l’Angleterre. L’enjeu est donc que cet homme blanc d’une classe d’âge plutôt élevée, ayant voté pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et issu d’une ancienne petite ville industrielle du Nord 35 , vote pour la première fois pour les conservateurs. Il s’agit, certes, d’un cliché sans grande valeur sociologique, toutefois cette idée montre que le parti cible clairement les électeurs du Brexit issus des classes populaires et des territoires marginalisés. Lors de cette campagne, Boris Johnson annonce vouloir rompre avec l’austérité et renforcer les politiques sociales et il multiplie en effet les promesses pour le Nord, s’engageant notamment à décentraliser davantage le pouvoir politique, à renforcer les investissements dans les infrastructures et l’éducation, et à réduire les clivages socio-économiques entre les territoires, autant de promesses qui figurent aussi, depuis plusieurs années, dans le programme des travaillistes. Il cherche par là à récupérer une grande partie de l’électorat traditionnel et populaire travailliste, qui ne se reconnaît plus dans un parti déboussolé et fractionné. En effet, les progrès du parti conservateur s’expliquent aussi par le déclin ou la faiblesse de ses concurrents.
Ainsi, la question du Brexit révèle toutes les contradictions du parti travailliste, écartelé entre un électorat populaire traditionnel et un électorat urbain issu de classes moyennes supérieures et intellectuelles, deux électorats aux préoccupations souvent très différentes voire antagonistes. Le parti travailliste ne rassemble plus les populations fragilisées comme il le faisait dans les années 1980, et peine à proposer un projet politique alternatif. Au-delà du contexte exceptionnel du Brexit, reste à savoir si ces progrès du parti conservateur dans le Nord annoncent un processus majeur et durable de recomposition de la géographie électorale britannique et donc le début de la fin du clivage électoral Nord/Sud en Angleterre. De nombreuses incertitudes perdurent sur les conséquences à long terme, pour le Nord de l’Angleterre, du Brexit, de la pandémie du Covid-19 et du contexte géopolitique et économique mondial lié à guerre en Ukraine et aux tensions autour de Taïwan. Les populations et les territoires les plus en difficulté sont les premiers touchés par l’augmentation de l’inflation. Les évolutions électorales restent particulièrement incertaines, dans ce contexte de grande instabilité économique et géopolitique, et de divisions politiques majeures au Royaume-Uni, y compris au sein du parti conservateur.

Conclusion

Si le Nord est souvent décrit comme une région à part et est traité comme telle, si les statistiques régionales montrent toujours une accumulation des difficultés dans ce territoire et la persistance d’inégalités avec le Sud 36 , et si les discours politiques et la presse font souvent référence à sa singularité et à ses problèmes, la définition de ce territoire et de ce qui fait son unité reste finalement compliquée à trouver.
Plus qu’un territoire clairement identifiable, le Nord est avant tout un concept géopolitique, qui correspond à des territoires périphériques en difficulté, marqués par un passé industriel et par une culture ouvrière toujours prégnante. Il se définit essentiellement à partir de représentations géopolitiques, telles que le clivage Nord/Sud ou tous les particularismes identitaires construits par une réinterprétation de l’histoire et mis en avant par les régionalistes. Comme d’autres territoires politiques, les contours du Nord peuvent aussi changer, en fonction des époques, des critères employés, des approches thématiques et scientifiques et des évolutions des représentations géopolitiques. Cependant, malgré la difficulté de le définir, le Nord est bien un objet géopolitique que les responsables politiques du pays doivent prendre en compte pour définir leurs politiques territoriales et sociales. La force des représentations géopolitiques, comme celles qui construisent le Nord de l’Angleterre, est qu’elles tendent parfois à devenir des réalités indépassables.

Notes    (↵ returns to text)

  1. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est l’ensemble de quatre composantes nationales, l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande du Nord et le pays de Galles. Si la notion de Nord pourrait aussi s’étendre à l’Écosse, à l’Irlande du Nord et au pays de Galles, cet article ne s’intéressera quasi exclusivement qu’aux disparités au sein de l’Angleterre (81% de la population et 54% de la superficie du Royaume-Uni). En effet, les enjeux identitaires et géopolitiques, au cœur de notre approche scientifique, sont extrêmement différents selon les composantes nationales. Il serait alors trop réducteur de n’évoquer qu’un seul Nord, qu’une seule approche de la nordicité.
  2. David Byrne, « What Sort of Future ? », Geordies, Roots of Regionalism, dir. Robert Colls et Bill Lancaster, Édimbourg, Edinburgh UP, 1992, p. 35-53.
  3. On retrouve par exemple l’expression dans des articles de presse mentionnant des rapports sur l’état du pays publiés par des instituts de recherche ou par des think-tanks, faisant le point sur des programmes gouvernementaux ou sur les conséquences des différentes crises (crise financière et économique de 2008-2009, pandémie du COVID-19, etc.). Par exemple, le rapport State of the North 2021/22 publié en janvier 2022 par le think-tank IPPR North, qui se définit comme progressiste, soulignait le renforcement des clivages malgré deux ans de la politique « Levelling up » du gouvernement Johnson. Ses principales conclusions ont été reprises par les principaux journaux du pays (« England’s north-south divide is deepening, says new report », The Guardian, 16/01/2022 ; « Levelling up : North-South divide widening, think tank says », bbc.co.uk, 17/01/22 ; « North-south divide ‘getting worse’ as levelling-up promises appear empty », The Times, 17/01/22 ; etc.). Les exemples du même type sont très nombreux. Si des données liées aux dépenses de l’État dans les services publics ou des projets d’infrastructure, à la situation sociale de la population, à son niveau de formation ou aux performances économiques sont classiquement utilisées pour montrer ces différences, d’autres critères plus anecdotiques mais très frappants sont parfois utilisés : « Data shows north-south divide in spending habits », Telegraph & Argus [le quotidien régional de Bradford, dans le Yorkshire], 17/01/23.
  4. L’indice synthétique de pauvreté (Indices of Multiple Deprivation) réalisé par l’Office for National Statistics (ONS) mis à jour régulièrement au Royaume-Uni et construit à partir de nombreux indicateurs, montre par exemple que certaines localités littorales du Sud (Hastings, Clacton, Thanet), certaines villes (Plymouth) ou certains quartiers du centre-est de Londres figurent parmi les plus défavorisées d’Angleterre, contrairement à certains espaces ruraux du North Yorkshire, de Cumbria (Lake District), ou du Cheshire, parmi les plus favorisés (Office for National Statistics, The English Indices of Deprivation 2019 – Statistical Release, Londres, ONS, 2019).
  5. Mark Bailoni, « Le Nord de l’Angleterre, l’affirmation d’un territoire politique et identitaire », Hérodote 137, 2010, p. 70-92.
  6. Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1995, p. 1278.
  7. Frédéric Encel, « Questions de géopolitique ou la géopolitique en question », La Revue pour l’Histoire du CNRS 16, 2007, https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.1573.
  8. Mark Bailoni et Corinne Nativel, « Entre fractures territoriales, représentations et identités culturelles : comment appréhender le Nord britannique ? », Revue Française de Civilisation Britannique 25/2, 2020, https://doi.org/10.4000/rfcb.5631.
  9. Ron Martin, « The Political Economy of Britain’s North-South Divide », Transactions of the Institute of British Geographers 13/4, 1988, p. 389-418 ; Peter Scott, Triumph of the South : A Regional History of Early Twentieth Century Britain, Alderhot, Ashgate, 2007, p. 344.
  10. Notamment : Ron Martin, op. cit. ; Ron Martin et Bob Rowthorn, The Geography of De-Industrialisation, Londres, Macmillan, 1986 ; Peter L. Garside et M. Hebbert (dir.), British Regionalism 1900-2000, Londres, Mansell Publishing, 1989 ; Anne E. Green, « The North-South Divide in Great Britain : An Examination of the Evidence », Transactions of the Institute of British Geographers 13/2, 1988, p. 179-198 ; Jim Lewis et Alan Townsend (dir.), The North South Divide, Regional Change in Britain in the 1980s, Londres, Paul Chapman Publishing, 1989 ; Peter Taylor, « The Meaning of the North : England’s ‘foreign country’ within », Political Geography 12/2, 1993, p. 136-155.
  11. Mark Bailoni, La question régionale en Angleterre, nouvelles approches politiques du territoire anglais, Thèse de Géographie-Géopolitique, Institut Français de Géopolitique – Université Paris 8, 2007.
  12. John Tomaney, « The Idea of English Regionalism », The English Question, dir. Robert Hazell, Manchester, Manchester UP, 2006, p. 158.
  13. Mark Bailoni, « Le Nord de l’Angleterre, l’affirmation d’un territoire politique et identitaire », cit., p. 70-92.
  14. Helen M. Jewell, The North-South Divide, the Origins of the Northern Consciousness in England, Manchester, Manchester UP, 1994, p. 240.
  15. Béatrice Giblin, « Les nationalismes-régionaux en Europe », Hérodote 95, 1999, p. 3-20.
  16. Mark Bailoni, « Le Nord de l’Angleterre, l’affirmation d’un territoire politique et identitaire », cit., p. 70-92.
  17. David Byrne, op. cit. ; Fred Robinson, « The North East, a Journey through Time », City 6/3, 2002, p. 317-334.
  18. John Tomaney, Governing the Region Past, Present and Future, Conférence « St Cuthbert Day » à Newcastle, 20 mars 2003.
  19. « a foreign country within ». Peter Taylor, op. cit., p. 136.
  20. Mark Bailoni, La question régionale en Angleterre, nouvelles approches politiques du territoire anglais, cit. À leur arrivée au pouvoir en 1997, les travaillistes dirigés par Tony Blair entendaient décentraliser le Royaume-Uni. La première étape a été d’accorder, après référendums, la dévolution à l’Écosse, au pays de Galles et à l’Irlande du Nord. La deuxième a été de recréer une autorité du Grand-Londres, avec l’élection directe d’un maire. La troisième devait être la création d’institutions régionales en Angleterre, avec des assemblées élues et un exécutif compétent sur certains domaines décentralisés. Le résultat d’un premier référendum organisé dans le Nord-Est en 2004 et le « non » massif à la création d’une Assemblée régionale élue ont mis fin à cette dévolution régionale en Angleterre.
  21. Pour illustrer cela, le journaliste du Times Simon Jenkins a développé le concept du « Marbella test ». D’après lui, quand un Britannique rencontre un autre Britannique sur une plage espagnole et qu’ils se demandent d’où ils viennent, si l’un vient d’Ecosse ou de pays de Galles, il fera référence à sa nation, s’il est Anglais, il répondra qu’il vient de Londres, de Manchester ou de l’Oxfordshire, mais ne citera pas spontanément sa région. Selon Simon Jenkins, ils ne définissent pas leur territoire identitaire selon la région où ils habitent, mais selon leur ville ou leur comté. S’il existe incontestablement des sentiments identitaires au niveau des villes ou des microrégions, il paraît moins évident, pour le moment, de parler d’un réel sentiment identitaire régional et populaire dans le Nord. Simon Jenkins, Big Bang Localism – A Rescue Plan for British Democracy, Londres, Policy Exchange, 2004.
  22. C’est-à-dire le comté métropolitain (metropolitan council) de Newcastle, dirigé par le Newcastle City Council.
  23. Patrick Butler, « Council Spending Cuts : The North Loses Out to the South », The Guardian, 11 janvier 2013.
  24. « the worst affected councils were those that are heavily dependent on government funding and that have traditionally received large amounts of specific grant funding. (…) councils in the most deprived areas have seen substantially greater reductions in government funding as a share of revenue expenditure than councils in less deprived areas » (Audit Commission, Tough times 2012 – Councils’ Financial Health in Challenging Times, Londres, Audit Commission, 2012, p. 16).
  25. Annette Hastings, Nick Bailey, Glen Bramley, Maria Gannon et David Watkins, The Cost of the Cuts : The Impact on Local Government and Poorer Communities, York, Joseph Rowntree Foundation, 2014, p. 15-16.
  26. Mark Bailoni, « Géopolitique de l’austérité – Mutations de l’espace politique et renforcement des clivages au Royaume-Uni depuis la crise de 2008 », L’Espace Politique 34, 2018, https://doi.org/10.4000/espacepolitique.4555.
  27. Si la gestion du début de la pandémie par le gouvernement Johnson a été particulièrement critiquée dans le pays, ces élections locales se sont déroulées le 6 mai 2021, quelques mois après le début de la campagne de vaccination, qui a, elle, été perçue comme une réussite du gouvernement.
  28. Ces structures sont chargées de promouvoir le développement économique des territoires locaux et d’établir des stratégies à l’échelle des grandes agglomérations.
  29. Les City Deals sont des accords signés entre les municipalités (ou un groupe de municipalités) et le gouvernement central, afin de renforcer les compétences locales autour d’objectifs bien définis.
  30. Andy Pike, David Marlow, Anja McCarthy, Peter O’Brien et John Tomaney, « Local Institutions and Local Economic Development : The Local Enterprise Partnerships (LEPs) in England, 2010- », Cambridge Journal of Regions, Economies and Societies 8/1, 2015, p. 184-204 ; Danny MacKinnon, « Making Sense of the Northern Powerhouse », Revue Française de Civilisation Britannique 25/2, 2020, https://doi.org/10.4000/rfcb.5497.
  31. John Tomaney, « Limits of Devolution : Localism, Economics and Post-Democracy », The Political Quarterly 87/4, 2016, p. 546-552.
  32. Stephen Caunce, « Northern English Industrial Towns : Rivals or Partners ? », Urban History 30/3, 2003, p. 338-358.
  33. Peter Hall, Urban and Regional Planning, Londres, Routledge, 2002.
  34. Mark Bailoni, « Comprendre le vote pour le Brexit : de l’utilité d’une analyse territoriale », Hérodote 164, 2017, p. 43-64 ; Mark Bailoni, « Géopolitique de l’austérité – Mutations de l’espace politique et renforcement des clivages au Royaume-Uni depuis la crise de 2008 », cit.
  35. Cette formule, qui aurait été inventée par le think-tank Onward proche des conservateurs, fait référence à l’image de « l’homme de l’Essex » (« Essex Man »), issu d’un comté du Sud et considéré comme l’archétype de l’électeur de Margaret Thatcher dans les années 1980.
  36. UK2070 Commission, Make No Little Plans – Acting at Scale for a Fairer and Stronger Future, Rapport final, Londres, 2020.

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UK2070 Commission, Make No Little Plans – Acting at Scale for a Fairer and Stronger Future, Rapport final, Londres, 2020.

Auteur

Mark Bailoni est géographe, maître de conférences à l’Université de Lorraine. Spécialiste de géopolitique, il travaille essentiellement sur des enjeux politiques internes au Royaume-Uni (régionalismes, constructions identitaires, évolutions électorales, disparités territoriales), sur des processus d’aménagement et de renouveau de territoires anciennement industrialisés, et sur les conflits locaux liés aux projets d’aménagement et aux questions énergétiques.

Mark Bailoni is a geographer, senior lecturer at Université de Lorraine. He is specialist in geopolitics, and he works mainly on internal political issues in the United Kingdom (regionalism, identity construction, electoral developments, territorial disparities), on planning and renewal processes in formerly industrialised territories, and on local conflicts linked to planning projects and energy issues.

Pour citer cet article

Mark Bailoni, Le Nord de l’Angleterre : réalité géographique ou représentation géopolitique ?, ©2023 Quaderna, mis en ligne le 31 octobre 2023, url permanente : https://quaderna.org/6/le-nord-de-langleterre-realite-geographique-ou-representation-geopolitique/

Le Nord de l’Angleterre : réalité géographique ou représentation géopolitique ?
Mark Bailoni

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