a multilingual and transdisciplinary journal

TOUS LES NUMÉROS

# 06 Nord magnétique

À la conquête du pôle Nord : la tragédie médiatique de l’expédition Italia (1928)

Abstract

This article discusses the importance of the media and artistic narration in the reception of polar expeditions by analyzing the case of the 1928 Italian-Norwegian expedition, called Italia. Undertaken by zeppelin and commanded by fascist general Umberto Nobile, this expedition aimed to establish the first permanent colony at the North Pole. The press and intellectual circles of the time welcomed the exploration as a celebration of Italian genius that had managed to establish itself where no other man had ever set foot. However, it was in actuality a tragedy, with an accident on the ice pack, the loss of half of the crew, a makeshift shelter on the ice floe for a month, and the poetic disappearance of Roald Amundsen in the northern mists. These events contributed to defining the legendary character of an expedition that shows to what extent the narrative of the imaginary voyage is important in the construction of the reception of polar expeditions.

Résumé

Cet article montre limportance de la narration médiatique et artistique dans la réception des expédition polaires, en analysant le cas spécifique de lexpédition italo-norvégienne Italia de 1928. Accomplie en dirigeable et commandée par le général fasciste Umberto Nobile, cette exploration aurait dû établir la première colonie permanente au pôle Nord. La presse et les cercles intellectuels de l’époque accueillent l’exploration comme la célébration du génie italique qui arrivait à s’établir là où aucun autre homme n’avais jamais pu mettre ses pieds. Ce fut cependant une véritable tragédie : un accident sur le pack, la perte de la moitié de léquipage, un abri de fortune sur la banquise pendant un mois et la poétique disparition de Roald Amundsen dans les brumes du Nord. Ces événements ont contribué à définir le caractère légendaire d’une exploration qui montre à quel point le récit du voyage imaginaire est déterminant dans la construction de la réception des expéditions polaires.

Texte intégral

PDF

sotto a me, infinito e cerulo, il Baltico screziato di ghiacci.

(Cesco Tomaselli, Il Corriere della Sera, 5 mars 1928)

Durant plusieurs siècles, l’exploration du pôle Nord a attiré de nombreuses expéditions vers l’Arctique et leur récit a favorisé l’amplification médiatique de ces voyages polaires. Devenus des légendes de l’imaginaire moderne et contemporain, ces derniers sont nourris à la fois par les récits réels de ces aventures polaires (comme les carnets de voyage) et par les discours publics internationaux qui les accompagnent (comme les articles de journaux).

La modalité de narrativisation de ces expéditions joue un rôle majeur dans leur perception par le public. Son importance apparaît déjà dans les premiers mots utilisés par le journaliste Cesco Tomaselli pour décrire son voyage arctique, mots qui se trouvent en exergue de cet article : « en dessous de moi, infinie et céruléenne, la Baltique tachée de glace ». Avec cette expression, plus empreinte du langage poétique que de la chronique dont elle est issue, le journaliste Tomaselli inaugure sans le savoir une série d’articles au sujet d’expéditions polaires écrits pendant la plus grande catastrophe italienne de l’histoire de l’exploration arctique.

Le récit de Tomaselli dévoile deux aspects non encore étudiés de cette exploration, à savoir la nature ambivalente du discours médiatique qui a été employé pour la décrire et l’impact de ce voyage sur les productions culturelles italiennes et européennes. Cet article montrera ainsi l’importance de la narration médiatique et artistique sur la réception de l’expédition italo-norvégienne Italia de 1928 à travers une étude des mythèmes et du discours journalistique.

Accomplie en dirigeable et commandée par le général Umberto Nobile, cette exploration aurait dû établir la première colonie permanente au pôle Nord en étendant la puissance coloniale de l’Empire italien guidé par Benito Mussolini jusqu’au bout du monde 1 , et cela à une époque où l’attrait envers le pôle Nord commençait à se transformer en intérêts économiques et où l’Arctique devenait une aire géopolitique stratégique 2 . En principe, tant la presse que les cercles intellectuels ont accueilli l’exploration comme la célébration du génie italique qui arrivait à s’établir là où personne n’avait jamais pu le faire. Ce fut cependant une véritable tragédie : un accident sur le pack, la perte de la moitié de l’équipage, la « tenda rossa » – un abri de fortune installé sur la banquise pendant un mois – ainsi que la disparition tragique de Roald Amundsen parti à la recherche de rescapés dans les brumes du Nord. Ces événements ont contribué à définir le caractère légendaire d’une exploration qui montre à quel point le récit du voyage imaginaire est déterminant dans la construction de la réception des expéditions polaires.

Dans cet article, nous analyserons le discours élaboré par les productions culturelles de l’époque pour raconter le voyage et l’échec de la mission Italia afin de comprendre sa réception. Pour ce faire, nous étudierons d’abord le contexte historique et culturel dans lequel ce projet arctique a vu le jour pour saisir les enjeux géopolitiques qui ont caractérisé les modalités du voyage. Ensuite, nous montrerons l’apport de la littérature à la question de la représentation du voyage polaire et de la diffusion auprès d’un large public. Enfin, nous étudierons le discours médiatique construit autour de la mission depuis son départ, de façon à montrer à quel degré sa réception s’est transformée lors de l’échec de l’expédition.

I. L’héroïsme polaire italien : un enjeu géopolitique

La contextualisation culturelle et historique de cette exploration permet d’en comprendre, au moins en partie, la transformation de sa réception ainsi que sa contribution à l’élaboration d’un imaginaire du pôle Nord en Italie. En effet, l’analyse de l’aventure de Nobile ne montre pas seulement la formation de certaines caractéristiques du mythe établi autour de l’expédition du dirigeable Italia, mais aide également à comprendre les transformations de l’imaginaire polaire dans ce même cadre culturel.

Umberto Nobile était un ingénieur militaire de l’armée italienne dans les années 1920 et il appartenait à l’élite fasciste malgré ses positions socialistes. Nobile était, d’un point de vue politique, un personnage peu apprécié, mais il était également considéré comme l’un des ingénieurs italiens les plus compétents de son époque 3 , probablement le seul à pouvoir réaliser ce genre de mission. Si la position politique du protagoniste de l’expédition est nécessaire pour comprendre les premières productions culturelles réalisées au sujet du voyage, les raisons qui le motivèrent sont également décisives pour comprendre l’imaginaire que cette aire géographique inspirait.

Durant les premières années de l’Italie fasciste, Mussolini cherchait à établir et à consolider un nouvel empire colonial pour renforcer son pouvoir politique. Au moment de l’expédition, divers territoires d’Afrique et d’Asie étaient déjà devenus des colonies et des tutelles italiennes, tandis que le continent américain était géographiquement trop distant pour représenter un intérêt expansionniste réalisable. Les enjeux géopolitiques de l’époque rendaient presque nécessaire de s’orienter vers d’autres territoires et, éventuellement, de le faire sans altérer les équilibres internationaux déjà instables qui avaient suivi le Traité de Versailles (1919). Dans un tel contexte, la conquête du pôle Nord se présentait comme une expansion vers un endroit idéal et idéalisé, puisqu’il s’agissait d’une terre convoitée depuis plusieurs années, d’un lieu mythique et inaccessible qui avait déjà vu plusieurs tentatives de conquête échouer.

La mission de l’Italia avait une visée facilement exploitable en termes médiatiques, car l’équipage devait rejoindre le pôle par la voie aérienne, descendre sur la banquise et établir ainsi un record arctique italien. Au regard de cette dimension pionnière de la mission se situait justement un élément déterminant de la création du mythe du héros polaire : à la différence des expéditions précédentes qui avaient tenté d’accéder au pôle Nord sans y parvenir, Nobile avait une possibilité de plus de devenir un héros polaire, car il n’était pas simplement question d’atteindre le pôle Nord, mais aussi d’y rester pour s’y installer et étendre la frontière de l’empire colonial. La réussite de cette mission inouïe aurait permis au régime fasciste de s’approprier une région du monde déjà chargée d’une signification héroïque dans l’imaginaire populaire. Car il ne faut pas oublier que, lors du voyage de Nobile, l’Arctique est une zone explorée depuis plusieurs siècles, mais sans que personne ne soit encore parvenu à atteindre le Nord. En conséquence, les récits de voyage, les légendes qui se sont créés autour de leurs échecs ainsi que l’intérêt de la presse ont augmenté la portée mythique de ces explorations.

Pour expliquer ce point, il est nécessaire de recourir au cadre théorique des mythèmes – ces unités narratives récurrentes dont la présence textuelle est attestée dans des récits élaborés à plusieurs époques et au sein de cultures différentes 4 . Le mythème de l’héroïsme n’est pas nouveau dans la description des voyages vers le Nord : il s’active dans des narrations polaires telles que le récit de voyage Fram over Polhavet. Den norske polarfærd (1896) de Fritjof Nansen et My Attainment of the Pole (1913) de Frederick Cook 5 .

Ce mythème est resémantisé selon les contextes de production et de réception, car, à chaque occasion, il est associé à différents aspects. Dans le cas de cette expédition fortement politique et nationaliste, et étant donné la période historique ainsi que le contexte culturel pendant lesquels elle s’est développée, le mythème de l’héroïsme se définit davantage à travers les notions de « masculinité », de « génialité » et de « pionnier ». Le caractère novateur de l’expédition contribue à définir cet héroïsme : le discours construit par la presse sur le général Nobile indique comment il aurait dû être le « premier » à poser physiquement le pied sur le pôle, alors que les explorations précédentes s’étaient limitées à le survoler ou à l’approcher. Les récits arctiques constituent une typologie textuelle dans laquelle les attributs du mythème de l’héroïsme investissant normalement la figure de l’explorateur s’associent facilement au mythème de l’Arctique. Il est possible d’identifier un certain nombre d’attributs relatifs à ce mythème tels que la « force », l’« exploit », l’« aventure », les « péripéties », le rapport aux « éléments naturels » et le « voyage sans retour ». La narration ne fait que donner un contexte à ces réseaux sémantiques déjà implicites dans la représentation du personnage : la figure de l’explorateur arctique devient populaire dans les productions culturelles, car elle réactive certaines caractéristiques du héros classique déjà présentes dans des récits épiques tels que celui du voyage déraisonnable d’Ulysse. C’est ainsi que l’explorateur arctique incarne la figure du héros, car il défie sa propre nature humaine pour accomplir un voyage qui n’a jamais été tenté auparavant. C’est un voyageur qui connaît la date de son départ, mais ignore celle du retour. Il suit sa soif d’aventures et devient le protagoniste d’innombrables péripéties qui le portent à se confronter aux éléments naturels, tout en aspirant toujours à être le premier à accomplir ce genre de mission.

Si le mythème de l’héroïsme polaire associé à la figure de l’explorateur devient l’un des archétypes des productions culturelles de l’imaginaire nordique, sa réactivation dans le contexte italien de la fin des années 1920 n’est pas à sous-estimer. Il est en effet nécessaire de comprendre dans quelle mesure l’intérêt géopolitique pour le pôle Nord et le mythème de l’héroïsme arctique correspondent partiellement au mythe du héros prôné par la propagande fasciste : l’homme fort – le soldat en l’occurrence – qui défie et vainc la nature, un capitaine qui devient le protagoniste d’un exploit mondial réaffirmant la supériorité du peuple italien sur le reste du monde. Tous les mots d’ordre utilisés par le régime se trouvent dans cette formule, ce qui montre à quel point l’acte de Nobile était, outre scientifique, à la fois politique et médiatique.

II. La légende arctique : exploration réelle ou imaginaire ?

Ce qui rendait ce voyage surprenant, c’était surtout sa conception et sa finalité novatrices. En effet, Nobile n’ambitionnait pas de mener des explorations géographiques ou de redessiner la carte de la région arctique comme cela avait été le cas auparavant, entre autres lors de l’exploration similaire du Norge de Roald Amundsen (1926). Le voyage de l’Italia semblait plutôt tiré de l’un des romans d’anticipation, situés dans l’Arctique et publiés dans les décennies précédentes par l’écrivain Emilio Salgari 6 , tant son but et ses techniques étaient particuliers.

L’expédition Italia avait ainsi pour mission d’installer une base arctique au pôle Nord afin de créer un avant-poste en connexion perpétuelle avec le reste du monde. Cela était possible grâce à l’emploi d’une technologie exclusive de création récente : la radiotélégraphie à ondes courtes 7 développée par Guglielmo Marconi et qui lui avait valu le prix Nobel de physique en 1909. Le voyage de l’Italia – dont le nom n’était pas sans faire remarquer sa nature patriotique – aurait alors fonctionné comme une opération de propagande pour célébrer l’incroyable victoire du génie italique en justifiant la conquête politique d’un territoire colonial dans le Nord lointain. D’un point de vue géopolitique, ce premier avant-poste polaire aurait garanti à l’empire italien le contrôle des (éventuelles futures) communications entre le pôle et le reste du monde, ainsi que certains avantages scientifiques que Nobile avais mis en avant pour justifier la mission 8 . D’un point de vue médiatique, les journalistes italiens auraient été les seuls capables de recevoir et de déchiffrer les informations en provenance de la mission la plus héroïque effectuée en Arctique, ce qui en faisait des intermédiaires fondamentaux dans la diffusion de ce récit polaire.

Le rôle joué par les médias dans la valorisation du voyage doit en effet être considéré. Le voyage de l’Italia bénéficiait d’une visibilité maximale afin d’encourager le public à suivre les phases de la découverte polaire qui devaient être diffusées presque en direct. Cette expédition était pensée pour être racontée en temps réel par deux journalistes officiellement choisis par Nobile, Cesco Tomaselli (du journal national majeur Il Corriere della Sera) et Ugo Lago (du journal du régime Il Popolo d’Italia), qui avaient la tâche de transmettre par la radio des articles cryptés prêts à être publiés après avoir été décodifiés 9 . En termes de narratologie, cette démarche était nouvelle puisqu’elle permettait d’anticiper deux nouvelles techniques narratives : l’une plus proche de la chronique et des faits divers et l’autre, du storytelling fictionnel, à savoir le reportage radio et le roman radiophonique 10 . D’une part, pour la première fois, une exploration à la limite de l’inconnu pouvait être suivie en direct par le public – ce qui augmentait de façon exponentielle son intérêt et stimulait son imagination en assurant un certain pouvoir à la narration. D’autre part, la collaboration avec la presse était nécessaire pour une raison économique : pour soutenir le coût exorbitant de l’expédition en dirigeable, elle aurait permis de rembourser les dépenses par la concession des droits vendus à la presse du monde entier 11 . En d’autres termes, les médias italiens étaient des sponsors importants de la mission qu’ils devaient eux-mêmes raconter et diffuser.

Le récit polaire en direct constituait une narration nouvelle et d’avant-garde, tandis que la narration arctique était désormais un genre apprécié par le lectorat italien. Cela s’explique par le fait que l’expédition du dirigeable n’était pas la première mission italienne qui avait intéressé les écrivains : d’autres voyages avaient posé les bases de la création d’un imaginaire italien à partir de l’exploration de l’Arctique, et leur version romanesque avait attiré un public considérable. Parmi ces voyages inspirant la littérature, le plus important fut réalisé en 1899 par le duc Amedeo degli Abruzzi, un membre de la famille royale de Savoie. Avec son navire brise-glace au nom boréal de Stella polare – « étoile polaire » –, le Duc avait exploré des terres arctiques encore inconnues, permettant d’avancer la latitude des terres conquises à 86°34, soit au-delà de la limite précédemment établie par le Fram de Fridtjof Nansen en 1895 12 .

L’impact de ces voyages réels se retrouve dans la production romanesque de cette période. Un tel transfert est possible parce que, dans l’horizon d’attente du public italien, l’association entre voyage réel et imaginaire vers le pôle avait déjà eu lieu. La corrélation avait déjà été établie depuis la première expédition italienne, en 1899, à l’époque où l’auteur majeur de romans d’aventures, Emilio Salgari, avait composé un roman intitulé La Stella polare e il suo viaggio avventuroso [L’Étoile polaire et son voyage aventureux], un compte rendu fictif à partir d’articles parus dans des journaux au cours des mois qui ont précédé la fin de l’expédition. Pour comprendre la tension entre univers romanesque et voyage réel, il suffit de penser que le roman avait été publié en toute hâte justement pendant le voyage de retour de l’explorateur afin de garantir l’exclusivité du récit fictionnel ; toutefois, l’œuvre de Salgari avait été dénigrée par l’explorateur lui-même au moment où il avait voulu publier son propre récit de voyage. Cette anecdote révèle le chevauchement entre l’expérience de l’Arctique et les impressions racontées par la littérature. Cela est vrai jusqu’à la première décennie du vingtième siècle (donc avant l’expédition de l’Italia), comme le montre le paratexte des œuvres qui s’attachaient à raconter l’Arctique entre le XIXe et le XXe siècle.

Fig. 1 : Couvertures de la traduction italienne du récit de voyage de Fritjof Nansen et des romans polaires d’Emilio Salgari.

Fig. 1 : Couvertures de la traduction italienne du récit de voyage de Fritjof Nansen et des romans polaires d’Emilio Salgari.

L’exemple le plus significatif se trouve dans les couvertures de trois publications de nature différente sorties à la même période : dans la traduction du récit de Fritjof Nansen, Fra i ghiacci e le tenebre (1900) (litt. Entre les glaces et les ténèbres et publié en français sous le titre de Vers le pôle), paru en 1897, ainsi que dans les deux romans d’aventures de Salgari, Al polo Australe in velocipede (1895) et Una sfida al Polo (1909). Si ces deux dernières publications sont des œuvres de fiction inspirées par de vraies expéditions polaires, mais totalement basées sur des faits non réels, le livre de Nansen est un compte rendu de son voyage avec le Fram. Graphiquement, la maison d’édition Voghera de Rome présente au public l’exploit de Nansen à travers le même appareil paratextuel que les œuvres de fiction publiées par la maison d’édition Paravia de Turin, et ce bien que les éditeurs, le lecteur idéal et la finalité narrative soient différents (fig. 1).Dans ces productions culturelles, on retrouve un même emploi des « couches discursives de savoir 13  » telles que la représentation de la neige, de la blancheur, de la glace, qui fonctionne selon un principe de fictionnalisation du Nord. La similitude entre les codes employés dans la construction du paratexte d’un récit de voyage et des romans d’aventures suggère que, au tournant du XXe siècle, le public idéal de ces publications était le même et que la promotion des récits polaires se faisait à travers l’intérêt du jeune public. Ces paratextes comportent non seulement une intégration visuelle du récit de voyage réel au voyage d’aventure romanesque, mais aussi une reterritorialisation du récit de voyage vers le pôle Nord et une resémantisation des codes qui lui sont normalement associés – y compris l’héroïsme. La transformation est telle que le lecteur idéal visé par l’éditeur de la traduction Fra i ghiacci e le tenebre ne correspond plus à celui visé par son auteur dans la version originale : dans le contexte éditorial italien du début du XXe siècle, l’écart entre voyage réel et imaginaire est réduit, car ces publications semblent s’adresser à un même public jeune.

Dans le cas du récit du dirigeable Italia, il ne s’agissait pas seulement de raconter la conquête de la terra incognita et de réactiver tous les mythèmes ainsi que les codes employés dans les représentations précédentes ; le voyage de Nobile constituait un véritable voyage futuriste utilisant, outre la meilleure technologie de l’époque, des instruments innovants comme la radio et le dirigeable. Cet ensemble d’instruments intéressait le public (davantage le jeune spectateur) par sa nature innovante au point qu’il avait fait l’objet d’une publicité appropriée dans la presse internationale 14 . Le voyage (réel) proposé par Nobile en 1928 concrétisait les attentes du public du roman d’aventures et de science-fiction rendu célèbre par Jules Verne et Emilio Salgari dans les décennies précédentes, car cette expédition en dirigeable avait une portée romanesque.

Dans cette histoire, la littérature fonctionne comme un intermédiaire aussi à un autre niveau. Pour garantir que l’intention politique du voyage trouve un écho positif auprès du public, une stratégie littéraire impliquant les auteurs majeurs de l’époque semble se configurer 15 , au point que les artistes deviennent des acteurs de cette littérarisation de l’expédition polaire.

Depuis quelques années, Gabriele D’Annunzio réfléchissait à sa possible implication artistique dans la mission de Nobile. Il finit par se proposer comme volontaire pour transformer le but scientifique et politique de la mission en une performance artistique : dans un élan d’enthousiasme, ce poète envisage non seulement de survoler le pôle Nord en dirigeable, mais aussi de s’y enfoncer et d’y rester pour toujours. Dans sa correspondance, le poète, qui « intend[e] rimanere al Polo [entend rester au Pôle] 16  », suggère, à ses compagnons de voyage éphémère, de le laisser au Pôle pour qu’il devienne lui-même l’axe de rotation de la Terre. Bien que ce délire du surhomme n’ait jamais été assouvi, cette anecdote littéraire souligne ce que devait être l’attrait magnétique du pôle Nord dans l’imaginaire artistique italien construit autour de l’expédition de Nobile.

Il n’est pas surprenant de constater que, dans ce contexte déjà particulièrement narrativisé, le discours médiatique sur le voyage se construit, dès le début de l’expédition, à partir d’un langage rempli de similitudes avec la littérature d’exploration dédiée au divertissement du public. Le résultat d’une telle opération est qu’une partie importante des sources produites à l’époque contribue à une représentation fantastique du voyage réel d’Umberto Nobile.

Les chroniques de l’époque prolongent la construction de la conquête polaire dans le cadre d’un imaginaire littéraire. À la suite de ces articles publiés durant l’expédition, en 1929, Cesco Tomaselli publie rapidement un compte rendu de son expérience de voyage. Il choisit le titre d’Inferno bianco [Enfers blancs] et, par cette stratégie paratextuelle, il associe les caractéristiques de la nature arctique au sentiment de peur et à l’idée de tragédie. Dans l’incipit, Cesco Tomaselli définit d’emblée l’exploration de Nobile comme un « grand roman polaire » – ce qui suggère d’interpréter le voyage du général par le prisme littéraire. Cela montre que, aux informations publiées dans la presse sur les événements réels qui se sont déroulés pendant le vol, les contemporains ont ajouté des connotations typiques de l’esthétique romantique, en favorisant la fluidité de la construction d’une expédition à la fois réelle et imaginaire. Comme les textes de Tomaselli le montrent, cette construction n’est pas élaborée a posteriori avec un recul temporel, elle se développe au contraire à la même époque où ces faits se déroulent :

La verità è che l’impresa nacque e si sviluppò in una atmosfera di romanticismo, e i romantici sono raramente dei buoni dialettici: preferiscono rispondere con l’azione. I diciassette uomini [dell’equipaggio] giustificavano la loro partecipazione con formule prese in prestito dalla letteratura e dalla poesia 17

Ces mots exprimés par le chroniqueur officiel de l’expédition dévoilent que la construction sublime du voyage arctique était volontaire et que celle-ci trouvait ses racines dans l’imaginaire littéraire de l’époque. La littérature arctique contribuait donc à valoriser le voyage réel : ces éléments du contexte de réception donnent de manière explicite un aperçu de la future représentation de l’expédition en tant qu’échec héroïque. Toutefois, même si l’expédition échoue, la dimension héroïque de l’échec (une conséquence de l’énorme difficulté d’atteindre l’objectif visé) pourrait renforcer la nature patriotique du projet, du moins dans un premier temps.

III. La construction médiatique de l’exploration

Le métadiscours de la presse joue également un rôle dans la création de l’imaginaire de cette exploration. L’article de Cesco Tomaselli, paru dans le Corriere della Sera le 12 juillet 1928, est introduit par ces brèves lignes :

Riceviamo soltanto ora questo radiotelegramma del nostro Inviato […] Cesco Tomaselli, documento del quale non abbiamo bisogno di rilevare l’importanza ai nostri lettori, giacché si tratta del primo racconto organico e particolareggiato della catastrofe dell’Italia e delle penose vicende che seguirono 18

Ce discours contribue au sensationnalisme des informations en provenance du pôle et ne fait que catalyser davantage l’intérêt du public. Le regard de la presse est calibré, ce qui nous donne une idée de l’attention du public pour cette histoire. Pour cela, de nombreux articles portent la mention « per radiotelegramma dal nostro inviato speciale 19  » [par radiotélégramme de notre envoyé spécial] – ce qui ne fait que renforcer cette dynamique.

L’expédition Italia est initialement décrite par la presse comme une aventure épique : les termes liés au champ lexical de l’héroïsme reviennent dans les articles de 1927-1928 qui racontent la préparation et les premières phases du voyage 20 . Cette même dialectique se répand et s’amplifie dans d’autres médias ; elle se trouve notamment dans le court-métrage de propagande réalisé par l’Institut Luce (1927) qui définit l’événement à travers le titre suggestif de Eroiche gesta dell’Artide [Actes héroïques dans l’Arctique.

La médiatisation du voyage joue un rôle central dans toutes les phases de l’exploration. Pendant la préparation de l’expédition, il devient important de pouvoir justifier un deuxième voyage en dirigeable après la précédente mission du Norge – car cette expédition commandée par Amundsen ne s’était déroulée que deux ans auparavant, en 1926 21 . Il était nécessaire que l’opinion publique établisse l’importance de l’expédition de l’Italia et s’y intéresse davantage, sans quoi la conquête fasciste n’aurait pas eu la publicité attendue et l’avant-poste polaire n’aurait pas représenté cet intérêt géopolitique espéré par le régime. Le pôle Nord risquait d’être moins « magnétique » pour l’opinion publique et il fallait galvaniser les esprits autour de l’affaire. Les premiers articles du journaliste Cesco Tomaselli portent sur cette construction :

Scenderà al Polo, generale? – Desidero stabilire sin da ora che il viaggio ha per mèta la regione polare e non si esaurisce col puro e semplice raggiungimento del Polo. Così si dica per l’eventuale discesa. Può darsi che le condizioni atmosferiche mi permettano di effettuare la discesa al Polo, quantunque io ritenga di conseguire lo scopo anche se essa avvenisse nella regione circostante. D’altra parte, una discesa sui ghiacci è cosa talmente nuova, per non dire straordinaria, che io debbo fare ogni sforzo perché riesca, senza preoccuparmi se discenderemo o no sul punto matematico. Sono tanto convinto che la cosa sia difficile, benché tutto sia stato studiato ed esperimentato, che ammetto perfino la possibilità di un insuccesso. Chi scenderà sul ghiaccio – Chi scenderà ? – Il primo sarò io, naturalmente, – esclama Nobile, accentuando il tono della voce sul « naturalmente » 22

L’expédient développé par Tomaselli vise à augmenter le pathos du récit de voyage. Pour ce faire, le caractère innovant de l’expédition est mis en avant : celle de Nobile consiste en « une descente sur glace […] si nouvelle, pour ne pas dire extraordinaire » au point que même son protagoniste (celui qui a créé le dirigeable) n’est pas en mesure d’en prévoir l’issue. L’accent est mis sur l’infime chance de réussite afin de rendre l’exploit encore plus exceptionnel et le trait de « pionnier » qui caractérise le mythème de l’héroïsme émerge dans cet extrait – là où Nobile affirme fièrement qu’il sera le premier à poser le pied sur la glace.

Bien que ce discours soit employé depuis longtemps, à mesure que l’aventure arctique progresse, il change. La médiatisation de l’exploration contribue à transformer rapidement l’action héroïque en une défaite inévitable – formulée par la presse internationale en termes tragiques et définie comme la lutte impossible de l’homme contre les mystérieuses terres polaires 23 . La presse norvégienne semble suivre l’aventure de Nobile avec attention. Les journaux norvégiens s’y intéressent de si près que, selon les archives de la Natjonalbiblioteket, quelque six cents articles lui ont été consacrés entre 1925 et 1929, dont 266 pour la seule année 1928. Bien que les journaux norvégiens aient réservé un accueil très positif aux débuts de la mission, celui-ci s’est transformé au fur et à mesure que la situation de l’Italia évoluait. Dans le Nybrott, l’échec de l’action de Nobile est comparé au succès de la mission Norge d’Amundsen deux ans plus tôt :

Og Amdundsen var en helt. Ikke bare overfor den store almenhelt, men alltid og overalt. Tusenvis er da vært oppe i. Både hans og kameratenes liv har stått i fare. Men Amundsen har vært helten. Han har vært situasjonens herre, og han har reddet sine kamerater så langt som det har stått i menneskelig makt. Det er ikke enhver som kan gjøre det i de øjeblikke de står ansikt til ansikt med den visse undergang. Det var et underligt treff at denne mann skulde få en mann som Umberto Nobile til reisefelle over Nordpolen 24

L’écart entre l’expédition du Norge et de l’Italia se joue intégralement sur l’emploi d’un lexique héroïque et sur la différence entre l’attitude du commandant norvégien et populaire Roald Amundsen et du nouveau général Umberto Nobile qui se retrouve impliqué dans une mission au pôle Nord presque par hasard. Si cet écart peut être partiellement justifié par des accents nationalistes, il n’en est pas de même pour les autres articles parus dans la presse italienne.

En Italie, quelques jours seulement après le premier article mentionné ci-dessus, le journaliste Tomaselli indique que :

Il mistero ha sollevato lentamente il suo velo sul dramma dell’Italia. Giorno per giorno, attraverso gli epici messaggi che Nobile detta agli spazi, noi andiamo ricostruendo la straordinaria vicenda. Ora sappiamo che la causa che determinò la catastrofe fu la stessa che rese difficilissimo il volo transpolare del Norge e qualche volta anche i viaggi dell’Italia: le formazioni di ghiaccio sull’involucro. […] Il mattino del 25 maggio l’Italia navigava faticosamente lottando contro due nemici formidabili: il vento e la nebbia 25

Le ton de cet article se caractérise par la présence du mythe du mystère et du danger que l’on a tendance à associer dans les contes polaires aux forces de la nature (dans cet extrait, le vent, le brouillard et la glace). Alors que, dans l’article précédent (celui du 12 juillet), Tomaselli avait laissé la mission être racontée à travers les mots du général, ici, le journaliste prend le rôle du narrateur et utilise des adjectifs tels que « difficilissimo » [« très difficile »] pour rendre compte de la nature du voyage. Tomaselli poursuit ainsi sa chronique de la tragédie :

Alle 10.27, l’Italia cominciò a precipitare… la caduta non poté essere arrestata, malgrado ogni mezzo, dinamico o statico, fosse stato tentato. Fu questione di due minuti. Ma oramai nessuna forza umana, neppure quella dell’uomo, che l’aveva ideata e foggiata, poteva arrestare la magnifica macchina. L’Artide l’aveva fiaccata. Essa non reggeva più e calava a piombo sul bianco deserto come un grande uccello ferito. [..] Un istante dopo nove uomini si trovavano rovesciati sulla neve, pesti e storditi. [..] Ma che avveniva, intanto? La catastrofe compiva il suo ciclo. […] Vengono i giorni del silenzio. Quei giorni inenarrabili in cui non vi era paese al mondo ove non si mormorasse con speranza il nome dell’Italia. [..] uomini i cui nomi saranno segnati nella storia degli eroismi disperati 26

À la catastrophe rapide qui conduit à l’accident et à la dispersion des hommes sur le pack succèdent la lenteur de l’opération de sauvetage et le manque d’informations qui attirent davantage l’attention des journalistes du monde entier, lesquels arrivent en masse pour rendre compte des aspects tragiques de la mission polaire. Le ton utilisé par Tomaselli, qui est chargé de rhétorique, ne laisse pas de côté les considérations sur l’héroïsme de l’équipage. Cependant, cet héroïsme est désormais désespéré, les protagonistes sont décrits comme des rescapés dont la seule action possible est de faire face à l’hostilité de la nature de l’Arctique. Tomaselli met en avant à quel point ce milieu épuise ces hommes, ce qui ne fait que renvoyer à leur dimension humaine et vulnérable.

L’évolution du discours dans les journaux montre à quel point la réception de ces aventures persiste, mais se transforme. En observant les publications d’un des hebdomadaires majeurs de l’époque, La Domenica del Corriere de Milan, on peut saisir les effets visuels de cette transformation (fig. 2).    

Fig. 2 : L’évolution de la représentation de l’expédition Italia dans La Domenica del Corriere en 1928, 1961 et 1964.

Fig. 2 : L’évolution de la représentation de l’expédition Italia dans La Domenica del Corriere en 1928, 1961 et 1964.

Entre 1928 et 1964, La Domenica del Corriere dédie la couverture de trois numéros à l’expédition de l’Italia (1928, 1961, 1964). Dans le numéro 18 datant de 1928, l’illustration de la couverture par Beltrame offre une image positive du voyage à travers un premier plan sur le dirigeable lancé au-dessus de la ville de Vienne (lors de son voyage vers le pôle). Le choix de la perspective aérienne sur le zeppelin renforce l’idée de l’impressionnant exploit que représentait la mission. La légende de l’illustration induit également la perception d’une expédition victorieuse par l’usage d’un lexique mélioratif : « Sulla via del Polo. Durante la prima tappa dell’Italia, felicemente compiuta, da Milano a Stolp 27  ». D’ailleurs, ce lexique et ce système de représentation employés lors de la réalisation de cette couverture rappellent ceux du numéro 21 du 23 mai 1926, consacré à l’expédition Norge (fig. 3). À cette occasion, Beltrame représente un groupe d’ours blancs sur la banquise observant l’arrivée du dirigeable, d’où sont lancés les drapeaux norvégien, italien et américain. La légende célèbre l’importance de l’événement : « Una data gloriosa nella storia dell’umanità: il Polo Nord, per la prima volta nei secoli, è sorpassato dal Norge, meraviglia del genio italiano. Nobile, Amundsen ed Ellesworth lanciano le bandiere italiana, norvegese e americana 28  ». Ces images sont prises avant l’incident du pack, à l’époque de la renommée internationale du général et de sa grande confiance en l’expédition.

Fig. 3 : L’expédition du Norge, La Domenica del Corriere, 23 mai 1926.

Fig. 3 : L’expédition du Norge, La Domenica del Corriere, 23 mai 1926.

Cependant, la représentation visuelle du voyage change en couverture du numéro du 13 janvier 1961 (rédigé plusieurs décennies après la mission) qui est accompagnée par l’indication « La catastrofe della spedizione Nobile. Al ritorno dalla trasvolata polare l’aeronave precipita sulla banchisa 29  ». L’image de Walter Mellas dépeint le moment de l’impact du zeppelin sur la glace et illustre la fin des membres de l’équipage jetés hors du véhicule. La même scène, quoique sous un angle différent, est choisie par Domenica del Corriere en 1964. Le numéro du 23 février 1964 est publié à l’occasion de la réouverture de l’affaire Nobile au tribunal afin d’établir la culpabilité du général qui, premier à avoir été secouru, avait abandonné ses camarades. Cette scène représente le moment qui suit la collision du dirigeable sur le pack, mais y ajoute la souffrance des dix rescapés. Comme dans les images de couvertures précédentes, le dirigeable occupe une part prépondérante de la représentation, mais, cette fois, c’est un dirigeable déchiré qui s’écrase au sol. Cette couverture de Walter Molino, réalisée à partir des témoignages de l’un des survivants, représente au premier plan un homme souffrant, tombé à terre, dont les traits révèlent qu’il s’agit de Nobile, accompagné du chien qu’il avait amené en mission. Nobile est le seul personnage reconnaissable des cinq membres de l’équipage, qui ne sont que des corps tombant au sol ou des figures exprimant la souffrance qu’inspire la tragédie qui vient de se produire. Au bas de la couverture, dans un encadré est inscrite cette légende qui clarifie le caractère dramatique et nouveau de la situation : « Felice Trojani, uno dei superstiti del dirigibile Italia, rientrato in patria dopo una lunga assenza, rompe il silenzio a 36 anni di distanza, e narra la sua verità sulla tragica spedizione e sul caso Nobile » 30 . L’exemple de la Domenica del Corriere montre comment un même journal a radicalement modifié sa représentation de la même expédition polaire à différentes époques. Ce journal représente graphiquement le changement de perspective sur l’expédition (la place occupée par le dirigeable, les couleurs, les lignes), que ce soit dans le premier numéro qui précède de quelques mois la tragédie, au moment de l’impact du dirigeable sur la banquise et 40 ans après.

Il nous reste à comprendre quelles sont les causes de ce glissement sémantique.
L’importance de l’opinion publique dans la réception de cet exploit polaire était telle que l’histoire de l’expédition avait déjà été élaborée dans les journaux avant même que les survivants ne rentrent à Rome en 1928 31 . Plusieurs éléments distincts permettent la transformation de la perception du pôle Nord et le passage du récit héroïque à la narration tragique. Ce qui est particulier, c’est que ce sont justement tous ces éléments qui avaient été conçus pour faire de l’exploration une légende arctique.

D’une part, le magnétisme polaire, au sens physique du terme, relève d’un aspect technique. Les technologies utilisées pour réaliser la mission étaient des outils avant-gardistes pour l’époque et, précisément pour cette raison, ils étaient expérimentaux. Or, ils avaient été spécifiquement conçus pour un climat méridional et les équipements n’avaient jamais été testés auparavant, sauf dans le bassin méditerranéen et dans la zone africaine 32 . Toutefois, tant le magnétisme que le soleil de minuit altéraient le fonctionnement de ces équipements techniques, contribuant à la dispersion des ondes radio des survivants (ce qui, de facto, retardait les opérations de sauvetage). Un tel amateurisme et une telle inefficacité ne pouvaient qu’être exploités par la presse pour en donner une image grotesque, ce qui a contribué à la représentation tragi-comique des explorateurs italiens.

D’autre part, le magnétisme polaire, au sens métaphorique du terme (la fascination pour l’Arctique), relève d’un aspect médiatique. La grande médiatisation de l’exploit a également contribué à la stratégie sémantique du récit. Ce qui aurait dû être un nouveau record du monde du héros militaire qui descend sur la calotte polaire fut remplacé par des images concrètes de son échec. Les photographies des hommes moribonds et sauvés sur la banquise et celles de l’abri de la tente rouge ont rapidement fait le tour du monde. Notamment, l’image du général Nobile malade qui revient après un mois de lutte pour sa survie contribue à modifier la perception de cette expédition dans l’imaginaire italien 33 . À ce sujet, dans les pages du Corriere della Sera, on peut lire :

[Nobile] è seduto su di una bassa poltrona, la gamba fratturata, la destra, appoggiata a una sedia. Nel volto smagrito, sfigurato, rilucono di febbre gli occhi cerchiati. […] ci era apparso un uomo disfatto: la barba ispida, grigia, incolta, lo sguardo attonito, il volto contratto dalla commozione 34

Pour emprunter encore une fois les mots de Tomaselli, Nobile était défiguré, vieilli, émacié, ému, le regard perdu – connotations qui se heurtent à l’idée du héros imbattable et intrépide prônée par les productions culturelles. De plus, la presse (italienne et étrangère) commence à le considérer comme un personnage incompétent, à l’ego démesuré et ayant abandonné son équipage pour se sauver – car il est en fait le premier à avoir été secouru 35 .

Sans nouvelles certaines sur l’issue de l’expédition et avec l’attention du monde entier portée sur cette question, la narration du destin de l’équipage est laissée à l’imagination des journalistes qui, en quelques jours, se multiplient sur la station polaire pour diffuser dans leurs pays respectifs des détails non vérifiés du voyage. Ces mêmes récits créent rapidement les prémices d’une narration alternative : dans la tourmente des informations vraies et fictives, une partie de l’équipage est même accusée de cannibalisme à l’égard du seul membre suédois de l’expédition 36 .

Un dernier élément contribue à transformer l’héroïsme arctique de Nobile et à modifier la réception de cette exploration. Alors que Nobile disparaît et que son équipage reste seul sur le pack, un autre épisode vient catalyser l’attention internationale : Roald Amundsen, le vétéran de la quête polaire, part à la recherche de son ancien collègue. Sont ainsi proposées aux spectateurs deux représentations fortement contrastées de ces événements qui se déroulaient en même temps : leur écart est déterminant pour la réception. Le geste d’Amundsen qui meurt pour sauver Nobile (son collègue et rival) est interprété comme un acte noble et héroïque. La célébrité de l’explorateur norvégien facilite la diffusion de cette image qui reste la plus mémorable dans l’imaginaire étranger – comme en témoignent des productions plus contemporaines telles que le livre Amundsens sidste reise de Monica Kristensen (2017).

Ces éléments montrent que cet événement est souvent appréhendé par les contemporains à travers son échec et que cette réflexion sur l’insuccès de l’expédition devient une source inépuisable de commentaires, au point qu’au moins deux cents livres ont été écrits sur cette expédition depuis 1928 – sans compter le nombre d’articles, de documentaires, de films ou de blogs qui continuent à alimenter le débat et l’imaginaire sur cette malheureuse aventure polaire.

Conclusion

En 1978, à la mort d’Umberto Nobile, les principaux journaux italiens ainsi que la presse étrangère donnent une certaine attention au décès de ce « dernier héros du pôle Nord 37  », en rappelant les événements de la vie de l’ancien général fasciste et en le reconsidérant comme un héros de l’Arctique.

L’expédition polaire du dirigeable Italia n’a pas été un triomphe géographique ou scientifique, pas plus que la plupart des expéditions des XIXe et XXe siècles, mais elle a sans aucun doute été un succès médiatique international conçu comme un voyage stimulant la narration. Cette expérience polaire fut une expédition réelle, pourtant fortement façonnée par l’imaginaire littéraire qui a favorisé sa réception. À cet aspect s’ajoute l’apport des productions culturelles contemporaines à cette mission qui ont déterminé le caractère légendaire de l’exploit.

L’insuccès de l’expédition ne fut pas sans conséquence sur les narrations polaires, au point que l’exploit de Nobile semble avoir introduit une nouvelle manière d’envisager le danger du pôle. En analysant les productions culturelles de cette période, on trouve – à côté des publications destinées à susciter l’imaginaire adolescent et à associer la découverte du pôle à l’héroïsme et à l’aventure (comme cela avait été le cas les années précédentes) – des productions comme Nel regno della morte bianca [Au royaume de la mort blanche] (1929) du journaliste Luigi Motta. Cette anthologie à destination de la jeunesse est publiée l’année suivant l’expédition de Nobile et son titre montre un changement de la perception imaginaire italienne de la région arctique. La région polaire est proposée à travers une typologie de dangers qui ne relèvent plus de l’aventure et du voyage incroyable, mais de l’idée d’une exploration qui mène à la mort.

Les causes d’un tel glissement sémantique (évident dans les productions culturelles que nous avons analysées) ne peuvent être exclusivement recherchées dans l’échec du voyage de Nobile, car il ne fut pas le premier à ne pas réussir une mission de conquête du pôle Nord. La plupart des expéditions polaires précédentes avaient mis en avant les limites du voyage de découverte arctique, notamment l’expédition en ballon d’Andrée. Si la représentation de l’expédition Italia passe du voyage mythique à la tragédie annoncée, c’est en raison des fluctuations du discours journalistique, des productions culturelles et des intérêts politiques de cette affaire.

La production de livres et d’articles sur l’échec de l’expédition du dirigeable Italia a été telle que le protagoniste de l’histoire est lui-même devenu l’auteur des récits de l’expédition polaire. Après 1929, pendant plus de cinquante ans, Umberto Nobile écrit une vingtaine de textes, dont des livres et des articles, dans lesquels il ne cesse de défendre sa cause 38 . Ces livres ont toutefois été perçus comme une défense, une autre caractéristique qui n’appartient pas à un héros polaire, contribuant ainsi à représenter Nobile comme un anti-héros polaire.

Malgré ces fluctuations des productions culturelles et de la presse, les articles sur l’expédition italienne en dirigeable conservent des traits similaires. Les mythèmes employés pour relater les efforts des rescapés de la « tente rouge » relèvent de l’héroïsme, même si la valeur sémantique accordée à cette notion se transforme. En même temps, d’autres productions viennent complexifier ce mythème : les mémoires des survivants deviennent d’autres formes de récits qui se concentrent sur ces hommes protagonistes du voyage d’exploration polaire. Ils y sont décrits comme des personnages qui osent fournir un effort exceptionnel pour dépasser les limites du monde dit « civilisé », mais qui sont donc vaincus par la force de la nature.

De manière paradoxale, c’est au moment même où l’expédition Italia est assimilée à l’imaginaire littéraire qui se perd et où les récits dans la presse augmentent de manière exponentielle que le mythe de l’Italia est considéré par la presse comme un échec et comme une faillite. Tous les éléments qui avaient été conçus pour faire de l’exploration une légende arctique se retournent contre leurs créateurs, et la presse privilégie le récit tragique au récit héroïque. D’abord, le choix de raconter les phases de l’expédition en direct s’avère être une arme à double tranchant, car il permet de montrer immédiatement (visuellement et textuellement) au grand public l’homme battu par la nature et non le héros victorieux. Ensuite, la présence d’une technologie de pointe, comme la radio et le zeppelin, met en avant les limites d’un tel équipement dans les latitudes arctiques, soulignant le côté amateur de la mission plus que son caractère innovant. Enfin, la fascination de la presse internationale contribue à augmenter les spéculations des journalistes en même temps que l’image de la défaite arctique et de l’héroïsme tragi-comique inspire les productions culturelles réalisées dans les dernières décennies. À tous ces éléments s’ajoute le manque de soutien du gouvernement italien, qui n’a jamais défendu Nobile, mais l’a soumis, sur plusieurs décennies, à trois commissions d’enquête motivées par une raison évidente : le régime ne pouvait pas souffrir que la mission qui était censée faire de l’Italie une puissance coloniale soit utilisée pour dénigrer sa technologie et son inaptitude à l’échelle mondiale.

 

 

Notes    (↵ returns to text)

  1. Umberto Nobile, In volo alla conquista del segreto polare. Milan, Mondadori, 1928, p. 29.
  2. Frédérique Rémy, Histoire des pôles, Mythes et réalités polaires au XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Éditions Desjonquères, 2009.
  3. Voir à ce propos ce que Nobile écrit dans ses mémoires : Umberto Nobile, Posso dire la verità, Milan, Mondadori, 1945.
  4. Pour un approfondissement sur les mythèmes voir : Thomas Mohnike, « Narrating the North. Towards a theory of mythemes of social knowledge in cultural circulation », Deshima, 2020, p. 9-36.
  5. Voir les recherches sur les mythèmes de l’héroïsme réalisées par Thomas Mohnike et respectivement disponibles sur : https://mythemes.u-strasbg.fr/w/index.php/Res:1911_Nansen_In_Northern_Mists-6683-Hero-14252-hero ; https://mythemes-prod.app.unistra.fr/w/index.php/Res:1913_Cook_My_Attainment_of_the_Pole-514-Hero-852-hero ; https://mythemes-prod.app.unistra.fr/w/index.php [consulté le 21 septembre 2022].
  6. Emilio Salgari, Nel paese dei ghiacci, Turin, Paravia, 1896 ; Al Polo Nord, Gênes, Donath, 1898 ; La Stella Polare e il suo viaggio avventuroso, Gênes, Donath, 1901 ; Una sfida al Polo, Florence, Bemporad, 1909.
  7. Claudio Sicolo, Il dirigibile Italia: la sfida della radio al Polo Nord, I libri del Borghese, 2018, p. 113.
  8. Umberto Nobile, L’Italia al Polo Nord, Milan, Mondadori, p. 70.
  9. Il est important de souligner que les deux journalistes, Cesco Tomaselli et Ugo Lago, partent dans les premiers vols de reconnaissance, mais lors du dernier vol il n’y a que Lago qui participe, alors que Tomaselli ne part pas dans ce dernier vol et sauve ainsi sa vie.
  10. Pour cela, la présence à bord de deux journalistes était prévue pour envoyer en temps réel des articles cryptés recevables exclusivement à Rome par radio (de cette façon, le reste de la presse étrangère devait diffuser les nouvelles italiennes, donnant une certaine importance à la presse locale).
  11. Umberto Nobile, L’Italia al Polo Nord, Milan, Mondadori, 1930, p. 13.
  12. Une deuxième expédition ayant eu une certaine résonnance dans le contexte italien fut celle réalisée en 1926 avec le dirigeable Norge, en coopération avec Roald Amundsen.
  13. Daniel Chartier, « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord ? », Études germaniques, n 2, 2016, p. 189-200.
  14. Umberto Nobile, op. cit., 1930 p. 13.
  15. La fascination des lettres italiennes pour la conquête du pôle Nord avait été éveillée par les exploits du duc des Abruzzes et d’Umberto Cagni, qui avaient atteint des latitudes septentrionales inexplorées (1900). À cette occasion, certains des poètes les plus connus de l’époque avaient célébré en termes épiques les exploits de l’équipage du navire Stella Polare qui avait tenté d’atteindre le pôle. Des exemples de cette fascination polaire sont illustrés par les poésies A Umberto Cagni et Al Duca degli Abruzzi e ai suoi compagni parues dans le recueil Odi e Inni (1906) de Giovanni Pascoli et Canzone di Umberto Cagni de Gabriele D’Annunzio.
  16. On retrouve une certaine insistance dans les lettres du poète qui incite ainsi ses compagnons de voyage (présumé) : « voi mi lascerete lassù. Un uomo come me […] deve scomparire nel mistero di una leggenda. Io diverrò l’asse della Terra » [vous me laisserez là-haut. Un homme comme moi doit disparaître dans le mystère d’une légende. Je deviendrai l’axe de la Terre] (in Umberto Nobile, Il destino di un uomo, Milan, Mursia, p. 55) ou encore « il morire solo nel deserto di ghiacci mi pareva l’apice della gloria » [le fait de mourir seul dans le désert de glace me semblait le summum de la gloire] (in Giuseppe Valle, Uomini nei cieli, Rome, Centro Editoriale Nazionale, p. 187).
  17. Cesco Tomaselli, L’Inferno bianco, Milan, Unitas, 1929. Tr. « La vérité est que l’entreprise est née et s’est développée dans une atmosphère de romantisme, et les romantiques sont rarement de bons dialecticiens : ils préfèrent répondre par l’action. Les dix-sept hommes [de l’équipage] ont justifié leur participation par des formules empruntées à la littérature et à la poésie ».
  18. Tr. : « Nous venons de recevoir ce radiotélégramme de notre envoyé […] Cesco Tomaselli, document dont nous n’avons pas besoin de signaler l’importance à nos lecteurs, car il s’agit du premier récit organique et détaillé de la catastrophe de l’Italia et des événements douloureux qui ont suivi », Corriere della Sera le 12/07/1928.
  19. « L’Italia non è tornato », Corriere della Sera, 25/10/1928.
  20. À ce sujet, consulter aussi : Luciano Zani, « Fra due totalitarismi – Umberto Nobile e l’Unione Sovietica (1931-1936) », in Quaderni di ricerca del Dipartimento Innovazione e Società, Università di Roma La Sapienza, Aracne, Roma, 2005, p. 2-5. Pour un exemple de ce changement drastique d’opinion sur Nobile, il est déjà défini comme étant un « eroe del polo » in « Note vaticane » dans le Corriere della Sera du 04/08/1926, ce qui marque une nette différence avec l’article « Nobile, un protagonista nel limbo della storia. Eroe o vigliacco ? Una biografia lo riabilita ma non cancella i dubbi di come si salvò dal Polo Nord » dans le Corriere della Sera du 7/2/2001. Pour d’autres articles de ce type, se reporter à : « La spedizione polare di Nobile », Corriere della Sera, 18/03/1928 ; « Equinozio di primavera. La levata del sole al Polo Nord », Corriere della Sera, 20/03/1928 ; « Il saluto ai parenti per l’Artide », Corriere della Sera, 21/03/1928 ; « La crociera polare del generale Nobile », Corriere della Sera, 21/03/1928 ; « Il generale Nobile a Milano », Corriere della Sera, 03/04/1928 ; « La Città di Milano a Bergen », Corriere della Sera, 12/04/1928 ; « La partenza tra fiori e applausi », Corriere della Sera, 14/04/1928.
  21. Le voyage du Norge avait permis de survoler le pôle Nord pour la première fois. Amundsen était à l’époque l’explorateur le plus célèbre de l’expédition et sa participation avait catalysé l’attention des médias, en éclipsant son collaborateur, le général Nobile. L’expédition de l’Italia de 1928 comporte des similitudes avec la mission du Norge, les quelques différences demeurant substantielles pour la construction de l’imaginaire arctique en Italie. D’une part, Amundsen ne participait pas physiquement à la mission (il collaborait seulement à son organisation) et son absence jouait un rôle majeur dans la valorisation du général italien qui la commandait : l’intérêt de la presse autour de la figure du Norvégien était plus limité. D’autre part, l’équipage de l’Italia était majoritairement composé de membres italiens, à l’exception de deux participants, František Běhounek et Finn Malmgrenn, respectivement d’origine tchèque et suédoise – ce qui permettait de dégager un discours patriotique pour raconter l’expédition.
  22. Cesco Tomaselli, Corriere della Sera, 23 maggio 1928. Tr. : « Allez-vous descendre au Pôle, Général ? – Je voudrais établir dès à présent que le voyage a pour destination la région polaire et ne s’arrête pas au simple fait d’atteindre le pôle. Il en va de même pour l’éventuelle descente. Il se peut que les conditions atmosphériques me permettent d’effectuer la descente vers le pôle, bien que je pense que j’aurais atteint mon objectif même si elle se produisait dans la région environnante. D’autre part, une descente sur glace est quelque chose de tellement nouveau, pour ne pas dire extraordinaire, que je dois tout faire pour la réussir, sans me préoccuper de savoir si nous descendrons ou non sur le point mathématique. Je suis tellement convaincu que la chose est difficile, bien que tout ait été étudié et expérimenté, que j’admets même la possibilité d’un échec. Qui descendra sur la glace – Qui descendra ? – Le premier ce sera moi, bien sûr, s’exclame Nobile, en accentuant le ton de sa voix sur bien sûr ».
  23. Voir notamment l’article « Le général Nobile va quitter l’U.R.S.S. pour rentrer en Italie », Le Matin, 10/01/1936, p. 1, où Nobile est défini comme un « héros malheureux ».
  24. Penn, « Ukens epistel », Nybrott, n° 293, 15/12/1928. Tr. : « Et Amundsen était un héros, certes envers le grand public, mais [un héros] éternel et universel. Des milliers de personnes sont allées là-haut. Sa vie et celle de ses camarades ont été mises en danger. Mais Amundsen a été le héros. Il a été le maître de la situation et il a sauvé ses camarades dans la mesure où cela était en son pouvoir. Tout le monde ne peut pas le faire, face à une mort certaine. C’était un coup étrange que cet homme fasse voyager un homme comme Umberto Nobile au-dessus du pôle Nord. »
  25. Cesco Tomaselli, Corriere della Sera, 14/06/1928. Tr. : « Le mystère a lentement dévoilé le drame de l’Italia. Jour après jour, à travers les messages épiques que Nobile envoie, nous pouvons reconstruire cet événement extraordinaire. Nous savons maintenant que la cause qui a conduit à la catastrophe est la même que celle qui a rendu si difficiles le vol transpolaire du Norge et les autres voyages de l’Italia : les formations de glace sur la surface du zeppelin. Le matin du 25 mai, l’Italia avançait avec difficulté et luttait contre deux ennemis redoutables : le vent et le brouillard ».
  26. Ibid. Tr. : « À 10 h 27, l’Italia commença à s’abîmer… la chute ne put être arrêtée, malgré tous les moyens, dynamiques ou statiques, qui avaient été tentés. Ce fut une question de deux minutes. Mais à présent, aucune puissance humaine, pas même celle de l’homme qui l’avait conçue et façonnée, ne pouvait arrêter cette magnifique machine. L’Arctique l’avait affaiblie. Elle ne pouvait plus tenir et a plongé dans le désert blanc comme un grand oiseau blessé. […] Un instant plus tard, neuf hommes étaient étendus sur la neige, assommés et stupéfaits. […] Mais se passe-t-il entre-temps ? La catastrophe achevait son cycle. […] Les jours de silence arrivent. Ces jours indicibles où il n’y avait aucun pays au monde où le nom de l’Italia n’était pas murmuré avec espoir. […] des hommes dont les noms resteront marqués dans l’histoire des héroïsmes désespérés ».
  27. La Domenica del Corriere, 29/04/1928. Tr. : « En route pour le pôle. Sur la première étape de l’Italia, heureusement achevée, de Milan à Stolp ».
  28. Tr. « Une date glorieuse dans l’histoire de l’humanité : le pôle Nord, pour la première fois au cours des siècles, est dépassé par le Norge, une merveille du génie italien. Nobile, Amundsen et Ellesworth lancent les drapeaux italien, norvégien et américain ».
  29. La Domenica del Corriere, 13/01/1961. Tr. « La catastrophe de l’expédition Nobile. Au retour du vol polaire, le dirigeable s’écrase sur la banquise ».
  30. La Domenica del Corriere, 23/02/1964. Tr. « Felice Trojani, l’un des survivants du dirigeable Italia, qui est retourné dans sa patrie après une longue absence, rompt le silence 36 ans plus tard et raconte sa vérité sur la tragique expédition et l’affaire Nobile ».
  31. Claudio Sicolo, op. cit., p. 144.
  32. Ibid.
  33. Voir « La maledizione della spedizione di Nobile », La Libertà, 22/07/1928.
  34. Cesco Tomaselli, Corriere della Sera, 12/09/1928. Tr. : « [Nobile] est assis dans un fauteuil bas, sa jambe fracturée, la droite, reposant sur une chaise. Dans son visage maigre et défiguré, ses yeux cernés brillent de fièvre. […] il nous était apparu comme un homme brisé : une barbe hirsute, grise, mal entretenue, un regard étonné, un visage contracté par l’émotion ».
  35. À tous ces éléments s’ajoutent des raisons historiques concernant le manque de soutien du gouvernement italien, qui soumit Umberto Nobile à trois commissions d’enquête de plusieurs décennies.
  36. Voir à ce sujet : Cesco Tomaselli, L’Inferno bianco, Milan, Unitas, 1929, p. XIII ; Rodolfo Samoilovic, S.O.S. nel mare artico – La spedizione di soccorso del Krassin, Florence, Bemporad, 1930, p. 174.
  37. Voir aussi : « Diario segreto conferma Nobile vero eroe del Polo », Corriere della Sera, 10/07/1996 ; « L’eroe volante che sfidò il Polo », La Repubblica, 07/09/2006.
  38. Afin de supporter son histoire et de se présenter comme une victime médiatique et politique à la suite de sa mission, Umberto Nobile écrit plus de vingt livres, dont ses mémoires en 1930 et 1945, et d’autres textes techniques et scientifiques. Voir : Gertrude Nobile Stolp, Bibliografia di Umberto Nobile, Florence, Olschki, 1984. Plusieurs de ses livres ont été traduits dans d’autres langues, notamment Umberto Nobile, My Polar Flights: An Account of the Voyages of the Air-ships Italia and Norge, Londres, Muller, 1961. Pour citer quelques-uns des autres travaux et études culturelles sur ce sujet, voir : Wilbur Cross, Disastro al Polo. La tragica spedizione di Nobile al Polo Nord, Milan, TEA, 2003 ; Felice Trojani, L’ultimo volo. L’avventura degli uomini della Tenda Rossa, Mursia, 2008 ; Enrico Fuochi, A bordo della Città di Milano. L’impresa del dirigibile « Italia » di Umberto Nobile fotografata da Carlo Felice Garbini, Museo Aeronautica G. Carponi, 2011 ; Carlo Barbieri, S.O.S. dal Polo Nord. La spedizione polare di Umberto Nobile del 1928 con il dirigibile Italia, Milan, Biblion, 2011 ; Emilio Milisenda, Umberto Nobile e la spedizione polare del dirigibile « Italia ». Storia, posta, documenti e curiosità, [sans éditeur] 2019 ; Giuseppe Biagi, Gerardo Unia, Ritorno al Polo Nord. La Tenda Rossa 2.0, Cuneo, Nerosubianco, 2019.

Bibliographie

Barbieri Carlo, S.O.S. dal Polo Nord. La spedizione polare di Umberto Nobile del 1928 con il dirigibile Italia, Milan, Biblion, 2011.

Biagi Giuseppe, Gerardo Unia, Ritorno al Polo Nord. La Tenda Rossa 2.0, Cuneo, Nerosubianco, 2019.

Chartier Daniel, « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord ? ». Études germaniques, n° 2, 2016, 189-200. Corriere della Sera le 12/07/1928.

Cross Wilbur, Disastro al Polo. La tragica spedizione di Nobile al Polo Nord, Milan, TEA, 2003.

Fuchi Enrico, A bordo della Città di Milano. L’impresa del dirigibile « Italia » di Umberto Nobile fotografata da Carlo Felice Garbini, Museo Aeronautica G. Carponi, 2011.

Milisenda Emilio, Umberto Nobile e la spedizione polare del dirigibile « Italia ». Storia, posta, documenti e curiosità, [sans éditeur] 2019.

Mohnike Thomas, « Narrating the North. Towards a theory of mythemes of social knowledge in cultural circulation », Deshima, 2020, 9-36.

Nobile Umberto, In volo alla conquista del segreto polare, Milan, Mondadori, 1928, 29.

Nobile Umberto, L’Italia al Polo Nord, Milan, Mondadori, 1930.

Nobile Umberto, Posso dire la verità, Milan, Mondadori, 1945.

Nobile Umberto, Il destino di un uomo, Milan, Mursia, 1988.

Penn, « Ukens epistel », Nybrott, n° 293, 15/12/1928.

Rémy Frédérique, Histoire des pôles, Mythes et réalités polaires au XVII et XVIIIe siècles. Paris, Éditions Desjonquères, 2009.

Salgari Emilio, Al Polo Nord, Gênes, Donath, 1898.salgari Emilio, La Stella Polare e il suo viaggio avventuroso, Gênes, Donath, 1901.salgari Emilio, Nel paese dei ghiacci, Turin, Paravia, 1896.salgari Emilio, Una sfida al Polo, Florence, Bemporad, 1909.

Samoilovic Rodolfo, S.O.S. nel mare artico. La spedizione di soccorso del Krassin, Florence, Bemporad, 1930.

Sicolo Claudio, Il dirigibile Italia: la sfida della radio al Polo Nord, I libri del Borghese, 2018.

Stolp Gertrude, Bibliografia di Umberto Nobile, Florence, Olschki, 1984.

Tomaselli Cesco, Corriere della Sera, 12/09/1928.

Tomaselli Cesco, Corriere della Sera, 14/06/1928.

Tomaselli Cesco, Corriere della Sera, 23/05/1928.

Tomaselli Cesco, L’Inferno bianco, Milan, Unitas, 1929.

Trojani Felice, L’ultimo volo. L’avventura degli uomini della Tenda Rossa, Milan, Mursia, 2008.

Valle Giuseppe, Uomini nei cieli, Rome, Centro Editoriale Nazionale, 1981.

Zani Luciano, « Fra due totalitariami – Umberto Nobile e l’Unione Sovietica (1931-1936) », in Quaderni di ricerca del Dipartimento Innovazione e Società, Università di Roma La Sapienza, Aracne, Rome, 2005, 2-5.

Auteur

Alessandra Ballotti est maîtresse de conférences en études nordiques à Sorbonne Université. Ses recherches portent, entre autres, sur l’imaginaire du Nord, ses représentations dans la culture italienne et les transferts culturels qui caractérisent ses relations.

Alessandra Ballotti is an associate professor in Nordic studies at Sorbonne University. Her research focuses on the imaginary of the North, its representations in Italian culture and the cultural transfers that characterize its relations.

Pour citer cet article

Alessandra Ballotti, À la conquête du pôle Nord : la tragédie médiatique de l’expédition Italia (1928), ©2023 Quaderna, mis en ligne le 31 octobre 2023, url permanente : https://quaderna.org/6/a-la-conquete-du-pole-nord-la-tragedie-mediatique-de-lexpedition-italia-1928/

À la conquête du pôle Nord : la tragédie médiatique de l’expédition Italia (1928)
Alessandra Ballotti

design by artcompix