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# 03 L'art de la discipline : disciples, disciplinarité, transdisciplinarité

Savoirs subalternes et transdisciplinarité : l’indiscipline queer

Abstract

This article compares the fixed identities resulting from the essentialist drift in research, to the multiple free identifications generated by the practice of transgressive, sadomasochist lesbianism: It cross-reads Dorothy Allison’s queer grotesque literary works, feminist, gay and lesbian studies, and subject theory, to show that the transdisciplinary approach promotes a reevaluation and reconsideration of the complexity which pertains to queer identities. Whereas traditional disciplines deny the subject’s complexity, this study argues that queer grotesque literature works contra disciplinary and identity paradigms to propose a counter-model of the human subject.

Résumé

Cet article fait se confronter les identités figées résultant des dérives essentialistes de la recherche et les identifications libres que génèrent les pratiques de l’homosexualité transgressive sadomasochiste : Il croise la littérature grotesque queer de Dorothy Allison, les études féministes, gay et lesbiennes et les théories du sujet, pour montrer que la pratique transdisciplinaire permet une réévaluation de la complexité des identités queer. Alors que les disciplines traditionnelles nient la complexité du sujet, cette étude suggère que la littérature queer fonctionne à rebours des paradigmes disciplinaires et identitaires pour véhiculer un contre-modèle de l’humain.

Texte intégral

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Introduction

 

Selon Foucault, « une discipline se définit par un domaine d’objets, un ensemble de méthodes, un corpus de propositions considérées comme vraies, un jeu de règles et de définitions, de techniques et d’instruments » 1 . Si cette définition semble souligner la rigueur et la justesse des disciplines, ces dernières se sont parfois consolidées en développant des paradigmes aseptisés impliquant la marginalisation de certains sujets. Olivier Le Cour Grandmaison souligne la « partiellité » des études menées par les disciplines universitaires, ainsi que la « spécialisation accrue » et le renforcement des frontières de ces dernières 2 , suggérant les restrictions et les exclusions qui peuvent accompagner l’institutionnalisation des savoirs. Par ailleurs, Lewis R. Gordon remarque que l’expansion coloniale s’est assortie de développements épistémologiques en vertu desquels les peuples indigènes sont devenus des objets d’étude, dénaturés par les procédures d’abstraction et traités par les organisations dominantes du savoir comme problématiques 3 . Les disciplines des sciences humaines ont longtemps promu l’histoire du sujet hétérosexuel occidental au détriment des individus subalternes 4 , participant ainsi au processus de hiérarchisation des individus et des groupes humains.

En revanche, les savoirs subalternes perturbent les discours dominants et interrogent la stigmatisation identitaire. Formulés par des figures de l’altérité (notamment les femmes et les minorités ethniques, sociales et sexuelles) et véhiculés par une pratique transdisciplinaire qui refuse de hiérarchiser les savoirs, ils mettent en lumière les points aveugles des disciplines et proposent une définition plus inclusive de l’humain : les Cultural Studies puis les études queer, disciplines indisciplinées qui donnent la parole aux minorités que les disciplines traditionnelles méconnaissent, élaborent des contre-modèles sociaux et promeuvent la valeur des « savoirs assujettis » 5 . À ce titre, la littérature queer, produite dans les marges sociales et interrogeant en particulier le binarisme de genre et les hiérarchies sociales et sexuelles, est un instrument de mutation culturelle qui subvertit les paradigmes identitaires et disciplinaires.

Survivante d’inceste et féministe-lesbienne sadomasochiste, l’écrivaine américaine Dorothy Allison s’est tournée vers l’écriture pour briser le tabou entourant les sévices physiques, la pauvreté et la sexualité ; son œuvre décrit les réalités méconnues des lesbiennes sadomasochistes et de la fillette battue et violée. La représentation littéraire de la vie de ces individus inférieurs véhicule donc des savoirs dérangeants. Grâce à l’approche transdisciplinaire qui croise les études féministes et LGBT, les théories du sujet et l’œuvre littéraire, les altérités queer sont redéfinies, leur statut inférieur interrogé, leur humanité réaffirmée.

Cette contribution opposera les identités figées résultant des dérives disciplinaires essentialistes aux identifications fluides queer, afin de mettre en lumière la manière dont l’indiscipline queer contribue à remettre en cause les discours sociaux dominants. L’œuvre littéraire de Dorothy Allison est un objet transdisciplinaire qui interroge la validité des paradigmes identitaires sur le genre et les sexualités, et qui participe plus précisément aux débats sur les pratiques transgressives et la sexualité traumatique. Alors que les discours féministes et lesbiens dominants peinent à reconnaître la légitimité des pratiques sexuelles non-normatives, Allison décrit le lesbianisme transgressif et le traumatisme sexuel pour revisiter les identités définies par les discours dominants. Nous proposerons une critique des abstractions et exclusions disciplinaires, avant de présenter l’exemple des discours de libération américains qui véhiculent des identités figées dénaturées. Nous étudierons ensuite le projet inclusif d’une littérature queer ancrée dans la réalité vécue des subalternes, pour enfin développer les apports de l’œuvre d’Allison à l’étude des identités sexuelles transgressives dans le cadre d’une pratique transdisciplinaire.

 

Critique des disciplines et de la hiérarchisation des savoirs

 

Exclusions et abstraction

Foucault explique que dans toute société « la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire » 6 . La production des discours implique également des procédures d’exclusion : « On sait bien qu’on n’a pas le droit de tout dire, qu’on ne peut pas parler de tout dans n’importe quelle circonstance, que n’importe qui, enfin, ne peut pas parler de n’importe quoi » 7 . Foucault définit les « savoirs assujettis » comme étant « toute une série de savoirs qui se trouvaient disqualifiés comme savoirs non conceptuels, comme savoirs insuffisamment élaborés : savoirs naïfs, savoirs hiérarchiquement inférieurs, savoirs en dessous du niveau de la connaissance ou de la scientificité requises » 8 . Avec le temps, les « plus petits savoirs » ont été annexés par les plus grands et l’État est intervenu pour disqualifier, normaliser, hiérarchiser et centraliser de manière pyramidale pour mieux contrôler les « petits savoirs inutiles et irréductibles » 9 .

La pratique transdisciplinaire, qui a justement vocation à rendre poreuses les frontières entre les disciplines et à abandonner l’organisation pyramidale des savoirs, pose donc problème. L’accueil parfois frileux réservé aux Cultural Studies, considérées comme une menace pour l’intégrité disciplinaire, illustre ce repli. Comme le remarque Catherine Lejeune, on reproche aux défenseurs des Cultural Studies « une approche considérée comme n’étant pas assez scientifique, une absence d’ancrage et donc de références disciplinaires » 10 . Les Cultural Studies interrogent les relations de pouvoir notamment à travers l’étude transdisciplinaire des cultures populaires, minoritaires et marginales, perturbant ainsi tant l’ordre social que l’organisation hiérarchique des savoirs. Dans leur critique des Cultural Studies 11 , les disciplines organisent la « décadence disciplinaire », qui se manifeste lorsqu’une discipline évalue les autres « à partir de son propre point de vue, qui est supposé être complet » 12  ; Gordon la définit comme un « phénomène qui consiste à se détourner de la pensée vivante qui est aux prises avec la réalité et reconnaît ses propres limites, pour aller vers la conception déontologisée ou absolue d’une discipline particulière comme vie disciplinaire » 13 .

Gordon déplore que les dictats disciplinaires conduisent « à une évasion hors de la […] réalité sociale » 14 . De même, Le Cour Grandmaison remarque que « la spécialisation accrue des sciences humaines et le renforcement de leurs frontières respectives nuisent parfois à la connaissance adéquate de certaines réalités » 15 . Ainsi, selon Joan Scott, la connaissance acquise par l’expérience, une fois transcrite, attire l’attention sur des caractéristiques de la vie et de l’activité humaine considérées comme étant insignifiantes par les histoires conventionnelles 16 . Si Scott souligne que l’histoire s’écrit de plusieurs points de vue, dont aucun (pas même le compte-rendu de l’expérience vécue) n’est entièrement fiable 17 , il semble que la prise en compte de nouvelles expériences permette de corriger et d’enrichir les constructions hégémoniques 18 .

On retrouve cette tendance des disciplines à la hiérarchisation dans les pratiques de légitimation des discours de revendication américains. Les discours homosexuels et féministes ont, depuis plusieurs décennies, développé des paradigmes identitaires en élaborant des discours sur les homosexuels, les lesbiennes et les femmes dont ont été exclues de nouvelles subjectivités marginales au désir polymorphe. Les branches dominantes des discours de libération se sont érigées en disciplines, imposant leur point de vue sur l’identité du sujet et rejetant dans les marges les conceptions qui manquent de satisfaire aux définitions normatives.

 

Moralisation des revendications : discipline du corps  et nouvelles exclusions

Dans les années 1970, la volonté de légitimation du mouvement homosexuel et du mouvement féministe américains a mené au rejet de certaines pratiques sexuelles et conceptions de l’identité de genre, considérées inacceptables par les mouvements moralisés 19 . À ses débuts, le mouvement de revendication homosexuel animé par les gay liberationists avait prétention à bouleverser les structures sociales hétéro-sexistes reposant sur l’asymétrie de genre, la reproduction et la famille nucléaire patriarcale 20 . Cependant, il s’est progressivement développé sur le « modèle ethnique », faisant des gays et lesbiennes une minorité revendiquant l’égalité et des droits civiques 21 . Jusqu’au milieu des années 1970, les féministes ont massivement lutté pour le droit des femmes à disposer de leurs corps et de leur sexualité, et contre les violences domestiques 22 . Pourtant, la question de la sexualité féminine a rapidement divisé les féministes de la seconde vague : les pratiques sexuelles et la représentation des femmes ont été débattues et des pratiques acceptables ont été définies par les cercles féministes conservateurs 23  lorsque le mouvement anti-pornographie a milité contre le sadomasochisme et les pratiques humiliantes, corollaires de la violence physique masculine 24 . Un débat s’est instauré entre ces féministes « anti-pornographie » et celles qui défendaient des pratiques tombées en disgrâce en raison de leur rapport à la domination 25 . De nouveaux groupes ont été marginalisés car ils ne satisfaisaient pas à l’identité gay, lesbienne et féministe monolithique nouvellement définie ; parmi eux, les sadomasochistes, les couples butch/femme 26 , les bisexuels ou les travestis. Leurs pratiques non-normatives, déjà interrogées dans les décennies précédentes, ont été plus fermement condamnées dans le cadre des débats sur la pornographie et l’humiliation qui ont agité les cercles féministes à la fin des années 1970.

Les mouvements qui s’étaient construits autour d’un espoir de libération partagé ont fait de l’homosexualité, de la féminité et de l’identité des objets de savoirs et de procédures que l’on peut qualifier de disciplinaires : ils se sont cristallisés autour de notions moralisées d’une identité toujours indissociable de relations de discipline, de régulation et de punition 27 . Au sujet des dissensions féministes des années 1980, Gayle Rubin explique que lorsque certaines féministes refusèrent de se plier au programme anti-pornographie, elles furent privées de leur liberté d’expression et excommuniées des rangs des féministes légitimes 28 . Se sont alors dessinés, au sein même des discours lesbiens et féministes, des savoirs abjects, rejetés dans les marges et passés sous silence au nom de l’institutionnalisation des mouvements.

Dorothy Allison dénonce la rigidité des cadres de revendication d’un féminisme devenu discipline, et déplore que les nouvelles exigences fondées sur l’oubli du corps et des désirs aient mené au rejet de nombreuses lesbiennes transgressives dans les marges 29  : « [W]e have pandered to this sex-hating, sex-fearing society by […] placing such a strong emphasis on statistics that portray lesbians as monogamous, couple-and community-centered, and so much more acceptable than those publicly provocative, outrageous, and promiscuous queers. » 30  Allison considère que les divisions ne pourront être effacées tant que les femmes n’affronteront pas la question du désir et de la normalité, et déplore que la menace d’exclusion mène à la dénaturation du sujet : « I have been expected to abandon my desires, to become the normalized woman who flirts with fetishization, who plays with gender roles and treats the historical categories of deviant desire with humor or gentle contempt but never takes any of it so seriously as to claim a sexual identity based on these categories. » 31

La littérature queer rétablit le dialogue entre revendication et sexualité et, tout comme la théorie queer qui la sous-tend, accorde une place centrale aux expériences transgressives. Confrontée aux discours des sciences sociales et aux conceptions dominantes du sujet féminin, cette littérature se propose de perturber les paradigmes disciplinaires et identitaires, d’élargir la définition de l’humain et de rendre acceptables les expériences marginales des individus rejetés.

 

Promesses de la littérature indisciplinée queer et de la transdisciplinarité

Avec l’expression des revendications de diverses minorités, de nouvelles « voix interdites » ont rompu le silence et œuvré pour plus de visibilité 32  : le paysage politique et disciplinaire américain s’est transformé à la fin du vingtième siècle, notamment lorsque les œuvres donnant la parole aux minorités ethniques et sexuelles ont remis en question les normes patriarcales occidentales et ébranlé le modèle de la famille hétérosexuelle. En effet, malgré leur difficile affirmation aux côtés des savoirs disciplinaires dominants 33 , les nouveaux savoirs minoritaires ont un fort pouvoir transformateur : en rendant visibles les expériences des individus disqualifiés, ils revalorisent les groupes subalternes, interrogent la valeur des « vérités perçues » 34  et promeuvent des contre-modèles politiques et sexuels. La littérature queer, notamment, s’invite à la table des discours sociaux et participe au débat sur la définition de positions sexuellement, socialement et politiquement acceptables. Les œuvres queer véhiculent les savoirs subalternes produits par les individus habituellement « objets abjects du savoir » 35 , interrogeant les savoirs hégémoniques sur le sujet et les règles de distribution du pouvoir 36 .

La confrontation des discours dominants avec ceux des exclus permet de repenser profondément la hiérarchisation des pratiques et des individus. La littérature queer a à cœur de donner à lire l’expérience du genre et de la classe dans une représentation plus riche de l’identité, et a ouvert de nouveaux horizons aux disciplines que menaçaient de devenir les études LGBT, le féminisme et les études sur les femmes aux États-Unis au moment des débats sur la sexualité. Dorothy Allison explique : « A novelist can read the work of a historian and translate it into a work that can ripple through society in ways that you can’t even begin to track. It’s the best organizing tool I know. […] magic happens through the art. […] Literature is the front from which change can happen. » 37  Associés dans une réflexion globale grâce à la pratique transdisciplinaire, les savoirs classiques figés et les savoirs subalternes vivants dialoguent pour faire advenir le sujet dans toute sa complexité. Dans une perspective queer, les caractéristiques identitaires se combinent de manières infinies pour former les subjectivités.

Dans sa critique des méthodes de catégorisation et d’exclusion du mouvement féministe, l’écrivaine et militante lesbienne Amber Hollibaugh, ancienne prostituée et survivante d’inceste, pose explicitement la question de la catégorisation : « are we creating new definitions of sexual sickness and deviance?  Who are all the women who don’t come gently […] are the lovers of butch or femme women; who like fucking with men; practice consensual S/M; feel more like faggots than dykes; […] are into power? » 38  Il est dès lors question de faire tomber les cloisons morales et d’ouvrir les relations de genre à une plus grande fluidité. Contre l’imposition d’une identité féminine unique qui oublie le corps dans sa matérialité (« what we are supposed to want and be, how we are supposed to behave » 39 ), Dorothy Allison s’attache à mettre à mal les cadres de pensée et les identités figées qui leur sont associées en multipliant les identifications libres dans le domaine sexuel devenu tabou, contribuant ainsi aux « revendications nouvelles de “vérité” sur la sexualité lesbienne » sur « le plaisir de renoncer au contrôle » 40 . Ses écrits indisciplinés racontent la sexualité libérée des contraintes, et contredisent les savoirs abstraits sur l’identité lesbienne idéale, véhiculés par un féminisme déconnecté de la réalité de l’expérience sexuelle.

L’œuvre queer contribue à la réflexion philosophique et sociale sur le sujet et peut être envisagée comme ce que Preston appelle un theorizing narrative, écrit littéraire véhiculant un contenu critique tout en se libérant du langage conceptuel des textes théoriques 41 . L’œuvre refuse de se plier à une pensée qui tronque la réalité sociale 42 , et Allison s’attache à représenter l’identité toujours fluctuante de l’individu parcouru d’identifications multiples qui ne doivent pas être hiérarchisées. Pour ce faire, elle accorde une place centrale aux marginaux dans des représentations du corps qui déstabilisent les discours dominants.

 

Centralité du corps libéré chez Dorothy Allison

 

Au langage théorique, Allison préfère le langage d’un corps marqué par l’expérience, dont elle souligne la puissance : « I know there is a glory in the physical. The body sings, and mostly you can trust what it sings. Everything from orgasm to nausea, you can trust what it sings. It’s always fascinating to me to talk to critics with theories because they think differently than writers » 43 . Elle suggère ainsi la complémentarité de la littérature et de la théorie, qui s’associent pour révéler de concert la complexité du sujet. Corps théorique disciplinaire et corps palpable issu de la représentation littéraire sont envisagés conjointement dans l’œuvre queer. Dans une représentation transgressive de la violence sexuelle, Allison étudie l’élaboration de la sexualité perverse de la fillette traumatisée et décrit le corps agressé, aliéné puis difficilement « ré-apprivoisé » grâce à la théâtralité. Par ailleurs, dans ses représentations des sexualités lesbiennes non-normatives, elle rend compte des multiples reconfigurations du genre et de l’influence de l’origine sociale dans la manière dont est vécue la sexualité, illustrant ainsi le principe queer selon lequel les catégories identitaires s’imbriquent au sein d’un sujet complexe, et appelant les femmes à écouter leurs désirs et leurs corps.

 

Sexualiser la victime d’inceste, contre le témoignage monolithique

La capacité des femmes et des enfants à dénoncer les actions des hommes a historiquement été sévèrement restreinte, et les témoignages de violences domestiques qui présumaient des objets aberrants aux yeux des discours dominants (le père violeur notamment) 44  ont été passés sous silence 45 . Transgressif parce qu’il interroge les agencements conventionnels en vertu desquels les femmes et les enfants n’ont pas d’autorité, le discours des survivants contredit également les conceptions dominantes de ce qu’il est possible de dire 46 , en levant le voile sur la réalité de la violence. Selon Smith et Watson, les individus pris dans les filets de la discipline peuvent mettre en œuvre des tactiques de résistance dans des récits autobiographiques aux « formes clandestines » 47 . Ils peuvent se dissocier des valeurs des institutions et transformer les événements en « opportunités » leur permettant de devenir agent de leur histoire 48 . Les récits d’inceste qui entrent en conflit avec les narrations culturelles dominantes, peuvent de ce fait participer à l’élaboration de nouvelles cartographies du savoir 49 .

Dans Bastard Out of Carolina, Allison utilise la forme clandestine de l’autobiographie romancée pour refondre entièrement la figure de la victime de sévices et lever le tabou entourant la sexualité des enfants. Alors que les conceptions dominantes envisagent une sexualité féminine innocente unifiée, en tout point opposée à l’instrumentalisation de la sexualité par l’autorité masculine 50 , Allison refuse de se plier à une idéologie qui ne légitime le témoignage d’inceste qu’à condition qu’il oppose la victime féminine innocente à l’agresseur masculin 51 . Au contraire, elle aborde frontalement la question de la sexualité perverse émanant du traumatisme et opère dans l’écriture un travail de réélaboration fantasmatique : l’héroïne Bone développe une imagination perverse en rapport étroit avec les sévices subis, et qui signale tout à la fois la volonté d’émancipation de l’enfant-victime et son enfermement dans la violence. Après les premières agressions sexuelles, elle élabore des scénarios violents qui semblent signaler sa capacité à reconfigurer l’expérience violente :

 

I would imagine being tied up and put in a haystack while someone set the dry stale straw ablaze. I would picture it perfectly while rocking on my hand. The daydream was about struggling to get free while the fire burned hotter and closer. I am not sure if I came when the fire reached me or after I had imagined escaping it. But I came. I orgasmed on my hand to the dream of fire 52 .

 

Bone reproduit la scène d’agression tout en tentant de se libérer de la position de victime dans un scénario apocalyptique dont elle décide du déroulement et qui lui procure un plaisir intense 53 . Cependant, l’association des voix active et passive illustre son incapacité à s’émanciper réellement : « I would imagine being tied up » signale la fois sa faculté d’invention, mais aussi son incapacité à imaginer autre chose qu’une scène de soumission. Bone est active et libre dans la masturbation, mais soumise et prise au piège au sein de l’histoire qu’elle se raconte et qui lui procure paradoxalement du plaisir, une ambiguïté inscrite dans la structure du texte marqué par un mélange des voix qui illustre la position incertaine de l’héroïne. L’incertitude marque la fin même de l’histoire, qui offre sans le résoudre un choix entre l’impuissance mortifère (« the fire reached me ») et la liberté (« I had imagined escaping it »). La perversion finit d’envahir le texte par le biais d’une phrase qui frappe par sa brièveté et signale explicitement l’anormalité de l’issue du scénario : dans « But I came », la conjonction insiste sur le traumatisme en vertu duquel la violence imaginée mène à la jouissance, affirmée avec une concision inattendue. Lynda Hart définit la sexualité de Bone comme « un hybride de souffrance et de plaisir », exprimant l’ambivalence de fantasmes qui la libèrent alors qu’ils reposent sur le souvenir des sévices 54 .

Un fantasme similaire est raconté bien plus loin dans le roman :

 

I thought about fire, purifying, raging, sweeping through Greenville and clearing the earth. I dropped my hands and closed my eyes. “Fire,” I whispered. “Burn it all.” I rolled over, putting both my hands under me. I clamped my teeth and rocked, seeing the blaze in my head, haystacks burning and nowhere to run, people falling behind and the flames coming on, my own body pinned down and the fire roaring closer. “Yes,” I said. I rocked and rocked, and orgasmed on my hand to the dream of fire 55 .

 

Cette version, où Bone semble contrôler la propagation d’un feu vengeur, fait écho au « Barn Burning » de Faulkner 56 , où un Snopes frustré exerce un pouvoir criminel en mettant le feu aux granges de ceux qui lui font du tort. La répétition de « rocked » souligne que le scénario et la masturbation, l’imagination et la sexualité, sont indissociables. Bone apparaît d’abord comme une magicienne déchaînée créant le feu dévastateur dont la puissance destructrice se traduit dans l’accumulation « purifying, raging, sweeping through […] and clearing ». La tension augmente dans le texte au fur et à mesure que les propositions s’accumulent, mais l’image finale est décevante, puisque loin d’être victorieuse, Bone est prise au piège de la violence qu’elle est incapable de dévier. Les fantasmes consistent donc en une entreprise paradoxale où la répétition de la violence devient nécessaire à la survie.

Lorsqu’elle compare les scènes imaginées à la violence qu’elle subit, Bone distingue deux positions de victime : « When he beat me, I screamed and kicked and cried like the baby I was. […] In my imagination I was proud and defiant. I’d stare back at him with my teeth set, making no sound at all, no shameful scream, no begging. Those who watched admired me and hated him » 57 . La théâtralité est primordiale dans ces projections et dans l’élaboration d’une sexualité perverse peu reconnue : le rythme ternaire reproduit l’opposition entre les deux positions grâce aux accumulations parallèles « I screamed and kicked and cried » et « no sound at all, no shameful scream, no begging ». Selon Di Prete, la scène fantasmée est ici présentée comme une réinvention salvatrice de l’expérience vécue, un réinvestissement productif de la violence 58  ; la mise en récit du corps violenté permet à la victime de se le réapproprier 59 , de retrouver un certain pouvoir dans la théâtralité. King et Horvitz, en revanche, soulignent que les fantasmes intensifient la honte 60  d’une enfant incapable de démêler le sexe et la violence et d’imaginer autre chose que l’horreur associée au sexe 61 . Ces différentes interprétations révèlent la position ambiguë de Bone, qui jouit sur fond de terreur et oscille entre libération et anéantissement ; elle illustre ainsi l’argument de Caruth et Herman, selon lequel les reconstitutions fantasmées signalent l’incapacité du sujet traumatisé à échapper à l’événement non-intégré 62 .

Allison rejette la conception disciplinaire de la féminité et de la victimisation en représentant également son héroïne dans des épisodes à tendance narcissique et pornographique, où l’enfant devient actrice d’un jeu sexuel solitaire consistant à enlacer une chaîne en métal autour de son corps et y attacher un cadenas, avant de s’en servir comme d’un accessoire sexuel. Elle trouve un réconfort aussi troublant qu’indéniable dans cette mise en scène où soumission, pouvoir, plaisir et violence à connotation hétérosexuelle et masculine sont juxtaposés :

 

I got in bed and put it between my legs, pulling it back and forth. It made me shiver and go hot at the same time. […] it felt good to hold that metal, to let those links slip back and forth until they were slippery. I used the lock I had found on the river bank to fasten the chain around my hips. […] I was locked away and safe 63 .

 

Allison revendique la valeur d’une sexualité teintée de violence qui convoque les discours dominants du genre tout en les subvertissant en associant sévices et éveil au plaisir. Elle illustre la multiplicité des positions que le sujet violenté peut occuper et illustre les tensions qui traversent la victime, dont les fantasmes signalent à la fois que sa sexualité s’élabore sous l’emprise du traumatisme, dans la souffrance et au sein d’une entreprise de récupération du pouvoir et du contrôle sur son corps. Contre la conception dominante d’une victime innocente et impuissante, elle propose une figure ambiguë de l’enfant traumatisée active et perverse, qui interroge la valeur du témoignage d’inceste monolithique.

 

Sexualité et classe : réévaluer les catégories identitaires

En outre, Allison déplore la marginalisation des femmes qui refusent de renoncer à leurs désirs pour satisfaire aux exigences d’un mouvement cherchant à promouvoir une sexualité féminine domptée, conforme au classement des pratiques sexuelles dans les sociétés occidentales modernes. Selon ce classement, la sexualité « normale » est hétérosexuelle, monogame et maritale, à visée reproductive ; l’homosexualité est acceptable à condition qu’elle soit vécue en couple ; les fétichistes, les sadomasochistes et les lecteurs de pornographie se trouvent en revanche très bas sur l’échelle de l’acceptabilité, leurs pratiques étant considérées immorales et anormales 64 . La récupération de ce classement par la branche moralisée du féminisme a contribué à la catégorisation des pratiques lesbiennes 65 , alors que les femmes cherchaient à véhiculer une image de respectabilité et de contrôle de soi : « Political lesbians made the concepts of lust, sexual need, and passionate desire more and more detached from the definition of lesbian. » 66 .

En franchissant les barrières de l’intimité et en documentant la réalité du corps lesbien qui met à mal les paradigmes identitaires, Allison fait la lumière sur des pratiques sexuelles transgressives, à la croisée des genres et des classes, et libère le corps féminin des contraintes disciplinaires. Elle affirme le lien étroit entre sexualité et origine sociale et décrit les identités sexuelles de femmes qui se reconnaissent comme appartenant au même groupe social à travers leurs prédilections culinaires et leur origine géographique. En effet, elle explique qu’elle a été méprisée par les lesbiennes en raison de comportements et de pratiques sexuelles façonnés en grande partie par son origine sociale : « My sexual identity is intimately constructed by my class and regional background, and much of the hatred directed at my sexual preferences is class hatred. » 67  La forme poétique lui permet de dessiner en creux ses pratiques jugées méprisables, en reproduisant la structure d’une liste d’insultes qui lui sont adressées et s’additionnent tant visuellement qu’émotionnellement :

 

Whitetrash

no-count

bastard

mean-eyed

garbage-mouth

cuntsucker

cuntsucker 68

 

Le poème reflète alors les mécanismes de l’oppression. Les caractéristiques individuelles s’additionnent et le sujet féminin se complexifie tout en étant à chaque vers un peu plus vulnérable, puisque les catégories ajoutées ne satisfont pas aux exigences des féministes conservatrices. Les italiques, qui signalent le discours rapporté des moralisatrices, marque également la violence des termes employés qui résonnent. « Cuntsucker » est répété deux fois, ce qui suggère que ce sont les pratiques sexuelles qui posent problème, mais les premiers termes « Whitetrash/no-count » indiquent que l’origine sociale blanche pauvre méprisée est également un facteur de dissension juxtaposé aux pratiques.

Dans « A Lesbian Appetite », la narratrice parle de la nourriture riche de son Sud ouvrier natal avant de raconter ses relations avec plusieurs femmes. La nourriture et la sexualité sont marquées par les origines sociales de chaque femme, et les habitudes alimentaires créent des affinités ou des antagonismes entre elles. Appétit et lesbianisme, désirs culinaires et sexuels sont étroitement associés dans la description des relations intimes : Lee a une alimentation plus saine que la narratrice, qui oppose la nourriture grasse du Sud pauvre à celle préparée par son amante 69 . Lors de la préparation d’un repas pour une conférence, la nourriture est un facteur d’aliénation pour la narratrice, qui se sent exclue du groupe de bourgeoises dont le régime reflète les origines aisées 70 . Quand elle rencontre Marty, en revanche, la nourriture crée une connexion immédiate entre les deux femmes, qui se découvrent une même passion pour les grillades qui leur rappellent le Sud ouvrier 71 . L’appétit revient lorsque la narratrice parle avec une femme à laquelle elle peut s’identifier socialement grâce à la nourriture, et les relations se font et se défont au rythme des conversations établissant une connexion sociale et géographique entre les femmes.

L’affirmation de l’intersection de la classe sociale et de la sexualité est explicite lorsqu’Allison associe la nourriture du Sud et les pratiques lesbiennes dans le poème « Dumpling Child » :

 

A southern dumpling child

biscuit eater, tea sipper

okra slicer, gravy dipper,

I fry my potatoes with onions

stew my greens with pork

 

And ride my lover high up

on the butterfat shine of her thighs

where her belly arches and sweetly tastes

of rock salt on watermelon

sunshine sharp teeth bite light

and lick slow like mama’s

favorite dumpling child 72 .

 

La conjonction « And » crée une continuité entre les deux strophes et associe nourriture et sensualité lesbienne. Dans la première strophe, la voix narrative énonce clairement son appartenance (« southern ») et se présente comme une consommatrice active d’aliments typiques du Sud, associant systématiquement une denrée à une activité : « biscuit eater, tea sipper/okra slicer, gravy dipper », inscrivant ainsi son identité régionale jusque dans la structure répétitive et assertive des vers. La seconde strophe, qui décrit de manière imagée la relation intime, contient plusieurs enjambements qui lui confèrent une grande fluidité, reflétant la souplesse des corps et l’enchaînement des actes. L’expression poétique sublime la nourriture, par exemple lorsque la graisse luisante devient « the butterfat shine of her thighs », soulignant l’éclat de la peau plutôt que le gras. Les sens sont affutés, le corps est voluptueux et savoureux, et l’appétit est transformé en un jeu sexuel dans l’image d’un corps dégusté (« her belly arches and sweetly tastes/of rock salt on watermelon » ; « teeth bite light/and lick slow »). L’association de la nourriture avec le corps traduit la richesse  sensorielle de l’acte sexuel lesbien tout en ancrant le corps dans le contexte bien particulier du Sud ouvrier dont l’auteure est originaire.

Les sensations tactiles et le rapprochement corporel sont le point de départ d’une connexion entre les partenaires, qui tentent laborieusement de passer outre les différences et de surmonter leurs désaccords en matière de sexualité. Dans « Her Thighs », Allison décrit ses jeux avec une amante très attachée à la distinction sociale (« Bobby believed lust was a trashy lower-class impulse, and she so wanted to be nothing like that ») 73  et qui multiplie les signes extérieurs d’appartenance au monde bourgeois qu’elle envie : « Bobby loved the aura of acceptability, the possibility of finally being bourgeois, civilized, and respectable. » 74  La narratrice déplore que la respectabilité sociale et sexuelle aille de pair avec l’aseptisation de la relation et la répression des pulsions. Le désir de Bobby  d’entretenir son apparence soignée se traduit par la mise en place d’un rituel hygiénique strict 75  et la relégation de l’acte sexuel régulé dans un espace réservé. Allison offre une description détaillée des stratégies mises en place pour briser le rituel imposé par Bobby :

 

Keeping my hands on her, I stared at her thighs intently until she started that sawing motion—crossing and recrossing her legs. My impudence made her want to grab and shake me, but that, too, might have been sex, so she couldn’t. Bobby shifted and cleared her throat and watched me while I kept my mouth open slightly and stared intently at the exact spot where I wanted to put my tongue. My eyes were full of moisture. I imagined touching the denim above her labia with my lips. I saw it so clearly; her taste and texture were full in my mouth. I got wet and wetter. Bobby kept shifting on the couch. I felt my cheeks dampen and heard myself making soft moaning noises—like a young child in great hunger. That strong, dark musk odor rose between us, the smell that comes up from my cunt when I am swollen and wet from my clit to my asshole 76 .

 

La fascination pour le corps de l’autre est inscrite dans un texte où les répétitions rappellent tantôt l’obsession (« I stared at her thighs intently » ; « stared intently at the exact spot »), tantôt la tension du corps impatient (« Bobby shifted […] Bobby kept shifting »). Les expressions binaires « crossing and recrossing » ; « grab and shake » ; « her taste and texture » ; « wet and wetter » ; « swollen and wet » créent un effet d’accumulation qui souligne la richesse des caractéristiques, des expressions et des changements corporels et permet de prendre la mesure de la richesse de la vie du corps. L’effort de retenue de la narratrice et la tension qui en résulte sont perceptibles dans la description détaillée des changements qui s’opèrent dans son corps et les sensations tactiles, olfactives et gustatives qu’elle ressent, qui ancrent la narration dans le corps. Les deux femmes peinent à se retrouver à la frontière des pratiques et des attitudes : la narratrice confesse ainsi la nécessité de contrôler ses mouvements pour ne pas faire fuir son amante :

 

I wanted to lay the whole length of my tongue on her, to dribble over my chin, to flatten my cheeks to that fabric and shake my head on her seams like a dog on a fine white bone. But that would have been too real, too raw […] I held her by the unreality of my hunger, my slow nibbling civilized tongue 77 .

 

Dans la formulation du désir, le corps se déploie et déborde : « lay the whole length of my tongue » ; « dribble over my chin » soulignent la difficile maîtrise des pulsions et du corps. La comparaison de la narratrice avec un chien rongeant son os traduit l’image d’un désir effectivement animal et vorace d’une femme qui doit contenir ses instincts, comme l’illustrent les termes restrictifs « slow » et « nibbling » qui qualifient finalement sa langue.

La narratrice affronte ainsi les tentions que les catégories identitaires provoquent au sein du sujet féminin, mais réaffirme cependant fermement son identité dans un refrain répété deux fois :

 

What I did.

What I was.

What I do.

What I am 78 .

 

En interrompant brutalement la prose de la nouvelle par cette liste concise, la narratrice revendique sans concession son identité et ses pratiques ; la répétition des deux affirmations au présent et au passé lui permet de signaler la continuité de sa subjectivité transgressive en un bloc à la fois énumératif et répétitif, qui suggère que la réalité du sujet ne peut être durablement niée.  Ainsi, le corps doit (re)trouver une place centrale pour que la femme s’épanouisse : « It isn’t sex I want when I am like this. It’s the intimacy of their bodies, the inside of them, what they are afraid I might see if I look too close. I look too close. I write it all down. I intend that things shall be different in my lifetime, if not in theirs. » 79  L’objectif est de transgresser des frontières, de regarder les autres de « trop près », de franchir les barrières de l’intime, et de documenter par écrit la réalité du corps féminin qui devient ici un instrument de libération, ce que soulignait Kelly L. Thomas : « As a site of desire, inheritance, and lived experience, the body seems to represent a kind of essential truth for Allison. » 80

 

Refuser la discipline imposée au corps, assumer les désirs 

Dans ses nouvelles et ses essais, Allison offre une déclinaison des désirs et des pratiques, qui ne peuvent être superposés aux appétits sexuels « masculins » et « féminins » définis par la pensée occidentale en termes d’agressivité et de force, de soumission et de douceur 81 , illustrant ainsi les propos de Butler, selon qui la féminité offre un éventail de sites d’identification 82 . Allison fait voler en éclats tous les binarismes qui ont structuré la pensée et la théorisation de la sexualité, revendiquant de multiples combinaisons de genres, des positions interchangeables et des identités incertaines.

Elle défie les discours qui voudraient imposer au corps une discipline stricte en circonscrivant le désir dans la sphère d’une féminité stéréotypée et s’oppose au concept de « sexualité féministe » reposant sur un dressage du corps et de l’esprit et condamnant tout acte sexuel teinté de violence au motif qu’il n’est que le reflet de la domination masculine. Allison s’écarte des carcans disciplinaires du programme féministe en décrivant l’intimité des corps et la richesse de désirs prétendument inacceptables, qu’elle refuse de renier: « Though I was, and am, a feminist, and committed to claiming the right to act on my sexual desires without tailoring my lust to a sex-fearing society, demands that I explain or justify my sexual fantasies have left me at a loss » 83 . Si selon Foucault les savoirs peuvent être annexés, chez Allison les pratiques sexuelles peuvent être amputées, également au nom d’un discours hégémonique.

Dans ses poèmes, elle décrit le fossé qui s’est creusé entre elle et d’autres femmes en raison de leurs conceptions divergentes de la sexualité ; elle dénonce la norme sexuelle et corporelle, ainsi que le processus d’uniformisation des pratiques dont les femmes sont victimes :

 

God on their right shoulder

righteousness on their left,

the women who hate me never use words

like hate      speak instead of nature

of the spirit not housed in the flesh

as if my body, a temple of sin,

didn’t mirror their own 84 .

 

Les poèmes ne lèvent jamais le voile sur l’identité des femmes, toujours qualifiées par l’expression « the women who hate me ». Les références religieuses abondent, signalant la rigidité avec laquelle les pratiques sont catégorisées ; le corps et la chair empreints d’immoralité. La division entre discipline féministe et indiscipline lesbienne se traduit par l’image de l’absence de jeu de miroir entre les corps normés et anormaux, qui suggère que les subjectivités sont irrémédiablement différentes et irréconciliables. L’image du miroir traduit tant les incompréhensions qui divisent les cercles féministes que la multiplicité des identités sexuelles.

 

The women who hate me hate

their insistent desires, their fat lusts

swallowed and hidden, disciplined to nothing

narrowed to the bone and dry hot dreams.

The women who hate me deny

hunger and appetite,

the cream delight

of a scream

that arches the thighs and fills

the mouth with singing 85 .

 

Les représentantes de la norme physique, morale et sexuelle réduisent à néant les espoirs d’épanouissement des femmes « déviantes ». Un enjambement établit une continuité entre « The women who hate me hate » et « their insistent desires, their fat lusts », insistant sur « their » pour souligner l’inconfort de ces femmes vis-à-vis de leurs propres corps. Les termes « Swallowed », « hidden » et « disciplined to nothing » martèlent l’idée d’une répression contrôlée des appétits et illustrent l’hypocrisie de celles qui forgent leur normalité en ignorant leurs propres penchants. Une opposition claire est établie entre les féministes moralisatrices et l’énonciatrice, les premières étant caractérisées par le refoulement, la rigidité et la sécheresse, la seconde par la volupté et l’onctuosité.  Alors que les puristes sont dévorées par la rigueur (« to the bone »), l’énonciatrice est ronde et souple, décrite grâce à des termes culinaires qui traduisent la satisfaction apportée par le plaisir. Carole S. Vance souligne également la nécessité de réintroduire le plaisir dans la sphère publique, et le danger que représente l’élaboration d’un savoir sur les femmes qui nie la réalité du plaisir sexuel 86 .

Les descriptions d’actes sexuels, de fantasmes ou de désirs apportent une réponse à la question que Sarah E. Chinn pose en ouverture d’un article : « How can we talk about how lesbians have sex with each other? » 87  Par exemple, dans « Sex Writing, the Importance and the Difficulty », elle réfléchit à la consigne donnée par Bertha Harris lors d’un cours d’écriture à l’institut de théorie féministe Sagaris (« write for me about going down » 88 ), et se rappelle le malaise ressenti par l’assemblée et son angoisse à l’idée de décrire le sexe oral :

 

I liked oral sex as an act of worship, after fucking strenuously, after coming and making her come. Afterward, teasing a clit so swollen my touch is almost agonizing, listening to her moan and weep above me, or performing that act of worship while her fist is twined in my hair, holding me painfully, demanding that I work at this thing, strain with every muscle in my body until my neck and back are burning with pain and I can barely go on, following her every movement, every gasping demand, coming myself as she comes, released from the torment, orgasming on the agony and the accomplishment 89 .

 

Chinn souligne la difficulté à mettre des mots sur le désir et sur les sensations, qui semblent appartenir à un « monde souterrain » situé au-delà des capacités d’expression 90 , mais chez Allison la sexualité est ouvertement écrite, dans sa douloureuse et satisfaisante matérialité. Le texte traduit les contacts, les luttes et les tensions des corps dans une énumération qui mêle la métaphore (« that act of worship ») aux descriptions physiques crues. Allison s’arrête sur les détails du corps en action, qui lutte pour le plaisir. Ce sont d’abord les adjectifs et les adverbes qui rendent compte de la violence d’un acte sexuel libéré de toute contrainte : « strenuously » ; « agonizing » ; « painfully ». Mais ce sont finalement les verbes et les noms qui portent en eux la brutalité de la sexualité : « strain » ; « burning with pain » ; « the torment » ; « the agony ». La fin de l’extrait traduit le paradoxe de la sexualité transgressive qui ne renie pas le corps : « orgasming on the agony and the accomplishment » peut sembler une affirmation paradoxale, mais c’est là le cœur de l’argument d’Allison, qui revendique la valeur d’une sexualité où la satisfaction se mêle à la violence, où le plaisir émerge de la douleur.

Dans « Her Body, Mine and His », la transgression est poussée à l’extrême. La nouvelle met à mal les stéréotypes du couple lesbien qui ne serait que le miroir du couple hétérosexuel, interrogeant la validité des termes « masculinité » et « féminité » 91 . Cependant, la narratrice s’interroge sur cette sexualité hybride, à la frontière des genres : l’une des partenaires porte un harnais, les termes prononcés sont agressifs et le souvenir des sévices de l’enfance plane sur la relation, si bien que la narratrice s’interroge sur les étiquettes sexuelles. Cette fois, le récit laisse place à la parole directe, l’écriture véhicule la voix, et toute médiation semble abandonnée dans la transcription comme immédiate des propos tenus au sein d’une relation agressive :

 

Her teeth are set, hips are thrusting, shoving, head back, pushing, drawing back and ramming in. […] I call this fucking. Call her lover, bastard, honey, sweetheart, nasty motherfucker, evil-hearted bitch, YOU GODDAMNED CUNT! […] I beg her. “You, you, you…hard! Godamn you! Do it! Don’t stop! Don’t stop! Don’t stop! Don’t stop! […] I have been told that lesbians don’t do this. Perhaps we are not lesbians? She is a woman. I am a woman. But maybe we are aliens? Is what we do together a lesbian act? 92

 

L’appellation et l’interpellation sont centrales ici, alors que les surnoms s’accumulent de manière incohérente, certains tendres, d’autres insultants, tous mis sur le même plan dans l’accumulation. La relation décrite est une relation amoureuse, mais les termes employés dans une oralité brutale traduisent également l’humiliation qui sous-tend une relation inégale. Les répétitions de « You » et de « don’t stop! » traduisent l’atteinte du point culminant d’un acte qui brouille les frontières des genres et des attitudes au point de troubler la narratrice, qui s’interroge sur la caractérisation de la relation sans apporter de réponse à ses questions, qui concernent toutes la question cruciale de l’identité. « Lesbians » ; « woman » ; « aliens ». Les définitions sont perverties au point que l’humanité même des sujets lesbiens fait question, mais Allison réaffirme en conclusion de l’essai la valeur de cette identité difficilement assumée, et souligne le plaisir qu’elle tire de ses pratiques sexuelles teintées par l’instabilité de genre : « I am screaming and not stopping, not stopping. Frog fucking, pussy creaming, ass clenching, drumming out, pumping in. I am doing it, boys and girls, I am doing it, doing it all the time. » 93  Par le biais de la répétition « I am doing it », le texte multiplie les actes, forçant ainsi leur considération et leur reconnaissance.

L’œuvre offre des descriptions détaillées des relations intimes et prend position sur les notions de masculinité, de féminité, de sexualité et de genre, chères à la pensée féministe. Les rôles de genre sont subvertis dans les relations queer et les œuvres d’Allison illustrent les propos de Butler, selon qui le genre est mis en crise dans les pratiques queer qui dépassent les binarismes stricts 94 .

Les relations se font et se défont à l’infini au fil des pages et les identifications se multiplient, interrogeant la validité de l’identité féminine et lesbienne promue par le féminisme moral. Allison accorde une place centrale au corps, à la sensualité et à la volupté, et fait de la chair le symbole d’une sexualité libérée de toute contrainte disciplinaire. Dans son écriture du corps la question du désir et du plaisir est abordée de front, rendue publique dans une œuvre qui appelle les femmes à ne pas taire leurs penchants. L’œuvre fait ainsi de l’intime une question politique, au nom de la libération et de l’émancipation.

 

Conclusion

 

La littérature queer s’érige ainsi en instrument de critique sociale et politique lorsque, grâce à la pratique disciplinaire qui fait se croiser la théorie ou les discours hégémoniques avec les voix subalternes, elle entre en dialogue avec les conceptions réductrices de l’humain véhiculées dans la sphère sociale. Instrument de mutation, la littérature queer prend le contrepied des discours de revendication qui promettaient de libérer le corps des carcans des normes et de la violence, mais se sont légitimés en reniant la réalité de la chair. Les voix subalternes s’élèvent dans des œuvres qui délaissent le langage théorique et critique, auquel elles préfèrent le langage poétique, qui véhicule avec force leur message politique. Dans son œuvre littéraire à forte portée politique, Dorothy Allison redonne la parole à celles que les discours politiques et sociaux oublient, fait parler les corps agressés, dénigrés et disciplinés, afin de rendre compte de la complexité du sujet soumis à maintes contraintes physiques, sociales et intellectuelles. Contre les discours hégémoniques qui reposent sur une discipline du corps féminin, Allison propose à ses lecteurs de s’immerger dans la réalité lesbienne queer méconnue, qui perturbe les catégories identitaires figées et met à mal les conceptions les plus conservatrices de la sexualité. Alors que la sexualité, les identifications de genre, et les désirs sont simplifiés ou passés sous silence dans les discours institutionnalisés, elle accorde une place importante à l’enfant victime de sévices, à la lesbienne white trash aux identifications de genre multiples, et aux couples lesbiens indéfinissables. La littérature queer met ainsi en scène au fil des pages la réalité des expériences qui enrichissent les savoirs sur le sujet et bouleversent les contraintes disciplinaires, qu’elles soient universitaires, politiques ou physiques.

 

Notes    (↵ returns to text)

  1. Michel Foucault, L’ordre du discours (Leçon inaugurale au Collège de France, 2 décembre 1970), Paris, Gallimard, 1971, p. 32.
  2. Olivier Le Cour Grandmaison, La république impérialePolitique et racisme d’Etat, Paris, Fayard, 2009, p. 15.
  3. Lewis R. Gordon, « Disciplinary Decadence and the Decolonisation of Knowledge », Africana Development 39.1 (2014), p. 84.
  4. Gayatri Spivak, « Can the Subaltern Speak? », Marxism and the Interpretation of Culture, dir. Cary Nelson et Lawrence Grossberg, Londres, Macmillan, 1988, p. 271-313.
  5. Michel Foucault, « Il faut défendre la société » : Cours au Collège de France, 1976, Paris, Seuil/Gallimard, 1997, p. 160-161.
  6. Foucault, L’ordre du discoursop. cit., p. 10-12.
  7. Ibid., p. 11.
  8. Foucault, « Il faut défendre la société »op. cit., p. 160.
  9. Ibid., p. 160-161.
  10. Catherine Lejeune, « Cultural Studies et disciplines : l’anthropologie culturelle serait-elle menacée ? », Cultural Studies. Etudes Culturelles, dir. André Kaenel, Catherine Lejeune et Marie-Jeanne Rossignol, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2003, p. 97.
  11. Voir Stéphane Van Damme, « Comprendre les Cultural Studies : une approche d’histoire des savoirs », Revue d’histoire moderne et contemporaine 51. 4bis (2004), p. 53. Van Damme remarque que les Cultural Studies ont toujours été confrontées à la critique car elles sont « héritières d’un espace de recherche dont la multiplicité déborde toute définition a priori ». Par ailleurs, elles construisent un savoir « dont l’identité reste en fait toujours à construire parce que les concepts, les méthodes, les institutions qui relèvent des Cultural Studies ont une faible autonomie ». Pour Van Damme, cette situation au croisement des espaces donne l’impression « d’un savoir qui semble à la fois partout et nulle part ».
  12. Lewis R. Gordon, « Décoloniser le savoir à la suite de Frantz Fanon», Tumultes 31 (2008), p. 109.
  13. Gordon, « Décoloniser le savoir », op. cit., p. 109. L’on trouvait déjà chez Foucault l’expression de l’impossibilité à penser certaines réalités du sujet, lorsqu’il écrivait dans L’herméneutique du sujet : « [C]omment ce qui se donne comme objet de savoir articulé sur la maîtrise de la tekhnê, comment cela peut-il être en même temps le lieu où se manifeste, où s’éprouve et difficilement s’accomplit la vérité du sujet que nous sommes ? » (Michel Foucault, L’herméneutique du sujet, cours au collège de France 1982, Paris, Gallimard, 2001, p. 467).
  14. Lewis R. Gordon, « Esquisse d’une critique monstrueuse de la raison postcoloniale », Tumultes 37 (2011), p. 165.
  15. Le Cour Grandmaison, La République impérialeop. cit., p. 15.
  16. Joan Scott, « The Evidence of Experience », Critical Inquiry, 17. 4 (1991), p. 776.
  17. Ibid.
  18. Ibid. Chez Scott, il n’est pas question de hiérarchiser histoire et expérience pour faire de l’expérience un savoir absolu. Au contraire, l’expérience doit être historicisée afin de comprendre, par exemple, le fonctionnement des mécanismes d’oppression. Scott appelle les historiens non plus à transmettre les connaissances acquises grâce à l’expérience, mais à analyser la production des connaissances elle-même, de façon à interroger le statut de vérité absolue de l’expérience (Ibid., p. 779-780 ; 797).
  19. Voir John d’Emilio, Sexual Politics, Sexual Communities. The Making of a Homosexual Minority in the United States 1940-1970 [1983], Chicago, The U of Chicago P, 1998, p. 124-125. Des dissensions avaient déjà marqué les mouvements homophiles vingt ans plus tôt (et sont une raison de leur disparition). D’Emilio remarque que La Mattachine Society et Daughters of Bilitis ont échoué dans les années 1950 car, soucieux, d’asseoir leur légitimité et de renvoyer de l’homosexualité une image respectable, ils ont ouvert leurs publications aux experts médicaux faisant de l’homosexualité une maladie, et ont largement condamné les subcultures gays les plus transgressives. Ce sont cependant les mouvements féministes et LGBT établis et les querelles spécifiques des années 1970 qui nous intéressent ici.
  20. Ibid., p. 234.
  21. Steven Seidman, « Identity Politics in a “Postmodern” Gay Culture : Some Historical and Conceptual Notes », Fear of a Queer Planet : Queer Politics and Social Theory, dir. Michael Warner, 1993, p. 110 ; p. 117.
  22. Estelle B. Freedman et Barrie Thorne, « Introduction to “The Feminist Sexuality Debates” », Signs 10/1 (1984), p. 103.
  23. Gayle Rubin, « The Leather Menace», Coming to Power : Writings and Graphics on Lesbian S/M, Berkeley, Samois, 1981, p. 194-229 ; Amber Hollibaugh, My Dangerous Desires : A Queer Girl Dreaming Her Way Home, Durham, Duke UP, 2000, p. 264-265 ; E. B. Freedman et B. Thorne, « Introduction to “The Feminist Sexuality Debates” », op. cit., p. 103.
  24. Alice Echols, « Cultural Feminism : Feminist Capitalism and the Anti-Pornography Movement », Social Text 7 (1983), p. 45-47.
  25. Adrienne Rich, Blood, Bread and Poetry : Selected Prose 1979-1985, Londres, Virago Press, 1986, p. 25 ; Marie France, « Sadomasochism and Feminism. » Feminist Review 16 (1984), p. 35-42.
  26. Butch/femme désigne les couples lesbiens dont une partenaire est masculine, l’autre féminine dans l’apparence et le comportement. Les féministes radicales des années 1970 leur ont reproché de caricaturer le couple hétérosexuel.
  27. Nous empruntons ce propos à Judith Butler, qui le développe dans le cadre d’une réflexion plus large sur les contraintes que les rôles sociaux fixes imposent aux femmes (Judith Butler, Bodies That Matter : On the Discursive Limits of « Sex », New York, Routledge, 1993, p. 232).
  28. Gayle Rubin, « Blood Under the Bridge : Reflections on “Thinking Sex” », GLQ : A Journal of Lesbian and Gay Studies 17/1 (2011), p. 33.
  29. Dorothy Allison, « A Question of Class », Skin : Talking About Sex, Class & Literature, Ithaca, Firebrand, 1994. p. 34.
  30. Allison, « Public Silence, Private Terror », Skinop. cit., p. 118.
  31. Allison, « A Question of Class », Skin, op. cit., p. 24.
  32. Monica Michlin, « Les voix interdites prennent la parole », Sillages critiques 7 (2005), p. 198.
  33. Les discours subalternes font l’objet de contestation permanente, que souligne Gayatri Spivak lorsqu’elle pose la question « Can the Subaltern Speak? » dans le titre même de son article (G. Spivak, « Can the Subaltern Speak? », op. cit.).
  34. Le Cour Grandmaison, La République impérialeop. cit., p. 249.
  35. Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff, « Art/Cinéma/Queer. Cartographie d’un art politique contemporain », Multitudes, Vol. 1, n° 35, 2009, p. 165.
  36. Ibid.
  37. Dorothy Allison, entretien avec Mélanie Grué, 16 février 2015, Guerneville (Californie). À paraître.
  38. Hollibaugh, My Dangerous Desires, op. cit., p. 95-96.
  39. Allison, « Public Silence », op. cit., p. 117.
  40. Lynda Hart, La performance sadomasochiste : Entre corps et chair, Annie Levy-Leneveu (tr.), Paris, EPEL, 2003, p. 313.
  41. Larry M. Preston, « Theorizing Difference : Voices from the Margins », The American Political Science Review, 89. 4 (1995), p. 941-953.
  42. Allison, « Believing in Literature », Skinop. cit., p. 169.
  43. Allison, entretien avec Mélanie Grué, op. cit.
  44. Linda Alcoff et Laura Gray, « Survivor Discourse : Transgression or Recuperation? », Signs 18/2 (1993), p. 265-267.
  45. Ibid., p. 267.
  46. Ibid., p. 269.
  47. Sidonie Smith et Julia Watson, « Introduction », Getting a Life : Everyday Uses of Autobiography, dir. Sidonie Smith et Julia Watson, Minneapolis, U of Minnesota P, 1996, p. 15.
  48. Ibid.
  49. Ibid., p. 13-15.
  50. Gillian Harkins, « Telling Fact from Fiction : Dorothy Allison’s Disciplinary Stories », Incest and the Literary Imagination, dir. Elizabeth Barnes, Gainesville, UP of Florida, 2002, p. 302 ; Kate Douglas, Contesting Childhood : Autobiography, Trauma, and Memory, New Brunswick, Rutgers UP, 2010, p. 108.
  51. Janice Doane et Devon Hodges, Telling Incest : Narratives of Dangerous Remembering from Stein to Sapphire, Ann Arbor, U of Michigan P, 2001, p. 115-117.
  52. Dorothy Allison, Bastard Out of Carolina, New York, Plume, 1993, p. 63.
  53. Hart, op. cit., p. 292.
  54. Ibid.
  55. Allison, Bastardop. cit., p. 253-254.
  56. William Faulkner, « Barn Burning » [1939], Collected Stories of William Faulkner, New York, Random House, 1950, p. 3-26.
  57. Allison, Bastard, op. cit., p. 112.
  58. Laura Di Prete, Foreign Bodies : Trauma, Corporeality, and Textuality in Contemporary American Culture, Londres, Routledge, 2006, p. 18-19.
  59. Ibid.
  60. Vincent King, « Hopeful Grief : The Prospect of a Postmodernist Feminism in Allison’s Bastard Out of Carolina », The Southern Literary Journal 33. 1 (2000), p. 131.
  61. Deborah M. Horvitz, « Freud and Feminism in Gayl Jones’s Corregidora and Dorothy Allison’s Bastard Out of Carolina », Literary Trauma : Sadism, Memory, and Sexual Violence in American Women’s Fiction, Albany, State U of New York P, 2000, p. 44.
  62. Cathy Caruth, Unclaimed Experience : Trauma, Narrative, and History, Londres, The John Hopkins UP, 1996, p. 1-2 ; p. 59. Judith Lewis Herman, Trauma and Recovery [1992], Londres, Pandora, 2001, p. 41.
  63. Allison, Bastardop. cit., p. 193.
  64. Gayle Rubin, « Thinking Sex : Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality », The Lesbian and Gay Studies Reader, dir. Henry Abelove et al., New York, Routledge, 1993, p. 13-14.
  65. Carole S. Vance et Ann Barr Snitow, « Toward a Conversation about Sex in Feminism : A Modest Proposal », Signs, 10/1 (1984), p. 135.
  66. Allison, « Conceptual Lesbianism », Skinop. cit., p. 139-140.
  67. Allison, « A Question of Class », op. cit., p. 23.
  68. Allison, « The Women Who Hate Me », The Women Who Hate Me : Poetry 1980-1990, New York, Firebrand, 1991, p. 23.
  69. Allison, « A Lesbian Appetite », Trash [1988], New York, Plume, 2002, p. 165.
  70. Ibid., p. 172.
  71. Ibid., p. 172-173.
  72. Allison, « Dumpling Child », The Women Who Hate Meop. cit., p. 9.
  73. Allison, « Her Thighs », Trash, New York, Plume, 2002, p. 119-120.
  74. Ibid., p. 122.
  75. Ibid., p. 120.
  76. Ibid., p. 121.
  77. Ibid., p. 122.
  78. Ibid., p. 122 ; p. 123.
  79. Allison, « Her Body, Mine, and His », Skinop. cit., p. 125.
  80. Kelly L. Thomas, « White Trash Lesbianism : Dorothy Allison’s Queer Politics », Gender Reconstructions : Pornography and Perversions in Literature and Culture, dir. Cindy L. Carlson et al., Burlington, Ashgate, 2002, p. 175-176.
  81. Christina Jarvis, « Gendered Appetites : Feminisms, Dorothy Allison, and the Body », Women’s Studies 29 (2000), p. 783.
  82. Judith Butler, Bodies That Matter, ici cité dans Jarvis, Ibid., p. 783.
  83. Allison, « A Question of Class », Skinop. cit., p. 23.
  84. Dorothy Allison, « The Women Who Hate Me », op. cit., p. 23.
  85. Ibid., p. 23-24.
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  88. Allison, « Sex Writing, the Importance and the Difficulty », Skinop. cit., p. 86.
  89. Ibid., p. 87-88.
  90. Chinn, « Feeling Her Way », op. cit., p. 181-184.
  91. Judith Butler, Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2006, p. 240.
  92. Allison, « Her Body, Mine, and His », op. cit., p. 121-122.
  93. Ibid., p. 126.
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Auteur

Mélanie Grué est agrégée d’anglais et ATER à l’Université Paris-Est Créteil. Elle a soutenu sa thèse, « Grotesque queer et savoirs abjects dans l’œuvre de Dorothy Allison » (sous la direction de Jean-Paul Rocchi) en 2013. Ses recherches portent sur les écritures subalternes, la représentation du corps, les études de genres, les arts visuels queer et les mouvements de libération américains. Elle a publié plusieurs articles et chapitres sur Dorothy Allison, notamment « Trauma and Survival in Dorothy Allison’s Bastard Out of Carolina, or the Power of Alternative Stories », in S. Pellicer-Ortin & S. Andermahr (Dir.), Trauma Narratives and Herstory, Palgrave Macmillan, 2013 ; «“Bearers of babies, burdens, and contempt”: Reclaiming the Female Body in Dorothy Allison’s Testimonial Writing », National Taiwan University Studies in Languages and Literature, 30, 2013 ; « The Internal Other: Dorothy Allison’s White Trash, » Otherness: Essays and Studies, 4.2, Avril 2014 ; « Le pseudo-témoignage de Dorothy Allison, entre stabilisation et subversion des catégories de genre », in I. Alfandary, V. Broqua & C. Coffin (Dir.) Genre/Genres dans la littérature anglophone 2, Michel Houdiard, 2015 ; « Celebrating Queer Lesbian Desires with Dorothy Allison: from Moral Monstrosity to the Beautiful Materiality of the Body », Ilha do Desterro: A Journal of English Language, Literatures in English and Cultural Studies, 68, Juillet/décembre 2015.

Mélanie Grué is an “agrégée” in English and American Sudies and a research and teaching fellow at the Université Paris-Est Créteil. She holds a PhD from Université Paris-Est (“Grotesque queer et savoirs abjects dans l’œuvre de Dorothy Allison,” 2013, supervised by Jean-Paul Rocchi) for which she was awarded a doctoral research grant from the University Paris-Diderot. Her fields of research include subaltern writing, the literary representation of the body, gender studies, queer visual arts, and the American liberation movements. She is the author of the following articles and book chapters: “Trauma and Survival in Dorothy Allison’s Bastard Out of Carolina, or the Power of Alternative Stories,” in S. Pellicer-Ortin & S. Andermahr (Ed.), Trauma Narratives and Herstory, Palgrave Macmillan, 2013; “‘Bearers of babies, burdens, and contempt’: Reclaiming the Female Body in Dorothy Allison’s Testimonial Writing,” National Taiwan University Studies in Languages and Literature, 30, 2013; “The Internal Other: Dorothy Allison’s White Trash,” Otherness: Essays and Studies, 4.2, April 2014; “Le pseudo-témoignage de Dorothy Allison, entre stabilisation et subversion des catégories de genre,” in I. Alfandary, V. Broqua & C. Coffin (Ed.) Genre/Genres dans la littérature anglophone 2, Michel Houdiard, 2015; « Celebrating Queer Lesbian Desires with Dorothy Allison: from Moral Monstrosity to the Beautiful Materiality of the Body » Ilha do Desterro: A Journal of English Language, Literatures in English and Cultural Studies, 68, Juillet/décembre 2015.

Pour citer cet article

Mélanie Grué, Savoirs subalternes et transdisciplinarité : l’indiscipline queer, ©2016 Quaderna, mis en ligne le 2 avril 2016, url permanente : https://quaderna.org/3/savoirs-subalternes-et-transdisciplinarite-lindiscipline-queer/

Savoirs subalternes et transdisciplinarité : l’indiscipline queer
Mélanie Grué

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